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Il s'exprimait d'une voix monocorde.

— Sa joue droite était marquée au fer rouge de la lettre K. L'odeur de peau calcinée était toujours perceptible.

J'avais l'estomac noué.

Hoyt a planté son regard dans le mien.

— Et tu veux savoir le pire, Beck?

J'ai attendu, les yeux rivés sur lui.

— Malgré tout ça, il ne m'a pas fallu beaucoup de temps… J'ai su tout de suite que c'était Elizabeth.

7

Les flûtes à Champagne tintaient en harmonie avec la sonate de Mozart. Une harpe accompagnait en sourdine le brouhaha des conversations. Griffin Scope louvoyait parmi les smokings et les robes de soirée éblouissantes. Les gens employaient toujours le même mot pour décrire Griffin Scope: milliardaire. Ensuite, ils pouvaient l'appeler homme d'affaires ou éminence grise, préciser qu'il était grand, marié, qu'il avait des petits-enfants et soixante-dix ans. Ils pouvaient évoquer sa personnalité, son arbre généalogique ou son éthique professionnelle. Mais le premier mot — dans la presse, à la télévision, sur les listes de célébrités — était toujours celui-là. Milliardaire. Le milliardaire Griffin Scope.

Griffin était né riche. Son grand-père figurait parmi les premiers industriels du pays; son père avait fait fructifier la fortune familiale, et Griffin l'avait multipliée par quatre. La majorité des empires familiaux se désagrègent avant la troisième génération. Mais pas chez les Scope. En raison, notamment, de leur éducation. Griffin, par exemple, n'avait pas fréquenté une institution prestigieuse comme Exeter ou Lawrenceville, à l'instar de ses pairs. Non seulement son père avait tenu à l'inscrire à l'école publique, mais de plus il avait choisi pour ce faire la ville la plus proche, Newark. Etant donné qu'il avait des bureaux là-bas, fournir une domiciliation bidon n'avait pas posé de problème.

L'est de Newark, ce n'était pas la zone à l'époque, pas comme aujourd'hui, où une personne saine d'esprit ose à peine le traverser au volant de sa voiture. C'était une ville ouvrière — plus dure que dangereuse.

Griffin s'y plaisait beaucoup.

Les meilleurs amis de ses années de lycée l'étaient restés cinquante ans après. La loyauté était une qualité rare; lorsqu'il la rencontrait, Griffin prenait soin de la récompenser. Bon nombre d'invités de ce soir, il les connaissait depuis Newark. Certains même travaillaient pour lui, quoique indirectement: il mettait un point d'honneur à ne pas jouer les patrons.

Cette soirée de gala était dédiée à une cause particulièrement chère à son cœur: la fondation Brandon Scope, créée en souvenir de son fils assassiné. Au moment de sa constitution, Griffin l'avait dotée d'un montant de cent millions de dollars. Rapidement, des amis avaient apporté leur contribution. Griffin n'était pas stupide. Il savait que la plupart des donateurs cherchaient à gagner ses faveurs. Mais il n'y avait pas que ça. Au cœurs de sa trop brève existence, Brandon Scope avait su toucher les gens. Ce garçon exceptionnellement doué et privilégié possédait un charisme quasi surnaturel. Les gens étaient attirés vers lui.

Son autre fils, Randall, était un gentil garçon. Mais Brandon… Brandon avait été magique.

La douleur a resurgi, intacte. En fait, elle était toujours là. Entre deux poignées de main et claques dans le dos, elle restait à côté de Griffin, lui tapotait l'épaule, lui chuchotait à l'oreille, histoire de lui rappeler qu'ils étaient partenaires à vie.

— Superbe soirée, Griff.

Griffin a remercié et poursuivi sa tournée. Les femmes étaient bien coiffées et portaient des robes qui leur dénudaient joliment les épaules, merveilleusement en harmonie avec les nombreuses sculptures de glace — un dada de son épouse Allison — qui étaient en train de fondre lentement sur les nappes en lin. Mozart a cédé la place à Chopin. Les serveurs en gants blancs circulaient parmi les convives avec des plateaux en argent chargés de crevettes de Malaisie, de filets de bœuf d'Omaha et de toutes sortes d'amuse-gueules bizarres qui semblaient systématiquement contenir des tomates séchées.

Il est arrivé jusqu'à Linda Beck, la jeune femme qui dirigeait le fonds de bienfaisance de Brandon. Le père de Linda avait été un ancien camarade de classe lui aussi, et elle-même, comme tant d'autres, s'était retrouvée imbriquée dans les activités du vaste empire Scope. Elle avait commencé à travailler pour l'une de ses entreprises alors qu'elle était encore au lycée. Ses études et celles de son frère avaient été financées grâce aux bourses universitaires de Scope.

— Tu es éblouissante, lui a dit Griffin, même si en réalité il lui trouvait l'air fatigué.

Linda Beck a souri.

— Merci, monsieur Scope

— Combien de fois t'ai-je demandé de m'appeler Griff?

— Plusieurs centaines, a-t-elle répondu.

— Comment va Shauna?

— Elle n'a pas trop la frite, en ce moment.

— Salue-la de ma part.

— Je n'y manquerai pas, merci.

— On devrait se voir la semaine prochaine.

— J'appellerai votre secrétaire.

— Parfait.

Griffin a déposé un baiser sur sa joue, et c'est là qu'il a aperçu Larry Gandle dans le hall d'entrée. Un Larry hagard et débraillé, mais après tout, c'était son allure habituelle. Même affublé d'un costume Joseph Abboud taillé sur mesure, une heure plus tard, il aurait à nouveau l'air de sortir d'une bagarre.

Larry Gandle n'était pas censé se trouver ici.

Leurs regards se sont croisés. Larry a hoché la tête avant de tourner les talons. Griffin a attendu un moment, puis a suivi son jeune ami le long du couloir.

Le père de Larry, Edward, avait également été un copain de classe du temps de Newark. Edward Gandle était mort subitement d'une crise cardiaque douze ans auparavant. Un sacré gâchis. Edward était un type bien. Depuis, son fils avait repris le flambeau en tant que plus proche confident de la famille Scope.

Les deux hommes sont entrés dans la bibliothèque de Griffin. Jadis, c'avait été une pièce magnifique, toute de chêne et d'acajou, avec des bibliothèques du sol au plafond et des mappemondes à l'ancienne. Mais deux ans plus tôt, Allison, dans un accès d'humeur postmoderne, avait décidé que la bibliothèque avait besoin d'être rénovée. Les vieilles boiseries avaient été arrachées, et maintenant la pièce était blanche, dépouillée et fonctionnelle — bref, aussi chaleureuse qu'un bureau paysager. Allison avait été si fière de son œuvre que Griffin n'avait pas eu le cœur de lui avouer à quel point il n'aimait pas ça.

— Il y a eu un problème ce soir? a-t-il demandé.

— Non.

Il a offert un siège à Larry. Mais Larry a secoué la tête et s'est mis à faire les cent pas.

— C'a été dur? a dit Griffin.

— Il fallait s'assurer que rien ne traînait.

— Évidemment.

Quelqu'un avait attaqué le fils de Griffin, Randall… par conséquent, Griffin contre-attaquait. C'était une leçon qu'il n'oubliait jamais. On ne reste pas les bras ballants quand on t'agresse ou qu'on agresse l'un des tiens. Et on ne réagit pas comme l'État avec ses « réponses graduées » et autres âneries. Si quelqu'un cherche à te nuire, la clémence et la pitié, tu t'assois dessus. Tu élimines l'ennemi. Tu pratiques la politique de la terre brûlée. Ceux qui méprisaient cette philosophie, qui la jugeaient inutilement machiavélique, étaient aussi ceux qui causaient des ravages inconsidérés.

Finalement, si on liquide le problème rapidement, on verse un minimum de sang.

— Alors qu'est-ce qui ne va pas? a insisté Griffin.

Larry continuait à marcher de long en large. Il a frotté son front dégarni. Griffin n'aimait pas trop ça. Larry n'était pas du genre à s'émouvoir facilement.