L’événement devait avoir eu aussi un profond effet sur les hommes qui avaient joué un rôle actif dans les opérations de sauvetage – en particulier le docteur Lawson et l’Ingénieur en Chef Lawrence. Pat avait vu maintes fois Lawson participer à la télévision, sur un ton irascible, à des conférences sur des sujets scientifiques. Il éprouvait de la reconnaissance pour l’astronome, mais il jugeait impossible de l’aimer. Il semblait toutefois que des millions de gens avaient pour lui de l’affection.
Quant à Lawrence, il travaillait d’arrache-pied à ses mémoires intitulés « Un Homme parle de la Lune. » Il était d’ailleurs furieux d’avoir signé le contrat. Pat l’avait déjà aidé à rédiger les chapitres concernant le Séléné, et Sue relisait les pages dactylographiées tout en attendant son bébé.
— Excusez-moi, dit Pat en se rappelant ses devoirs de capitaine. Il faut que je m’occupe des autres passagers. Mais, je vous en prie, venez nous voir quand vous irez à Clavius City.
— Je n’y manquerai pas, dit Miss Morley, un peu surprise par cette invitation, mais visiblement contente qu’elle lui eût été faite.
Pat poursuivit sa marche vers l’arrière de la cabine, échangeant des salutations, répondant à des questions. Puis il pénétra dans la valve d’entrée et ferma la porte derrière lui, se trouvant brusquement seul.
La valve d’entrée du Séléné II était plus grande que celle du bateau disparu, mais sa disposition et son aspect étaient les mêmes. Il n’était donc pas surprenant que Pat fût envahi par une foule de souvenirs. Ce scaphandre aurait pu être celui dont il avait partagé l’oxygène avec McKenzie et avec les passagers endormis. Cette paroi ressemblait à celle contre laquelle il avait appuyé son oreille pour entendre dans la nuit le murmure de la poussière en mouvement. Et cet endroit clos, en vérité, était tout pareil à celui où il avait connu Susan pour la première fois, au sens littéral et biblique du mot.
Il y avait une innovation dans ce nouveau modèle : la petite fenêtre dans la porte donnant sur l’extérieur. Il y appuya son visage et regarda la surface de la mer.
C’était du côté du bateau qui n’était pas tourné vers le soleil, du côté où l’on voyait la sombre nuit de l’espace. Bientôt, tandis que ses yeux s’adaptaient aux ténèbres du ciel, il put voir les étoiles. Mais seulement les plus brillantes, car sa rétine était encore trop sensibilisée par la lumière qui se glissait sur les côtés. Mais les reines du ciel étaient là – et aussi Jupiter, la plus éclatante des planètes après Vénus.
Bientôt il s’envolerait dans ces espaces, loin de son monde natal. Cette pensée l’exaltait et le terrifiait, mais il savait qu’il devait partir.
Il aimait la Lune. Mais celle-ci avait tenté de le tuer. Plus jamais il ne se sentirait tout à fait à l’aise à sa surface. Bien que les libres espaces fussent encore plus hostiles et menaçants, ceux-ci, jusqu’à maintenant, ne lui avaient pas déclaré la guerre. Tandis qu’avec son propre monde il n’aurait pu vivre désormais que dans un état de neutralité armée.
La porte de la cabine s’ouvrit et l’hôtesse entra avec un plateau chargé de tasses vides. Pat quitta la fenêtre, abandonna les étoiles. La prochaine fois où il les verrait, elles seraient un million de fois plus brillantes.
Il sourit à la jeune femme vêtue d’un uniforme impeccable et lui montra de la main l’endroit où ils étaient et la petite cuisine voisine.
— Tout cela est votre domaine, dit-il. Prenez-en soin.
Puis il regagna le poste de contrôle pour faire faire au Séléné II son premier voyage sur la Mer de la Soif, et pour y faire lui-même son dernier voyage.