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Arthur C. Clarke

Naufragés de la Lune

(S. O. S. Lune - tome II)

Chapitre premier

Ils se croyaient sauvés. Ils ne savaient pas que leurs chances de survivre étaient encore très minces…

Ils étaient enfermés depuis plus de trois jours dans l’unique bateau de la Lune, le Séléné, qui promenait les touristes sur la Mer de la Soif – cette mer faite non pas d’eau, mais de poussière plus fine que du talc. Ils avaient été engloutis, à la suite d’un séisme lunaire, et leur bateau – qui n’était guère plus grand qu’un autobus, mais qui était construit comme un astronef – reposait sous une couche de quinze mètres de poussière…

Vingt-deux hommes et femmes étaient là, peu vêtus, car la température était élevée dans la cabine. Et ils se félicitaient d’avoir su garder un bon moral jusqu’au moment où, après trois jours, on les avait enfin repérés et rétabli le contact par radio avec eux. Vingt-deux personnes qui dans le péril s’étaient soudées en un groupe solidaire : le capitaine du bateau, Pat Harris, et l’hôtesse, Susan Wilkins, qui formaient à eux deux l’équipage, et leur vingt passagers, parmi lesquels le Commodore Hansteen, le fameux astronaute, qui était à la retraite depuis peu et voyageait maintenant pour son agrément.

Tandis que les touristes se réjouissaient d’avoir enfin repris contact avec le monde extérieur et d’avoir pu envoyer des nouvelles rassurantes à leurs parents et à leurs amis angoissés, Pat Harris examinait les appareils du bord qui, à l’exception de la radio (la couche de poussière sous laquelle ils étaient ensevelis empêchant les ondes de passer) avaient continué de fonctionner correctement. En somme, ils n’avaient souffert que d’une élévation de la température, mais celle-ci avait été supportable. Et ils avaient encore de l’oxygène pour plus de trois jours. D’ici-là, maintenant qu’on travaillait fébrilement à leur sauvetage, ils seraient tirés de ce mauvais pas…

Le capitaine Pat Harris revivait par la pensée les journées difficiles qu’il venait de vivre. Tout avait bien commencé, pourtant. Le Séléné avait quitté Port Roris comme d’habitude, pour une excursion sur la Mer de la Soif qui devait durer quatre heures. Ils s’étaient dirigés, dans la nuit lunaire, vers l’île que formaient les Montagnes Inaccessibles. Par une étroite vallée, ils avaient gagné l’extraordinaire Lac du Cratère, qu’ils avaient visité. Ils avaient repris le chemin du retour et étaient déjà de nouveau dans la Mer de la Soif, lorsque la catastrophe s’était produite.

Pour Pat, ç’avait été le moment le plus affreux. Un tourbillon s’était formé dans la mer de poussière, et le bateau avait été pris dans ce tourbillon. Pat avait vainement lutté pour essayer de l’en sortir. Ils avaient sombré. Ils étaient enfouis sous quinze mètres de cette substance pulvérulente.

Ensuite… Eh bien ensuite, après le premier moment d’émotion, ils avaient attendu, avec la certitude qu’on les découvrirait vite et qu’on les délivrerait vite.

Le Commodore Hansteen n’avait pas tardé à prendre les choses en main et Pat s’était incliné de bonne grâce, devant cet homme qui avait infiniment plus d’expérience que lui.

Le premier souci de Hansteen avait été de maintenir le moral du petit groupe en organisant diverses distractions. Il n’y avait pas trop mal réussi. Tout le monde s’était bien comporté : la grosse Mrs Schuster et son mari l’avocat, le professeur Jayawardene, le physicien McKenzie, Robert Bryant, Miss Morley, une vieille fille un peu aigrie, et tous les autres. Et les heures avaient passé…

Pour Pat Harris, deux événements avaient marqué ces trois interminables journées d’attente : le premier dramatique, le second infiniment plus agréable…

D’abord il avait eu très peur quand le physicien McKenzie lui avait fait remarquer que la température augmentait régulièrement dans la cabine. Et le Commodore lui-même avait jugé la situation tragique. Visiblement ils ne disposaient plus de sept jours, mais tout au plus de vingt-quatre heures. Toutefois la température, contrairement à leur attente, s’était stabilisée, un courant de poussière s’était formé hors de la coque, entraînant le surplus de chaleur. Les passagers n’avaient rien su de cela, et leur moral n’en avait donc pas été affecté…

Quant au second événement, il avait pour le jeune capitaine du Séléné un caractère beaucoup plus personnel. Depuis longtemps, il se sentait attiré par Susan Wilkins, la charmante hôtesse du bateau de tourisme. Mais il ne lui avait jamais rien dit. Les circonstances, la peur de la mort, l’amitié mutuelle qui existait déjà entre eux, devait les jeter dans les bras l’un de l’autre alors qu’ils étaient seuls dans la valve d’entrée du bateau… Et cette soudaine et brûlante minute de passion les avaient menés très loin…

Pat y pensait maintenant avec joie et avec émotion, se demandant si l’instant d’intimité qu’ils avaient connue aurait des lendemains…

Ensuite, ç’avait été la reprise de contact tant attendue avec le reste de l’humanité. Tom Lawson, un astronome – ils le savaient tous maintenant – qui se trouvait sur le satellite artificiel Lagrange II, avait fini par repérer leur emplacement exact au moyen des rayons infrarouges. Et l’Ingénieur en Chef Lawrence, aidé de ce même Lawson venu tout exprès sur la Lune, s’était rendu sur place avec deux de ces petits esquifs appelés des «glisseurs », mais sur lesquels on ne pouvait naviguer que revêtu d’un scaphandre. Les sauveteurs avaient dû tâtonner un long moment avant de découvrir l’emplacement exact du bateau, car celui-ci n’avait laissé aucune trace visible à la surface. Mais quand une sonde métallique avait enfin touché le toit du Séléné ; quand, grâce à cette sonde servant d’antenne, il avait été possible de rétablir la communication par radio quand Pat enfin avait entendu la voix de l’Ingénieur Lawrence, la joie avait éclaté à bord du bateau. Peu après, ils étaient en communication avec Clavius City, la capitale de la Lune et pouvaient entendre les propos rassurants de l’Administrateur en Chef Olsen et du directeur du Comité Touristique Davis. Ils pouvaient lancer des messages. Ils se considéraient tous comme sauvés.

Mais Pat se demandait : « Sauvés ? Le sommes-nous réellement ? Nous aurons sans doute encore des heures difficiles à vivre. »

Toutefois il avait bon espoir.

* * *

L’Ingénieur en Chef Lawrence, qui avait le contrôle technique d’une moitié de la Lune et à qui incombait la tâche de les sortir de l’espèce de tombeau dans lequel ils étaient ensevelis, était beaucoup plus soucieux, lui, que les passagers du Séléné.

Son premier soin, dès qu’il était revenu à Port Roris sur un « glisseur », après avoir rétabli le contact avec le bateau enfoui sous quinze mètres de poussière, avait été de convoquer les membres du Comité d’Etudes Lunaire dont il était le président. Ce comité était une sorte de «  brain trust » chargé d’apporter des suggestions d’ordre scientifique et technique. Il comptait douze membres, mais six seulement d’entre eux étaient présents en chair et en os à la réunion ; les autres étaient dispersés – sur la Lune, sur la Terre ou dans l’espace. Mais un réseau radiophonique leur permettait d’assister de loin à la réunion, d’entendre ce qui se disait et de pouvoir se faire entendre – avec trois secondes de retard quand ils parlaient de la Terre : le temps que les ondes mettaient pour faire l’aller et le retour entre la planète et le satellite.

Quand tout le dispositif permettant à ces hommes de conférer entre eux fut en place, l’ingénieur Lawrence ouvrit la séance.