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Plus de la moitié des passagers étaient maintenant plongés dans le sommeil. Tout compte fait, pensa Pat, les choses se passent fort bien. Le Commodore Hansteen avait été trop pessimiste. L’équipe chargée d’éviter la panique n’avait pas à intervenir.

Mais brusquement, et avec un sentiment de malaise, il remarqua quelque chose qui venait contredire ses bonnes impressions. Le Commodore, au fond, et comme toujours, avait eu parfaitement raison de prendre ses précautions. Car il apparaissait maintenant que Miss Morley n’aurait pas été la seule à leur donner des ennuis…

* * *

Depuis au moins deux ans Lawrence n’avait pas habité dans un igloo.

Il y avait eu une époque, alors qu’il n’était qu’un jeune ingénieur, où on ne logeait – quand on travaillait hors des bases – que dans de petites constructions faites de murs rigides. Mais depuis lors, naturellement, tout avait été amélioré et perfectionné. Il était courant, maintenant, que l’on vécût dans une demeure qui, quand elle était pliée, pouvait tenir dans une petite malle.

Le modèle qu’il utilisait maintenant était un des plus récents. Il pouvait abriter six hommes pendant une période indéfinie, à condition, bien entendu, qu’ils fussent ravitaillés en énergie électrique, en eau, en vivres et en oxygène. L’igloo fournissait tout le reste, et même les distractions car il possédait une micro-bibliothèque de livres, de disques et de films. Ce n’était pas un luxe extravagant, et les occupants en faisaient le plus grand usage. Car, dans l’espace, l’ennui est mortel ; il mettait plus longtemps pour vous tuer que – par exemple – une fuite d’air, mais il pouvait avoir des effets tout aussi déplorables, et sous une forme pire.

Lawrence se pencha pour pénétrer dans la valve d’entrée. Il se rappelait qu’avec les vieux modèles il fallait pratiquement se mettre à quatre pattes. Il attendit le signal indiquant que la pression était égalisée, puis il entra dans la pièce principale, de forme hémisphérique.

On avait l’impression d’être à l’intérieur d’un ballon. Et en fait c’était bien cela. De la pièce dans laquelle il était entré, Lawrence ne pouvait voir qu’une partie de l’intérieur, car celui-ci était divisé en plusieurs compartiments par des écrans mobiles. (Et c’était encore un raffinement : autrefois, la seule intimité dont on pouvait jouir était celle que donnait un rideau à l’entrée du cabinet de toilette.)

A trois mètres au-dessus du sol il y avait la lumière et le dispositif de conditionnement d’air, suspendu au plafond par un réseau élastique. Le long du mur courbe, on voyait des râteliers mobiles, qui n’avaient été installés qu’en partie. Derrière l’écran le plus proche une voix se faisait entendre. Elle donnait lecture d’un inventaire. Une autre voix, à intervalles réguliers, disait :

— Vérifié…

Lawrence passa derrière l’écran et se trouva dans le dortoir de l’igloo. De même que les râteliers aux murs, les couchettes superposées n’avaient pas encore été installées. Il suffisait pour le moment de s’assurer que tout était bien là. Dès que l’inventaire serait terminé, tout serait emballé et expédié sur le lieu du sinistre.

Lawrence n’interrompit pas les deux hommes dans leur travail. Il s’agissait d’une besogne routinière, mais d’une importance vitale, car ultérieurement la vie ou la mort pouvaient en dépendre. Les besognes de ce genre étaient fréquentes sur la Lune, et toujours accomplies avec soin, car chacun savait qu’une erreur pouvait être fatale pour quelqu’un.

Quand le vérificateur qui tenait en main les feuilles d’inventaire fut arrivé au bas de celle qu’il lisait, Lawrence lui demanda :

— Est-ce le modèle d’igloo le plus grand que vous ayez dans vos stocks ?

— Le plus grand qui soit en bon état de marche. Nous en avons un pour douze hommes, mais il y a une petite fuite dans l’enveloppe extérieure qui n’a pas été réparée.

— Combien de temps cela demanderait-il ?

— Cela ne prendrait que quelques minutes. Mais il faudrait ensuite soumettre l’igloo au test du gonflage avant de pouvoir le déclarer utilisable, et il faudrait attendre ensuite douze heures pour s’assurer que tout va bien.

Le moment était venu où l’homme même qui avait établi certains règlements devait se résoudre à les enfreindre.

— Nous ne pouvons pas attendre que le test soit effectué d’une façon complète, dit l’Ingénieur en Chef. Mettez une double pièce et faites un simple examen de la fuite. Si celle-ci est inférieure à la tolérance réglementaire, considérez l’igloo comme utilisable. J’en prends moi-même la responsabilité.

Le risque était assez minime, et il pouvait avoir besoin d’une façon urgente de ce grand abri. Car il lui faudrait accueillir, le moment venu – en leur assurant l’oxygène et un minimum de confort – les vingt-deux personnes qui attendaient là-bas dans la Mer de la Soif. Elles ne pourraient pas toutes ensemble mettre des scaphandres entre le moment où elles quitteraient le Séléné et celui où elles seraient débarquées à Port Roris.

Tout en réfléchissant à ces choses, il entendit un petit « bip-bip » émanant de l’écouteur qui se trouvait derrière son oreille gauche. Il brancha une fiche accrochée à sa ceinture et prit aussitôt la communication.

— Ici l’Ingénieur en Chef, dit-il.

— Nous avons un message du Séléné, dit une voix menue mais très nette. C’est tout à fait urgent… Ils ont des ennuis…

Chapitre IV

Jusque-là, Pat n’avait pas prêté grande attention à l’homme qui était assis les bras croisés dans le fauteuil 3D, près d’une fenêtre, et il dut réfléchir pour se rappeler son nom. C’était quelque chose comme Builder – ou Baldur. Oui, Baldur, Hans Baldur. Il avait toute l’allure du touriste classique et bien tranquille, dont ne pense pas qu’il puisse créer des difficultés.

Il était encore très tranquille. Mais des difficultés, il allait en provoquer. Il était toujours éveillé, mais à première vue, il semblait totalement ignorer ce qui se passait autour de lui. Seul un muscle de sa joue qui se contractait indiquait sa tension nerveuse.

— Qu’attendez-vous, monsieur ? demanda Pat, sur le ton le plus neutre et le plus naturel qu’il lui fut possible de prendre.

Le renfort moral et physique qu’il sentait autour de lui donnait de l’assurance. Ce Baldur ne semblait pas particulièrement vigoureux. Mais Pat, qui était né sur la Lune, et dont les muscles n’avaient pas la force qu’ils auraient eue s’il avait vécu sur la Terre, était certainement moins vigoureux encore. Sans doute n’aurait-il pas eu le dessus s’il avait dû régler seul ce problème.

Baldur secoua la tête et continua à regarder du côté de la fenêtre, comme s’il avait pu voir quelque chose à l’extérieur – quelque chose d’autre que son propre reflet.

— Vous ne pouvez pas m’obliger à prendre cette drogue, dit-il, avec un lourd accent allemand, et je ne la prendrai pas.

— Je ne veux pas vous forcer à faire quoi que ce soit, lui répondit Pat. Mais ne comprenez-vous pas que c’est dans votre propre intérêt – et aussi dans l’intérêt de tous les autres ? Quelle objection valable pouvez-vous nous opposer ?

Baldur hésita. Il semblait chercher ses mots.

— C’est… C’est contre mes principes, dit-il enfin. Oui, c’est cela. Ma religion ne me permet pas de me laisser injecter quoi que ce soit.