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Mais bientôt le capitaine atteignait le sommet du caisson et surgissait au centre d’un igloo fantastiquement surpeuplé. Partout, autour de lui, il vit ses compagnons, ses passagers, plus ou moins épuisés, dépeignés, défaits. Ils étaient aidés et secourus par quatre hommes en scaphandres et un cinquième sans scaphandre qui devait être l’Ingénieur en Chef Lawrence.

Pat trouva étrange de voir de nouveaux visages, après toutes ces journées…

— Tout le monde est-il sorti ? demanda Lawrence d’une voix anxieuse.

— Oui, dit Pat. C’était moi le dernier.

Mais il ajouta :

— Du moins je l’espère…

Il venait en effet de se demander si dans l’obscurité et la confusion des dernières minutes, quelqu’un n’était pas resté en arrière… Radley, par exemple, qui aurait pu décider de ne pas affronter la justice à son retour en Nouvelle-Zélande.

Non. Il était là avec les autres.

Pat commençait à compter les passagers lorsqu’il y eut une brusque secousse dans le plancher en matière plastique, tandis que du puits toujours ouvert jaillissait un cercle de poussière pareil à un rond de fumée. Il frappa le plafond de l’igloo, rebondit et se désintégra avant que personne ait pu bouger.

— Que diable est-ce donc ? demanda Lawrence.

— Les réservoirs d’oxygène qui viennent de sauter, répondit Pat Harris. Pauvre vieux bus ! Il aura tenu le coup juste le temps qu’il fallait…

Alors, à sa grande confusion, le capitaine du Séléné se mit à pleurer.

Chapitre XVI

— Je ne pense pas que ces drapeaux soient une bonne idée, dit Pat, tandis que le bateau s’éloignait de Port Roris. Quand on sait qu’ils flottent dans le vide, ils semblent faux.

Il devait pourtant admettre que l’illusion était parfaite, car les oriflammes alignés autour de l’embarcadère s’agitaient et flottaient dans une brise… qui n’existait pas. Le mouvement était donné par des ressorts et des moteurs électriques, et ce petit stratagème mettrait sans doute quelque confusion dans les idées des touristes venus de la Terre.

C’était une grande journée pour Port Roris, et même pour la Lune tout entière. Pat regrettait que Susan n’ait pas pu venir. Mais elle n’était guère en état de faire cette promenade. Le matin même, tandis qu’elle l’embrassait avant qu’il ne partît, elle lui avait dit :

— Je n’arrive pas à comprendre comment les femmes sur la Terre peuvent avoir des bébés. Je ne m’imagine pas portant ce poids avec une pesanteur six fois plus élevée.

Mais Pat détourna ses pensées de sa prochaine paternité et se consacra au pilotage du Séléné II, qu’il poussa au maximum de sa vitesse. Dans la cabine, derrière lui, les trente-deux passagers poussaient des « oh ! » et des « ah ! » tandis que les grises paraboles de poussière s’élevaient vers le soleil comme des arcs-en-ciel monochromes. Ce premier voyage du bateau, ce voyage d’inauguration, avait lieu en plein jour. Les voyageurs seraient privés de la magique phosphorescence de la mer, de la randonnée nocturne jusqu’au Lac du Cratère par la gorge étroite, du glorieux spectacle de la Terre verte et immobile. Mais la nouveauté et l’excitation du voyage constituaient la principale attraction : grâce au triste destin de son prédécesseur, le Séléné II était un des vaisseaux les plus connus dans le système solaire.

Cela confirmait le vieux dicton d’après lequel il n’y a rien de tel qu’une mauvaise publicité. Maintenant que de nombreuses places étaient retenues d’avance, le directeur du Comité Touristique était très heureux d’avoir pris son courage à deux mains et insisté pour qu’on fît un bateau plus grand. Au début, il avait même dû lutter pour obtenir qu’on acceptât simplement l’idée d’un nouveau bateau. « Chat échaudé craint l’eau froide, » disait l’Administrateur en Chef, et pour qu’il cédât il avait fallu que le Père Ferraro et le service géophysique apportent des preuves formelles qu’il n’y aurait pas de nouveau séisme dans la Mer de la Soif avant un million d’années.

— Maintenez le bateau dans cette direction, dit Pat à son copilote. Je vais aller voir nos clients.

Pat était encore assez jeune – avec une petite pointe de vanité – pour être sensible aux regards admiratifs qu’on lui jetait tandis qu’il traversait la cabine des passagers. Tout le monde, à bord, avait lu son histoire ou l’avait vu à la télévision. En fait, la seule présence de ces gens était l’équivalent d’un vote de confiance.

Pat savait fort bien que d’autres partageaient son mérite, mais il n’avait aucune fausse modestie quant au rôle qu’il avait joué durant les dernières heures du Séléné I.

L’objet le plus précieux qu’il possédait était un petit modèle du bateau défunt en or massif, cadeau de noces qui avait été adressé à Mr. et Mrs Harris, « de la part de tous ceux qui ont été du dernier voyage, et avec leurs sincères félicitations. » Pour lui, c’était le seul témoignage qui comptait, et il n’en désirait pas d’autre.

Il était arrivé au milieu de la cabine, après avoir échangé quelques mots de-ci de-là avec plusieurs passagers, lorsqu’il s’arrêta net.

— Hello ! Capitaine, lui disait une voix inoubliable, vous semblez surpris de me voir.

Pat se ressaisit et arbora son plus beau sourire officiel.

— C’est certainement pour moi un plaisir inattendu, Miss Morley. J’ignorais que vous étiez sur la Lune.

— Pour moi aussi c’est presque une surprise, car je ne pensais pas y revenir. Je dois cela au récit que j’ai écrit sur le Séléné I. Je fais ce voyage pour «La Vie Interplanétaire ».

— J’espère, dit Pat, que cette fois-ci ce sera un peu moins mouvementé que la dernière fois. Au fait, êtes-vous restée en contact avec les autres ? Le docteur McKenzie et les Schuster nous ont écrit il y a quelques semaines, mais je me suis souvent demandé ce qui était arrivé à ce pauvre petit Radley que Harding avait démasqué.

— Oh ! Il ne lui est rien arrivé, si ce n’est qu’il a perdu son emploi. L’agence de voyages pour qui il travaillait a estimé que si elle le faisait poursuivre, il aurait la sympathie du public, et qu’en outre son exemple pourrait donner à d’autres l’idée de l’imiter. Il vit, je crois, en faisant des conférences devant les amateurs de soucoupes volantes. Il explique à ces croyants ce qu’il a découvert sur la Lune. Et je vais vous faire une prédiction, Capitaine Harris.

— Laquelle ?

— Il reviendra ici un jour ou l’autre.

— Je l’espère bien. Je n’ai jamais compris ce qu’il espérait découvrir dans la Mare Crisium.

Ils se mirent à rire tous les deux. Puis Miss Morley reprit :

— J’ai entendu dire que vous vouliez quitter votre emploi.

Pat la regarda, l’air un peu gêné.

— C’est exact, admit-il. Je vais entrer dans les services de l’espace. Si toutefois je peux passer les tests.

Il n’était pas sûr qu’il le pourrait, mais il savait qu’il devait faire pour cela l’effort nécessaire. Conduire une sorte d’autocar lunaire avait été un métier intéressant et agréable. Mais c’était aussi une impasse – ainsi que Susan et le Commodore l’en avaient convaincu. Il avait aussi une autre raison…

Souvent il s’était demandé combien d’autres vies, en dehors de la sienne, avaient été transformées ou au moins modifiées du fait qu’ils avaient été engloutis par un bâillement de la Mer de la Soif sous les étoiles. Personne, parmi ceux qui étaient à bord du Séléné I, n’avait pu ne pas être marqué par cette expérience – et le changement, dans la plupart des cas, avait dû être heureux. Le fait qu’en ce moment il avait une conversation amicale avec Miss Morley en était une preuve.