Il se gara en face d’une case en tôle ondulée et descendit. Un petit Seychellois trapu, aux cheveux très frisés, avec des yeux enfoncés et malins, se précipita aussitôt sur lui, brandissant un coco-fesses.
— Mark ? demanda Malko à mi-voix.
Le Seychellois inclina la tête affirmativement. Des poules caquetaient autour d’eux, cela sentait mauvais. Au bout du hameau, une piste en ciment montait vers la résidence de l’ambassadeur soviétique. Une femme observait la scène d’une des cases. Lorsqu’elle croisa le regard de Malko, elle recula, fermant vivement le volet.
— Oui, c’est moi, dit le Seychellois, vous êtes l’ami de Monsieur Troy ?
— Right, dit Malko.
L’autre regarda autour de lui, mal à l’aise.
— Je ne veux pas rester ici, dit-il. On peut nous voir. Partons dans votre voiture. Vous me déposerez à Victoria.
Sans lâcher son coco-fesses, il s’installa dans la Mini-Moke.
Malko effectua une manœuvre dans la terre grasse et remit le cap sur la route de Beauvallon, effrayant les cochons et les poules.
— Vous habitez là ? demanda Malko, pour dire quelque chose.
Mark montra une case à l’écart.
— Oui, la bleue, là.
Comme les autres, c’était une construction de tôle ondulée peinte en bleu pastel, montée sur quatre blocs de ciment. Des poules jouaient dessous.
— Il y a longtemps que vous êtes à Mahé ? demanda Mark au moment où Malko se lançait à l’assaut des courbes menant à Victoria.
— Un jour, dit Malko.
— Vous avez appris beaucoup de choses ?
Malko sourit :
— Pas grand-chose, mais je compte sur vous.
Mark prit l’air choqué et serra plus fort son coco-fesses contre lui.
— Moi, je ne sais pas beaucoup de choses, dit-il gravement. Mais je crois que vous devez rencontrer des gens qui sont au courant.
Malko tourna la tête vers lui, si surpris qu’il faillit rater son virage.
La route descendait en lacets abrupts au milieu de la jungle, parsemée de cahutes en tôle ondulée.
— Quels gens ? demanda-t-il. M. Troy ne m’a parlé que de vous.
Le Seychellois lui jeta un regard en coin. Comme déçu, puis marmonna.
— Non, non, je ne sais pas…
Ils abordaient les derniers lacets débouchant dans Royal Street. Malko était déçu par l’aide que la CIA lui apportait. Pourtant, il avait dramatiquement besoin d’informations…
— Vous ne savez rien sur le cadavre qu’on a retrouvé en mer ? demanda-t-il. Il paraît que c’est le marin du Laconia B soigné à l’hôpital. Il aurait été enlevé. Vous travaillez à l’hôpital, vous devez être au courant.
Il freina pour éviter des touristes en train de discuter des carapaces de tortues chez un Hindou les vendant au poids de l’or. Mark secoua la tête énergiquement.
— Non, je ne connais pas cette histoire. Le malade est parti de l’hôpital, il a pris l’avion. Ce n’est pas le même.
Il paraissait si sûr de lui que Malko n’insista pas. Préférant explorer une autre piste.
— Il paraît que vous avez des amis dans le CID[8] avança-t-il. Vous n’avez pas entendu parler d’agents étrangers venus à Mahé en liaison avec l’histoire du Laconia B ?
Cette fois, Mark prit l’air carrément choqué.
— Des agents étrangers ? fit-il. Il n’y a pas d’agents étrangers sur le sol national…
Son ton était tellement déclamatoire que Malko n’insista pas. La CIA lui avait envoyé un étrange allié. Côté informations, il pouvait aussi bien regarder dans une boule de cristal.
Il tourna à gauche, Royal Street se terminant en sens unique. Il fallait contourner le marché pour rejoindre le centre de Victoria.
Comme s’il voulait se racheter, Mark se tourna vers lui, tout sourire :
— Je croyais que vous saviez où se trouvait le Laconia, dit-il et que vous étiez seulement venu chercher ce qu’il y avait dedans.
Malko leva les yeux au ciel :
— Si je détenais cette information, dit-il, je serais sur un navire américain en train de remonter ce fichu cargo. Mais je n’ai qu’une vague idée de l’endroit où il se trouve. Comme tout le monde…
— Ah bon ! fit le Seychellois.
— À propos dit Malko, où se trouve le yacht-club ?
Il avançait lentement vers la pendule rectangulaire-mini-réplique de Big Ben – qui se dressait à l’intersection de Victoria Street et de Statehouse Avenue, marquant le centre de la petite ville. Mélange de boutiques hindoues, de magasins modernes et de grands immeubles blancs.
— C’est là-bas, dit Mark. Vous passez devant la poste et le Pirate’s Arms, puis vous tournez à droite dans Badamier Avenue.
— Très bien, dit Malko, où est-ce que je vous laisse ?
Mark regarda sa montre avec ostentation.
— En face de la poste.
La poste était un superbe bâtiment moderne, en face du café-hôtel Pirate’s Arms sur la grande avenue filant vers le vieux port. La plus moderne.
— Tiens, pourquoi est-ce qu’ils arborent le drapeau russe ? demanda-t-il.
Mark sourit.
— C’est l’ambassade. Ils n’ont pas encore de local.
Le Seychellois sauta de la voiture comme s’il avait le feu aux fesses, serrant à peine la main de Malko.
— Si vous voulez me voir, dit-il, il faut demander au Bubble Club, le soir.
Il traversait déjà. Malko redémarra, songeur. Trois minutes plus tard, il se garait dans le parking du yacht-club, un petit bâtiment lépreux et minable au fond d’un plan d’eau délimité par deux jetées. Latanier Road menant au nouveau port et Long Pier au vieux port. Il examina le petit port, où ne se trouvaient que peu de bateaux modernes.
Une sorte de terrasse couverte avec des tables et des chaises, dominait un vieux wharf en bois. Une serveuse noire bayait aux corneilles, près du bar. Les murs étaient couverts de vieilles cartes marines.
Malko s’approcha de la serveuse.
— Vous connaissez le bateau de Brownie, le Koala ?
La Seychelloise fit un effort considérable de réflexion puis finit par héler en créole plusieurs Noirs qui s’affairaient mollement autour d’un bateau sur le quai d’en face, à côté d’une baraque en bois annonçant : « Marine charter ». La réponse vint directement, gueulée par un gros Seychellois tout frisé.
— Il est au vieux port, près de la caserne des pompiers.
Malko reprit sa bombe, enfila Latanier Road Avenue en sens inverse et tourna à droite dans Long Pier.
Ce qui frappa d’abord ses yeux, ce fut une paire de fesses incroyablement rondes et cambrées, moulées dans un short coupé dans un vieux blue-jean qui montait et descendait devant lui. Leur propriétaire, accroupie sur une planche suspendue à des cordages, était en train de lessiver énergiquement le tableau arrière d’un gros cabin-cruiser.
Koala, Sidney, se détachait en lettres noires sur la coque. On ne voyait personne sur le pont. Avec la chaleur ambiante, la lessiveuse devait fondre. Malko se dit que c’était du gâchis d’utiliser ainsi une croupe aussi appétissante…
— Miss, cria-t-il. Je cherche Brownie. Est-ce qu’il est là ?
La fille se releva et se retourna brusquement. La poitrine débordant d’un maillot rosâtre était aussi fabuleuse que la croupe. Une masse de cheveux roux et frisés encadrant un visage anguleux, tout en longueur, enlaidi par de grosses lunettes de myope. Dommage, sur ce corps de déesse. Elle examina Malko, indifférente.
— Il fait la sieste, dit-elle, vous voulez lui parler ?