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Il avait d’ailleurs toujours été convaincu que Lawrence ne les croyait pas morts et ne les abandonnerait pas. Et pourtant ils avaient tous vécu dans un doute terrible.

Le tube résonna de nouveau, mais cette fois plus lentement. Il était difficile d’avoir à se rappeler le morse… Celui-ci semblait, à cette époque, un tel anachronisme que les élèves pilotes et les futurs ingénieurs de l’espace protestaient amèrement quand on les obligeait à l’apprendre. Ils estimaient que c’était un gaspillage de temps. Ils pensaient qu’ils n’auraient jamais à s’en servir au cours de leur vie. Et pourtant…

En ce moment, sur le radeau et dans le Séléné, la connaissance de l’alphabet morse était réellement vitale.

Taaa ti ti, résonnait le tube, ti… ti ti ti taaa… ti ti… ti ti ti… ti ti ti… ti… taa taa ti ti.

Après une brève pause et pour qu’il n’y ait pas d’erreur, le mot fut répété. Mais déjà Pat et le Commodore, bien que leur connaissance du morse fût un peu rouillée, avaient compris le message.

— Ils nous disent de dévisser la foreuse, s’écria Pat. Eh bien, faisons-le immédiatement.

La brusque fuite de l’air provoqua dans la cabine un instant d’inutile panique, tandis que la pression s’égalisait. Puis le tuyau fut relié au monde extérieur. Les passagers attendaient anxieusement qu’arrivent les premières bouffées d’oxygène…

Au lieu de cela, le tube se mit à parler.

Par le petit orifice, une voix se fit entendre, creuse et sépulcrale, mais parfaitement claire. Elle était si forte, si nette et si inattendue que tout le monde pendant un instant resta béant de surprise.

Il est probable qu’ils n’étaient même pas une demi-douzaine, parmi ces hommes et ces femmes, à connaître l’existence du tube acoustique. Ils avaient vécu dans cette idée que seuls des procédés électroniques pouvaient permettre de transporter la voix à travers l’espace. Cette rénovation d’un moyen ancien était pour la plupart d’entre eux une nouveauté du même ordre que l’eût été le téléphone pour les Grecs de l’antiquité.

— C’est l’Ingénieur en Chef Lawrence qui vous parle. M’entendez-vous ?

Pat mit ses mains en cornet devant l’ouverture et répondit lentement :

— Je vous entends parfaitement bien. Et vous ?

— Je vous entends clairement. Comment êtes-vous ?

— Très bien… Mais que s’est-il passé ?

— Vous vous êtes enfoncés d’un mètre ou deux… Pas plus. C’est à peine si nous nous sommes aperçu de quoi que ce soit jusqu’au moment où les tuyaux ont été arrachés. Où en êtes-vous pour l’oxygène ?

— Ça va pour le moment. Mais plus vite vous pourrez nous alimenter, mieux cela vaudra.

— Ne vous inquiétez pas… Nous allons vous envoyer de l’oxygène dès que nous aurons nettoyé nos filtres qui sont pleins de poussière et dès que nous aurons reçu de Port Roris une nouvelle tète foreuse. Celle que vous venez de dévisser était la seule que nous ayons en réserve, et c’était une chance.

Ainsi donc, se dit Pat, il va falloir attendre une heure avant que nous soyons approvisionnés en air. Toutefois ce n’était pas ce problème qui le préoccupait le plus. Il savait par quel moyen Lawrence avait espéré pouvoir les sortir du bateau. Et il se rendait compte que ce plan n’était plus valable maintenant que le Séléné ne se trouvait plus dans une position horizontale.

— Comment allez-vous nous tirer de là ? demanda-t-il brusquement.

Lawrence n’eut qu’une très légère hésitation avant de répondre.

— Je n’ai pas encore examiné les détails de l’opération. Mais nous ajouterons une autre section au caisson et continuerons à descendre le tout jusqu’à ce que nous soyons à bout de course. Cela nous mettra à quelques centimètres seulement de vous.

Et nous comblerons cet espace d’une façon ou d’une autre. Mais il est une chose que je voudrais que vous fassiez dès maintenant.

— Laquelle ?

— Je suis sûr, à quatre-vingt-dix pour cent, que votre bateau ne bougera plus désormais. Mais s’il devait le faire, j’aimerais mieux que ce soit tout de suite. Ce que je vous demande, c’est de sauter tous, en cadence, dans la cabine, pendant une minute ou deux.

— Est-ce bien prudent ? demanda Pat. Supposez que ce tuyau soit arraché de nouveau…

— Alors, nous le remettrons. Un autre petit trou n’aura pas d’importance. Mais un autre affaissement en aurait beaucoup, surtout s’il venait à se produire au moment où nous percerons dans le toit un orifice assez grand pour permettre le passage d’un homme…

Il y avait déjà eu dans le Séléné des scènes bien étranges, mais celle qui eut lieu alors fut bien la plus étrange de toutes. Vingt-deux hommes et femmes sautaient gravement à l’unisson, montant jusqu’au plafond et se laissant retomber le plus vigoureusement possible sur le plancher.

Pendant que les passagers se livraient à cet étonnant exercice, Pat observait attentivement le tube qui les reliait au monde extérieur.

Après une minute d’efforts exténuants, le Séléné s’était à peine enfoncé de deux centimètres.

Pat fit part de ce résultat à Lawrence qui l’accueillit avec satisfaction. Maintenant que l’ingénieur était raisonnablement sûr que le Séléné ne bougerait plus, il envisageait de nouveau avec confiance la possibilité de sortir ces gens du bateau. Il ne savait toutefois pas encore exactement de quelle façon il s’y prendrait, mais un plan commençait à se former dans son esprit.

Ce plan prit forme dans les douze heures qui suivirent, au cours de conférences qu’il eut avec son « brain trust » et d’expériences qui furent faites dans la Mer de la Soif.

Les services techniques en avaient appris beaucoup plus sur la poussière lunaire au cours de la semaine écoulée que depuis que les hommes étaient sur la Lune. On ne se battait plus dans le noir contre un ennemi inconnu. On savait maintenant quelles libertés on pouvait prendre avec la poussière, et on savait aussi ce qu’il n’était pas permis de faire avec elle.

Malgré la rapidité avec laquelle le nouveau plan fut établi, et construit le matériel nécessaire, rien ne fut fait avec une hâte inconsidérée, ni avec un manque de soin. Car il s’agissait encore d’une opération qu’il fallait réussir du premier coup. Si elle échouait, en mettant les choses au mieux il faudrait abandonner le caisson et en descendre un autre dans la Mer de la Soif. Et si tout tournait mal, ceux qui étaient à bord du Séléné périraient étouffés dans la poussière.

* * *

— Ce fut un très intéressant problème, déclara Tom Lawson, qui aimait les problèmes intéressants – et n’aimait pas grand-chose d’autre.

Il parlait de nouveau pour la télévision, dans le studio qui avait été improvisé à Port Roris.

— L’extrémité inférieure du caisson, poursuivit-il, reste ouverte sur la poussière, car elle ne repose qu’en un point sur le toit du Séléné. Celui-ci étant en pente, un contact hermétique est en effet impossible. Avant que l’on puisse pomper la poussière, il faut donc clore le bas du caisson.

« J’ai dit pomper… C’était une erreur. On ne peut pas pomper cette substance. Il faut la soulever, l’écoper. Mais si nous tentions de le faire en l’état actuel des choses, elle remonterait par le fond du puits aussi vite que nous l’évacuerions par en haut.

Tom Lawson fit une pause et eut un sourire sardonique à l’adresse des millions de téléspectateurs qui le regardaient et qui l’écoutaient, comme s’il les mettait au défi de résoudre le problème qu’il venait de poser. Il laissa pendant un instant ses auditeurs méditer sur ce problème, puis il prit une maquette qui se trouvait sur la table du studio. Bien que cette maquette fût extrêmement simple, il en était passablement fier car il l’avait faite lui-même. Personne n’aurait pu deviner, en la voyant sur l’écran, qu’elle n’était qu’en carton, et peinte à l’aluminium.