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— Je vais, dit-il, vous mettre rapidement au courant de la situation. Le Séléné se trouve par quinze mètres de fond, dans une position horizontale. Il n’a pas eu d’avaries. Tout son équipement fonctionne et les vingt-deux personnes qui sont à bord ont toujours bon moral. Elles ont encore de l’oxygène pour quatre-vingt-six heures – et c’est là le facteur essentiel que nous devons avoir sans cesse présent à l’esprit.

« Pour ceux d’entre vous qui ne savent pas à quoi ressemble le Séléné, voici un modèle réduit, à l’échelle d’un vingtième.

Il prit le modèle sur la table et le fit tourner lentement devant la caméra.

— Ce bateau ressemble à la fois à un autobus et à un petit astronef. Sa seule particularité est son système de propulsion, qui se fait par le moyen d’éventails à lames et à inclinaison variable.

« Notre grand problème, naturellement, est la poussière. Si vous n’avez jamais vu celle-ci, vous ne pouvez pas vous imaginer à quoi elle ressemble. Les idées que vous vous faites sur le sable ou sur d’autres substances terrestres du même genre ne vous serviraient à rien. La poussière lunaire se rapproche beaucoup plus d’un liquide. En voici un spécimen.

Lawrence prit un long cylindre vertical dont un tiers environ était rempli d’une substance grise et amorphe. Il le pencha, et la substance se mit à couler – moins vite que de l’eau, mais plus vite qu’un sirop. Il ne fallut que quelques secondes pour que cette substance reprenne sa place lorsque l’ingénieur eut remis le cylindre d’aplomb. Personne n’aurait pu deviner, en voyant cette expérience, qu’il ne s’agissait pas d’un liquide.

— Ce cylindre est clos, expliqua Lawrence, et nous avons fait le vide à l’intérieur, afin que la poussière se comporte comme elle le fait normalement sur la Lune. Dans l’air, les choses se passeraient en effet d’une façon différente. Cette poudre serait moins fluide ; elle réagirait plutôt comme du sable très fin ou comme du talc. Je vous préviens qu’il vous serait impossible de reconstituer une substance synthétique ayant les propriétés de celle-ci. Il a fallu des milliards d’années de dessication pour produire la poussière lunaire. Si vous voulez faire quelques expériences, nous vous en enverrons autant que vous pourrez le désirer : c’est une matière première qui ne nous fait pas défaut.

— Permettez-moi encore quelques remarques. Le Séléné se trouve à trois kilomètres de la terre ferme la plus proche, les Montagnes Inaccessibles. Il y a peut-être encore plusieurs centaines de mètres de poussière sous le bateau, encore que nous n’en sachions positivement rien. De même nous ignorons s’il n’y aura pas de nouveaux éboulements, bien que les géologues nous affirment que ce soit peu probable.

« Le seul moyen dont nous disposions pour atteindre le lieu du sinistre sont les « glisseurs ». Nous en avons deux à pied d’œuvre. Un troisième affecté à l’autre face de la Lune est en route pour nous rejoindre. Ces engins peuvent porter ou remorquer jusqu’à cinq tonnes de matériel, mais on ne peut pas mettre plus de deux tonnes par remorque. Ainsi donc il nous est impossible d’amener sur place un équipement réellement lourd.

« Telle est donc la situation. Nous disposons de quatre-vingt-dix heures. Avez-vous des suggestions à formuler ? J’ai pour ma part quelques idées, mais je préfère entendre d’abord les vôtres.

Il y eut un long silence, tandis que les membres du Comité, épars dans un espace de plus de quatre cent mille kilomètres de largeur, employaient leurs compétences diverses à méditer sur ce problème.

L’Ingénieur en Chef affecté à l’autre face de la Lune, et qui devait se trouver dans le voisinage de la station Joliot-Curie, rompit le premier le silence.

— J’ai le sentiment, dit-il, que nous ne pourrons rien faire de réellement décisif en quatre-vingt-dix heures. Il nous faudra construire un équipement spécial, et cela demande toujours beaucoup de temps. Donc il nous faudra d’abord établir une canalisation pour envoyer de l’oxygène au Séléné. Où se trouve, sur le bateau, le joint permettant cette opération ?

— Derrière l’entrée, à l’arrière, répondit Lawrence, mais je ne vois pas comment vous pourrez amener une canalisation jusque-là et la brancher, à quinze mètres de profondeur. En outre, tout sera obstrué par la poussière.

— J’ai une idée meilleure, dit quelqu’un. Faites passer un tuyau à travers le toit.

— Il en faudra deux, fit remarquer un autre membre du Comité. Un pour envoyer de l’oxygène, un autre pour évacuer l’air vicié.

— Cela veut dire qu’il faudrait recourir à l’installation complète d’un appareil purificateur d’air. Nous nous éviterions cette peine si nous pouvions sortir les gens du bateau avant que les quatre-vingt-dix heures soient écoulées.

— Ce serait jouer trop gros jeu. Une fois que le ravitaillement en air des naufragés sera assuré, nous pourrons prendre notre temps. Nous n’aurons plus à nous soucier de ce délai limite.

— J’accepte ce point de vue, dit Lawrence. En fait, j’ai déjà plusieurs hommes qui travaillent dans ce sens-là. La question qui se posera ensuite est la suivante : devrons-nous essayer de ramener le bateau à la surface avec tous ceux qui sont dedans, ou devrons-nous chercher une méthode pour les extraire du bateau individuellement ? Rappelez-vous qu’ils n’ont qu’un unique scaphandre à bord.

— Serait-il possible de descendre une sorte de couloir vertical, de très gros tube, jusqu’à la valve d’entrée, et de l’ajuster sur celle-ci ? demanda un des savants.

— C’est le même problème que pour atteindre le joint par où insuffler de l’oxygène. En fait, ce serait pire, car le point de connexion serait beaucoup plus vaste.

— Et que pensez-vous d’un coffrage qui entourerait tout le bateau ? Nous n’aurions qu’à le laisser descendre. Ensuite il ne nous resterait qu’à évacuer la poussière se trouvant à l’intérieur du coffrage.

— Il faudrait des tonnes et des tonnes de matériel. Et n’oubliez pas que la digue ainsi établie devrait être scellée au fond – à supposer que le bateau repose directement sur le sol. Sinon la poussière reviendrait par le bas aussi vite que nous l’évacuerions par le haut.

— Est-ce qu’on peut pomper cette substance ? demanda quelqu’un d’autre.

— Oui, mais avec un matériel approprié. On ne peut pas la pomper par aspiration, naturellement. Il faut la soulever. Une pompe normale ne servirait à rien.

— Cette poussière, grommela l’ingénieur adjoint de Port Roris, a les pires propriétés des liquides et des solides, sans en avoir les avantages. Elle ne bouge pas quand on le désire, elle ne reste pas immobile quand ce serait nécessaire.

— Puis-je faire une remarque, dit le Père Ferraro, le géophysicien qui avait été le premier à signaler le séisme lunaire et qui parlait de l’observatoire Platon. Ce mot de « poussière » risque d’engendrer des malentendus. Ce que nous appelons la poussière lunaire est une substance qui n’existe pas sur la Terre, qui donc n’a aucun nom dans nos langages. Mon collègue du Comité qui vient de parler avant moi a parfaitement raison : parfois on a l’impression qu’il s’agit d’un liquide non mouillant, comme le mercure, par exemple, mais beaucoup plus léger, et parfois c’est un solide qui coule, un peu comme l’asphalte minéral – avec cette différence, naturellement, qu’il coule beaucoup plus vite.

— Existe-t-il un moyen de stabiliser cette substance ? demanda quelqu’un.

— Je pense que c’est une question pour les savants de la Terre, dit Lawrence. Docteur Evans, voudriez-vous nous donner votre opinion sur ce point ?

Il fallut attendre les quelques secondes nécessaires pour que la question aille à destination et que la réponse revienne. Ces secondes-là semblaient toujours longues. Puis la voix du physicien se fit entendre, presque aussi nette que s’il avait été dans la salle.