— Oh ! fit le Néo-Zélandais, ces soucoupes volantes avaient fait leur apparition bien avant… Mais c’est seulement au siècle dernier que les gens ont commencé à en prendre souci. Il existe dans une abbaye anglaise un vieux manuscrit daté de 1290 qui en décrit une – et il existe sur ce sujet des textes plus anciens encore. Plus de dix mille soucoupes volantes ont été vues et signalées avant le vingtième siècle.
— Une minute, dit Pat. Qu’entendez-vous par «soucoupe volante »? Je n’ai jamais entendu parler de cela. .
— Je crains bien, reprit Radley d’une voix attristée, que votre éducation n’ait été négligée. Les mots « soucoupe volante » étaient d’un usage général après 1947 pour décrire les étranges véhicules en forme de disques qui depuis des siècles venaient enquêter sur notre planète. Certaines personnes préféraient les nommer des « objets volants non identifiés. »
Ces explications réveillèrent quelques vagues souvenirs dans l’esprit de Pat. Il avait en effet entendu parler de « soucoupes » à propos d’hypothétiques créatures venues des étoiles. Mais il n’y avait naturellement aucune preuve concrète que des astronefs étrangers eussent jamais pénétré dans le système solaire.
— Croyez-vous réellement, demanda un des passagers, que des visiteurs de l’espace se promènent autour de la Terre ?
— Ils font mieux, répondit Radley. Ils ont souvent atterri sur notre planète et pris contact avec des créatures humaines. Avant que nous nous installions sur la Lune, ils avaient une base sur l’autre face de celle-ci, mais ils l’ont détruite dès que les fusées ont commencé à prendre des photos à basse altitude.
— Comment savez-vous tout cela ? demanda quelqu’un d’autre.
Radley semblait complètement indifférent au scepticisme de son auditoire. Il devait y être habitué depuis longtemps. Il possédait une foi intime qui, si mal fondée qu’elle fût, était étrangement convaincante. Sa folie l’avait transporté dans un domaine situé au-delà de la raison, et il était très heureux ainsi.
— Mous avons… des contacts, dit-il sur le ton d’un homme qui en sait long. Un petit nombre d’hommes et de femmes ont pu établir des communications télépathiques avec les occupants des soucoupes. C’est ainsi que nous savons beaucoup de choses sur eux.
— Comment se fait-il que personne d’autre n’est au courant ? demanda un autre mécréant. Si réellement ils se promènent dans nos parages, pourquoi nos astronomes et nos pilotes de l’espace ne les ont-ils jamais vus ?
— Oh ! Ils les ont vus, répondit Radley avec un sourire de pitié. Mais ils ne disent rien. Il y a une conspiration du silence parmi les savants. Ils n’aiment pas admettre qu’il y a dans l’espace des intelligences supérieures à la nôtre. C’est pourquoi, lorsqu’un pilote signale qu’il a vu une soucoupe, on se moque de lui. Quand un astronaute maintenant en voit une, il se tait.
— En avez-vous rencontré, Commodore ? demanda Mrs Schuster, qui visiblement était à demi convaincue. Ou bien participez-vous à ce que Mr Radley appelle une conspiration du silence ?
— Je regrette beaucoup de vous désappointer, fit Hansteen. Mais je vous donne ma parole que tous les astronefs que j’ai rencontrés dans l’espace étaient dûment enregistrés et aisément identifiables.
Il regarda Pat et lui fit un petit signe.
— Allons bavarder un instant dans la valve d’entrée, lui dit-il.
Maintenant qu’il était tout à fait convaincu que Radley était inoffensif, il se réjouissait presque de cette diversion. Elle avait en effet amené les passagers à ne plus penser à la situation dans laquelle ils se trouvaient. Si la pointe de folie du Néo-Zélandais pouvait continuer à les distraire, ce serait tant mieux.
— Eh bien, demanda Hansteen, lorsque la porte de la valve se fut refermée sur eux, que pensez-vous de ce personnage ?
— Croit-il réellement à ces absurdités ?
— Il y croit dur comme fer. J’ai déjà rencontré ce genre de folie.
Le Commodore en savait assez long sur l’obsession particulière de Radley. C’était d’ailleurs le cas de tous ceux qui s’étaient intéressés aux aspects de l’astronautique au vingtième siècle. Quand il était jeune, il avait lu quelques-uns des ouvrages consacrés aux soucoupes volantes. Ces ouvrages témoignaient d’un tel penchant pour la tromperie ou d’une naïveté si enfantine qu’il avait été ébranlé dans sa croyance que l’homme est une créature raisonnable. Qu’une telle littérature ait pu fleurir était un phénomène troublant. Il fallait toutefois se souvenir que de tels livres avaient été publiés à une époque de psychose, dans les premières années de la seconde moitié du vingtième siècle.
— C’est une chose bien curieuse, dit Pat, que dans la situation où nous nous trouvons, les passagers discutent de soucoupes volantes.
— Je pense que c’est une très bonne chose. Qu’auriez-vous pu trouver de mieux ? Car il faut voir la réalité en face. Nous n’avons absolument rien d’autre à faire que d’attendre, jusqu’au moment où Lawrence viendra de nouveau cogner sur notre toit.
— S’il est toujours là. Barrett a peut-être raison… Le radeau a peut-être sombré…
— Je pense que c’est très improbable… Il n’y a eu qu’une très légère secousse. De combien de mètres croyez-vous que nous nous sommes enfoncés ?
Pat réfléchit à la chose. Il lui semblait maintenant que l’incident avait été très long. Le fait qu’ils étaient presque dans l’obscurité et qu’il avait dû lutter contre le jet de poussière avait encore contribué à brouiller ses souvenirs. Il ne pouvait que répondre au hasard.
— Je dirais… dix mètres.
— Certainement pas… Toute l’affaire n’a pas duré plus de deux secondes. Je doute que nous soyons descendus de plus de deux ou trois mètres.
Pour Pat, cela parut difficile à croire. Mais il espéra que le Commodore avait raison. Il savait qu’il était extrêmement difficile de juger de l’étendue exacte d’un faible déplacement, surtout quand on était en état de panique. Hansteen était le seul homme à bord qui eût assez l’expérience de ces choses. Son estimation était probablement correcte. Elle était en tout cas rassurante.
— Il est possible, reprit le Commodore, qu’ils n’aient rien senti du tout à la surface. Et ils se demandent probablement pourquoi ils ne peuvent pas reprendre contact avec nous. Etes-vous sûr que nous ne pouvons absolument rien faire pour remettre la radio en marche ?
— Absolument sûr. Il n’y a aucun moyen d’atteindre de l’intérieur de la cabine les fils qu’il faudrait dégager pour faire une connexion.
— Vous avez certainement raison. Nous ferions aussi bien de retourner avec les autres, pour écouter Radley. Il finira peut-être par nous convertir !
Jules Braques, avec sa caméra, avait déjà suivi les « glisseurs » pendant quatre ou cinq cents mètres lorsqu’il s’aperçut que tous les hommes en scaphandre n’y avaient pas pris place. Ils n’étaient que sept. Or ils avaient été huit sur le radeau.
Il braqua de nouveau sa caméra sur celui-ci, et par une de ces chances ou de ces prémonitions qui distinguent les cameramen brillants de ceux qui ne sont que passables, il fit cette opération juste au moment où Lawrence rompait enfin le silence.
— L’Ingénieur en Chef appelle… disait Lawrence, sur le ton d’un homme fatigué et dont les plans soigneusement étudiés ont échoué. Je m’excuse du retard apporté au sauvetage, mais comme vous avez pu le comprendre, nous avons eu un incident. Il semble qu’un autre éboulement se soit produit sous le Séléné. Nous ne savons pas quelle peut être son étendue. Nous avons perdu tout contact physique avec le bateau, et celui-ci ne répond pas à la radio.