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Elle a remis la cigarette dans le paquet.

— Tu ne trouves pas ça dément?

Shauna a haussé les épaules.

— Tu es hors sujet.

— C'est-à-dire?

— Il y a plusieurs explications à ton histoire.

— Dont la maladie mentale.

— Oui, c'en est une évidente. Mais à quoi bon partir sur une hypothèse négative? Admettons que ce soit vrai. Que tu aies vu ce que tu as vu et qu'Elizabeth soit toujours en vie. Si on se trompe, on le saura assez tôt. Sinon…

Elle a réfléchi en fronçant les sourcils, puis a secoué la tête.

— Nom de Dieu, j'espère bien qu'on ne se trompe pas.

— Je t'aime, tu sais, lui ai-je dit en souriant.

— Ouais, a-t-elle opiné. Tout le monde m'aime.

De retour à la maison, je me suis servi un dernier verre. J'ai avalé une grande goulée et senti descendre l'alcool selon sa trajectoire toute tracée. Oui, je bois. Mais je ne suis pas un ivrogne. Ce n'est pas un déni. Je sais que je flirte avec l'alcoolisme. Je sais également que flirter avec l'alcoolisme est à peu près aussi inoffensif que de flirter avec la fille mineure d'un gangster. Mais, jusque-là, le flirt n'a pas abouti à l'accouplement. Je suis suffisamment intelligent pour savoir que ça risque de ne pas durer.

Chloe s'est approchée de moi avec son expression coutumière que l'on pourrait résumer ainsi: « Manger, sortir, manger, sortir ». Les chiens sont d'une constance remarquable. Je lui ai lancé un biscuit puis l'ai emmenée faire le tour du pâté de maisons. L'air froid faisait du bien à mes poumons, mais marcher ne m'a jamais éclairci les idées. Au fond, la marche est une effroyable corvée. Cependant, j'aimais bien regarder Chloe en promenade. Ça semble bizarre, je sais, mais un chien tire un tel plaisir de cette simple activité que la regarder est un bonheur totalement zen.

Chez moi, j'ai gagné ma chambre sans bruit, Chloe sur mes talons. Grand-père dormait. Sa nouvelle garde-malade aussi. Elle ronflait avec des fioritures, comme un personnage de dessin animé. J'ai allumé mon ordinateur en me demandant pourquoi le shérif Lowell ne m'avait pas rappelé. Et si je lui téléphonais? Tant pis s'il était presque minuit. Puis je me suis dit: C'est rude.

J'ai décroché le téléphone et composé le numéro. Lowell avait un portable. S'il dormait, il pouvait toujours le couper, non?

Il a répondu à la troisième sonnerie.

— Bonsoir, docteur Beck.

Il parlait d'une voix crispée. J'ai noté que je n'étais plus « Doc ».

— Pourquoi ne m'avez-vous pas rappelé? ai-je demandé.

— Il commençait à se faire tard. J'ai pensé vous joindre plutôt le matin.

— Pourquoi m'avez-vous parlé de Sarah Goodhart?

— Demain.

— Je vous demande pardon?

— Il est tard, docteur Beck. J'ai fini ma journée. Par ailleurs, je préfère qu'on en discute de vive voix.

— Pouvez-vous me dire au moins…?

— Vous serez à la clinique demain matin?

— Oui.

— Je vous appellerai là-bas.

Poliment mais fermement, il m'a souhaité une bonne nuit, avant de raccrocher. J'ai regardé fixement le téléphone. À quoi diable voulait-il en venir?

Dormir était hors de question. J'ai passé presque toute la nuit sur le Web, à surfer entre différentes caméras de surveillance dans l'espoir de tomber sur la bonne. Vous parlez d'une aiguille high-tech dans la botte de foin planétaire.

À un moment, j'ai arrêté et me suis glissé sous les couvertures. Quand on est médecin, on apprend la patience. Je prescris en permanence aux enfants des examens qui ont des répercussions sur leur vie future — quand vie il y a — et je leur dis, ainsi qu'aux parents, d'attendre les résultats. Ils n'ont pas le choix. Cela était peut-être applicable à ma situation actuelle. Il y avait trop de variables pour l'instant. Demain, une fois que je me serais connecté à Bigfoot, nom d'utilisateur « Bat Street » et mot de passe « Ados », j'en saurais sans doute davantage.

Pendant un moment, j'ai fixé le plafond. Puis je me suis tourné vers la droite — la place d'Elizabeth. Je m'endormais toujours le premier. Couché là, je la regardais de profil, totalement absorbée dans son livre. C'était la dernière chose que je voyais avant que mes yeux se ferment et que je sombre dans le sommeil.

Je me suis retourné du côté opposé.

A quatre heures du matin, Larry Gandle a contemplé les mèches décolorées d'Eric Wu. Wu était incroyablement discipliné. Lorsqu'il ne travaillait pas à améliorer ses performances physiques, il était scotché devant l'écran de l'ordinateur. À force de surfer sur le Net, son teint avait viré au bleu livide, mais sa carrure, c'était du béton.

— Alors? a fait Gandle.

Wu a retiré son casque et croisé ses battoirs sur sa poitrine.

— Je suis perplexe.

— Dis-moi.

— Le Dr Beck a sauvegardé très peu d'e-mails. Juste quelques-uns concernant des patients à lui. Rien de personnel. Et voilà qu'il en reçoit deux bizarres ces deux derniers jours.

Sans quitter l'écran des yeux, Eric Wu a tendu deux feuillets par-dessus le roc de son épaule. Larry Gandle a regardé les e-mails et froncé les sourcils.

— Qu'est-ce que ça signifie?

— Aucune idée.

Gandle a parcouru le message qui parlait de cliquer sur quelque chose « à l'heure du baiser ». Il ne comprenait pas les ordinateurs — et ne tenait pas à les comprendre. Son regard est revenu se poser en haut de la feuille, sur l'objet.

E.P. + D.B. et une série de barres obliques.

Gandle a réfléchi. D.B. David Beck peut-être? Et E.P…

Le sens lui a atterri dessus comme un piano tombé d'une fenêtre. Lentement, il a rendu le papier à Wu.

— Qui a envoyé ça?

— Aucune idée.

— Cherche.

— Impossible, a dit Wu.

— Pourquoi?

— L'expéditeur est passé par un service de courrier électronique anonyme.

Wu s'exprimait d'une voix patiente, presque lugubrement monocorde. Qu'il discute de la météo ou qu'il arrache la joue de quelqu'un, il employait toujours le même ton.

— Je ne vais pas entrer dans le jargon informatique, mais il n'y a pas moyen d'identifier l'expéditeur.

Gandle a reporté son attention sur l'autre e-mail, celui avec Bat Street et Ados. À première vue, ça n'avait ni queue ni tête.

— Et celui-là? Tu peux savoir d'où il vient?

Wu a secoué la tête.

— Pareil. Service de courrier anonyme.

— Est-ce la même personne qui les a envoyés?

— Je n'en sais pas plus que toi.

— Et le contenu? Tu comprends de quoi ça parle?

Wu a pressé quelques touches, et le premier message s'est matérialisé sur l'écran. Il a pointé un doigt épais et noueux.

— Tu vois ces lettres bleues, là? C'est un lien hypertexte. Le Dr Beck n'a eu qu'à cliquer dessus, et c'a dû le conduire quelque part, probablement sur un site web.

— Quel site?

— Le lien est rompu. Là encore, impossible de remonter la piste.

— Et Beck était censé faire ça « à l'heure du baiser »?

— C'est ce qui est écrit.

— C'est le jargon informatique, ça, l'heure du baiser?

Wu a presque souri.

— Non.

— Tu ne sais donc pas de quelle heure il s'agit?

— Exact.

— Ou si elle est déjà passée?

— Elle est passée.

— Comment le sais-tu?

— Son navigateur est réglé pour afficher les vingt derniers sites qu'il a visités. Il a cliqué sur le lien. Plusieurs fois, d'ailleurs.

— Mais tu ne peux pas le suivre là-bas?

— Non. Le lien est désactivé.

— Et l'autre e-mail?

Wu a pianoté sur le clavier. L'écran a changé, et le second e-mail est apparu.