— Ce tube, dit-il, ne représente qu’une courte section du caisson qui maintenant mène jusqu’au Séléné – et qui, comme je vous l’ai dit, est plein de poussière. Maintenant, regardez ceci…
Avec son autre main, il prit un cylindre fermé à une de ses extrémités.
— Ceci, reprit-il, peut entrer dans le caisson, exactement mais aisément, comme le ferait un piston. Ce cylindre est très lourd et devrait descendre dans la poussière sous son propre poids. Mais il ne le pourra pas, naturellement, puisqu’il est fermé à cette extrémité et que la poussière serait emprisonnée sous lui.
Tom fit tourner le piston de façon à montrer son extrémité close à la caméra. Il pressa avec son doigt au centre de la surface circulaire, et une petite trappe s’ouvrit.
— Ceci fonctionne comme une valve, dit-il. Quand elle est ouverte, la poussière peut entrer et le piston peut s’enfoncer dans le puits. Dès qu’il atteindra le fond, la valve sera refermée par une commande actionnée d’en haut. Le caisson sera alors clos hermétiquement et on pourra commencer à retirer la poussière.
« Tout cela paraît simple, n’est-ce pas ? Mais ça ne l’est pas. Il y a au moins cinquante problèmes que je n’ai pas mentionnés. Par exemple, quand le caisson sera vide, il aura tendance à remonter à la surface, sous une pression de plusieurs tonnes. L’Ingénieur en Chef Lawrence a conçu un ingénieux système d’ancrage pour le maintenir.
« Vous comprendrez, naturellement, que même quand la poussière aura été vidée de ce gros tube, il y aura toujours ce même espace en forme de coin entre sa partie inférieure et le toit du Séléné. Je ne sais pas encore comment Mr Lawrence se propose de résoudre ce problème. Mais, je vous en supplie, ne m’envoyez plus de suggestions. Nous avons déjà reçu assez d’idées boiteuses pour meubler un programme pendant des années…
« Ce piston, ce cylindre, n’est pas une simple théorie. Ici, les ingénieurs en ont construit un et l’ont expérimenté au cours des douze dernières heures. Il est maintenant en action. Et si je comprends bien le signe qu’on me fait, je vais disparaître de l’écran, et vous allez retourner dans la Mer de la Soif pour voir ce qui se passe sur le radeau.
Le studio temporaire aménagé dans l’Hôtel Roris disparut pour des millions de téléspectateurs et fut remplacé par un décor qui maintenant était devenu familier pour toute l’espèce humaine.
Il y avait maintenant trois igloos de diverses dimensions sur le radeau ou à côté. Le soleil brillait sur leurs surfaces et ils ressemblaient à des gouttes de mercure géantes. Un des « glisseurs » était rangé près du dôme principal. Les deux autres faisaient la navette pour amener du ravitaillement et du matériel de Port Roris.
Pareil à l’ouverture d’un puits, le caisson était visible au-dessus de la surface de la mer. Son rebord n’était qu’à une vingtaine de centimètres de la poussière. L’entrée semblait si étroite qu’il semblait difficile qu’un homme pût y pénétrer. C’eût été en effet une opération difficile pour quelqu’un portant un scaphandre. Mais la partie cruciale du travail serait faite sans scaphandre protecteur…
A intervalles réguliers, un grappin de forme cylindrique disparaissait dans le puits et était remonté à la surface quelques secondes plus tard par une grue petite mais puissante. Chaque fois le cylindre était éloigné de l’ouverture et dégorgeait dans la mer son contenu de poussière. Un petit monticule gris se formait alors à la surface de la mer, et y restait un bref instant en équilibre, mais il commençait à se tasser lentement, et il avait complètement disparu avant qu’une nouvelle charge remontât du puits. Le phénomène était étrange à observer, et beaucoup mieux que n’auraient pu le faire de longues explications, il montrait aux téléspectateurs tout ce qu’ils souhaitaient savoir sur la Mer de la Soif.
Le grappin devait plonger de plus en plus profond dans le puits, et un moment arriva où il ne ramena plus qu’un demi-chargement.
La voie vers le Séléné était ouverte. Ouverte sous réserve qu’il restait encore un terrible obstacle à franchir.
Chapitre XIV
— Nous avons toujours un très bon moral, déclara Pat devant le microphone qui avait été maintenant descendu par le tube à air. Naturellement, nous avons éprouvé un gros choc après le second éboulement, lorsque nous avons perdu le contact avec vous – mais maintenant nous sommes sûrs que vous nous sortirez rapidement de là. Nous pouvons entendre maintenant le grappin, qui retire la poussière, et c’est une chose merveilleuse pour nous que de vous savoir maintenant si près du but. Nous n’oublierons jamais – ajouta Pat avec quelque gaucherie – les efforts que tant de gens ont faits pour nous secourir, et quoi qu’il arrive, nous tenons à les remercier. Nous sommes tous convaincus que tout ce qu’il a été possible de faire a été fait.
« Et maintenant, je vais quitter le micro, car plusieurs d’entre nous ont des messages qu’ils désirent expédier. Avec un peu de chance, ce seront les derniers transmis par le Séléné.
Comme il passait le micro à Mrs Williams, il comprit qu’il aurait dû tourner autrement sa dernière phrase. Elle pouvait être en effet interprétée de deux façons. Mais maintenant que l’équipe de sauveteurs était si près, il refusait d’admettre la possibilité de nouveaux incidents. Ils avaient déjà subi tant d’épreuves qu’à coup sûr il ne pouvait maintenant rien leur arriver de fâcheux.
Il n’ignorait pas, pourtant, que la dernière phase de l’opération serait la plus difficile, la plus critique de toutes. Ils en avaient discuté sans fin au cours des dernières heures, depuis que l’Ingénieur en Chef Lawrence leur avait expliqué son plan. C’était devenu leur seul sujet de conversation depuis que – d’un commun accord – ils avaient décidé de ne plus parler de soucoupes volantes.
Ils auraient évidemment pu continuer la lecture des livres, mais Shane tout aussi bien que L’Orange et la Pomme avaient cessé de les intéresser. Personne ne pouvait se concentrer sur quelque sujet que ce soit, à l’exception de leur sauvetage prochain et du renouveau de vie que serait pour eux leur retour parmi leurs semblables.
Au-dessus d’eux, il y eut soudain un gros choc. Cela ne pouvait signifier qu’une chose : le grappin avait atteint le fond du puits, et le caisson, maintenant, ne contenait plus de poussière. Il pouvait maintenant être accouplé à un des igloos et rempli d’air.
Il fallut plus d’une heure pour réaliser cette connexion et faire tous les essais nécessaires.
L’igloo, qui avait été spécialement modifié, avec une ouverture à sa base juste assez large pour emboîter la partie du caisson surplombant la poussière, devait être mis en place et gonflé avec le plus grand soin. La vie des passagers du Séléné, et aussi de ceux qui allaient tenter de les sauver, allait dépendre de son imperméabilité.
L’Ingénieur en Chef Lawrence, qui était entré dans cet igloo, ne quitta son scaphandre que lorsqu’il eut la certitude que tout était bien en place. Il s’approcha du trou béant avec un projecteur et contempla le puits qui semblait s’enfoncer vertigineusement jusqu’à l’infini. Le fond n’était pourtant qu’à dix-sept mètres. Même avec la faible pesanteur, un objet lâché ne mettrait que quelques secondes pour l’atteindre.