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A la réflexion, il se dit que ce serait peut-être une bonne chose d’avoir un astronef à quelques kilomètres de lui. Il serait utile d’avoir un canal d’informations supplémentaire, et peut-être même l’astronef pourrait-il rendre encore d’autres services. Peut-être pourrait-il offrir un abri en attendant que les igloos soient installés sur place ?

Où était la sonde servant de repère ? Certainement on devait déjà pouvoir la remarquer… Pendant quelques instants, qui lui furent très pénibles, Lawrence se demanda si elle n’avait pas chaviré et disparu dans la poussière. Cela naturellement ne les empêcherait pas de retrouver le Séléné mais il leur faudrait perdre cinq ou dix minutes, alors que chaque seconde avait une importance vitale.

Il poussa un soupir de soulagement. S’il avait eu du mal à voir le tube métallique, c’est parce que celui-ci ne se détachait pas très nettement sur le fond de montagnes.

Le pilote du « glisseur » avait déjà repéré leur objectif et avait modifié légèrement sa course pour se diriger droit sur lui.

Les deux « glisseurs » firent halte, encadrant la sonde, et dans l’instant même l’endroit devint le centre d’une activité fébrile. Huit hommes en scaphandres se mirent à décharger à toute allure des paquets ficelés et les gros réservoirs cylindriques. Ils travaillaient en observant très exactement les consignes qui leur avaient été données.

Rapidement le radeau commença à prendre forme tandis que les armatures métalliques étaient mises en position autour des bonbonnes. Le plancher, fait de fibre de verre légère, fut fixé aussitôt.

Jamais, dans toute l’histoire de la Lune, aucune installation n’avait été montée avec un tel luxe de publicité – grâce aux yeux attentifs qui, dans la montagne, observaient l’opération. Mais dès qu’ils furent en plein travail, les huit hommes oublièrent totalement que des millions de regards pesaient sur leurs épaules. Tout ce qui comptait pour eux maintenant était d’achever le radeau et de fixer les tuyaux devant apporter la vie aux sinistrés.

Toutes les cinq minutes au moins, Lawrence se mettait en contact avec le Séléné, informant Pat Harris et McKenzie des progrès de leur travail. Le fait qu’en même temps il informait des millions de téléspectateurs qui attendaient anxieusement effleurait à peine son esprit.

Finalement, au bout de vingt minutes incroyablement longues, la foreuse fut en place : sa première section de cinq mètres de long était suspendue comme un harpon prêt à plonger dans la mer. Mais ce harpon était destiné à apporter la vie, et non pas la mort.

— Nous descendons, dit Lawrence. La première section est en mouvement.

— Vous ferez bien de vous dépêcher, murmura Pat. Je ne pourrai pas tenir beaucoup plus longtemps maintenant.

Pat Harris avait la sensation de se mouvoir dans un brouillard. Il ne pouvait même pas se rappeler si ce brouillard avait toujours été là. En dehors de la souffrance diffuse qu’il éprouvait dans ses poumons, il ne se sentait pas réellement malade – mais il était incroyablement fatigué. Il se comportait un peu comme un robot, accomplissant une tâche dont il avait depuis longtemps oublié le sens, si toutefois il l’avait jamais connu. Il tenait dans sa main une clé anglaise. Il l’avait prise dans la caisse à outils quelques heures plus tôt, sachant à ce moment-là qu’il en aurait besoin. Peut-être cette clef, le moment venu, lui rappellerait-elle ce qu’il devait faire.

Il entendait – mais venant de très loin, lui semblait-il, – des bribes de conversation qui de toute évidence ne lui étaient pas destinées. Quelqu’un avait dû oublier de fermer le circuit.

— Nous aurions dû arranger cela de façon à pouvoir dévisser d’ici la tête foreuse qui est au bout du tuyau. Car que se passerait-il si elle était trop faible ?

— Nous devions prendre ce risque. Un ajustement plus compliqué nous aurait demandé au moins une heure. Donnez-moi cela…

Les voix se turent. On avait fermé le circuit. Mais Pat en avait entendu assez pour se mettre en colère – tout au moins dans la mesure où pouvait le faire un homme se trouvant dans l’état de semi-hébétude où il était. Ah ! Il leur montrerait comment travailler… Lui et son bon copain le docteur Mac… Mac quoi ? Il ne pouvait même plus se rappeler le nom.

Il fit tourner son siège mobile et regarda la cabine, qui lui parut ressembler à une scène de carnage. Pendant un moment, il ne put pas retrouver le physicien parmi les autres corps affalés. Mais finalement il l’aperçut. McKenzie était agenouillé auprès de Mrs Williams, et il semblait bien que l’anniversaire du jour de la mort de cette pauvre femme se situerait tout près de son anniversaire de naissance. Le physicien maintenait sur le visage de la mourante le masque à oxygène, sans même se rendre compte qu’il n’entendait plus le petit sifflement caractéristique du gaz sortant du cylindre et que la jauge avait depuis un moment déjà atteint le point zéro.

— Nous approchons de la coque, disait la radio. Vous allez nous entendre d’un instant à l’autre.

Déjà ? se dit Pat. Mais, naturellement, un tube lourd devait descendre à travers la poussière presque aussi rapidement qu’on l’y laissait glisser. Et Pat eut le sentiment qu’il était encore quelque peu lucide pour faire de telles déductions.

Bang ! Quelque chose venait de frapper le toit. Mais où ?

— Je vous entends, murmura-t-il. Vous nous avez atteints.

— Nous le savons, reprit la voix. Nous pouvons sentir le contact. Mais c’est à vous de faire le reste. Pouvez-vous nous dire où la foreuse a touché le toit ? Est-ce dans un espace libre ou au-dessus de canalisations électriques ? Nous allons la soulever et l’abaisser plusieurs fois pour vous aider à la localiser.

Pat se sentit terriblement peiné… Ce n’était pas bien qu’on lui demandât de décider d’une chose aussi compliquée.

Bang ! Bang ! Bang ! La foreuse cognait contre le toit. Mais en quel point ? Il n’aurait pas pu, même si sa vie avait été en jeu (et la formule en l’occurrence était particulièrement appropriée) indiquer la position exacte du son. Mais de toute façon ils n’avaient plus rien à perdre.

— Allez-y, murmura-t-il. Vous êtes dans un espace libre.

Sa voix était si faible qu’il dut répéter cela deux fois pour qu’on le comprenne.

Instantanément – ils étaient rapides, là-haut – la pointe foreuse se mit à tourner et à bourdonner sur la face externe de la coque. Il entendait ce bruit très distinctement. C’était un bruit plus beau que n’importe quelle musique.

La pointe foreuse traversa le premier obstacle en moins d’une minute. Il l’entendait travailler, puis elle s’arrêta net quand le moteur fut coupé. La coque externe était percée. L’opérateur fit descendre alors la pointe de quelques centimètres, jusqu’à la coque interne et se remit à forer.

Le son était maintenant beaucoup plus fort, et il était devenu facile de le localiser exactement. Pat se sentit quelque peu déconcerté en s’apercevant que la foreuse opérait presque au-dessus du câble électrique principal, qui passait au milieu du toit. Si l’outil le coupait…

Lentement, les jambes vacillantes, il se leva et se rapprocha de la source du bruit. Il allait l’atteindre quand il y eut une averse de poussière tombant du plafond. Les lumières vacillèrent. Les ampoules s’éteignirent.

Par bonheur, les lampes de secours étaient restées allumées. Il fallut aux yeux de Pat quelques secondes pour s’adapter à la faible lueur rougeâtre. Puis il vit qu’un tube de métal pendait du plafond. Ce tube descendit lentement, jusqu’à ce qu’il se fût avancé d’un mètre dans la cabine, et il s’immobilisa.