— Celui-là est plus facile à déchiffrer. Il est assez élémentaire, en fait.
— Vas-y, je t'écoute.
— Le service de courrier anonyme a établi un compte pour le Dr Beck, a expliqué Wu. Il lui a fourni un nom d'utilisateur et un mot de passe en mentionnant à nouveau l'heure du baiser.
— Voyons un peu si j'ai compris, a récapitulé Gandle. Beck va sur un quelconque site web. Il tape son nom d'utilisateur et le mot de passe, et là-bas il y a un message pour lui?
— C'est le principe.
— Et nous, on ne peut pas le faire?
— En utilisant son nom et le mot de passe?
— Oui. Pour consulter le message.
— J'ai essayé. Le compte n'existe pas encore.
— Pourquoi?
Eric Wu a haussé les épaules.
— Peut-être que l'expéditeur anonyme l'établira plus tard. Aux environs de l'heure du baiser.
— Conclusion?
— En deux mots…
La lumière de l'écran dansait dans les yeux inexpressifs de Wu.
— … quelqu'un se donne beaucoup de mal pour garder l'anonymat.
— Et comment saurons-nous qui c'est?
Wu a brandi un petit appareil qui ressemblait à un transistor.
— On a installé ça sur son ordinateur, au bureau et à son domicile.
— Qu'est-ce que c'est?
— Un pisteur de réseau numérique. Le pisteur envoie des signaux numériques de ses ordinateurs au mien. Si le Dr Beck reçoit des e-mails ou visite un site, s'il tape ne serait-ce qu'une seule lettre, on pourra contrôler tout ça en temps réel.
— Il n'y a donc plus qu'à attendre et à surveiller, a conclu Gandle.
— Oui.
Gandle a repensé à ce que Wu venait de lui dire — à propos de quelqu'un qui faisait des pieds et des mains pour rester anonyme — et un horrible soupçon s'est insinué au creux de son estomac.
9
Je me suis garé sur le parking à deux rues de la clinique. Je n'arrivais jamais à trouver une place à moins d'une rue.
Le shérif Lowell s'est matérialisé avec deux hommes coiffés en brosse et affublés de costumes gris. Ceux-ci se sont adossés à une grosse Buick marron. Physiquement, ils étaient aux antipodes l'un de l'autre: un Blanc, grand et maigre, et un Noir, petit et rondouillard. Ensemble, on aurait cru une boule de bowling qui cherche à renverser la dernière quille. Tous deux m'ont souri. Pas Lowell.
— Docteur Beck? a fait la grande quille blanche.
Il avait une allure très soignée — cheveux enduits de gel, pochette, cravate nouée avec une précision surnaturelle, lunettes turquoise griffées, de celles que mettent les acteurs pour avoir l'air d'intellectuels.
J'ai regardé Lowell. Il se taisait.
— Oui.
— Je suis l'agent Nick Carlson, du FBI, a continué le type à l'allure soignée. Et voici l'agent Tom Stone.
Tous deux ont brièvement exhibé leurs insignes. Stone, le plus petit et le plus chiffonné des deux, a remonté son pantalon et m'a adressé un signe de la tête. Puis il a ouvert la portière arrière de la Buick.
— Ça ne vous ennuie pas de nous suivre?
— J'ai des consultations dans un quart d'heure, ai-je dit.
— Ça, c'est réglé.
Carlson a désigné la voiture d'un geste large, comme s'il dévoilait le premier prix d'un jeu télévisé.
— Je vous en prie.
J'ai grimpé à l'arrière. Carlson a pris le volant. Stone s'est enfoncé dans le siège du passager. Lowell n'est pas monté. On est restés dans Manhattan, mais le trajet a quand même duré près de quarante-cinq minutes. On a fini dans Broadway, du côté de Duane Street. Carlson s'est arrêté devant un bâtiment administratif qui portait le numéro 26, Federal Plaza.
L'intérieur se composait de bureaux tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Des hommes en costume, étonnamment élégants, allaient et venaient, portant des tasses de café lyophilisé. Il y avait des femmes aussi, mais elles étaient largement minoritaires. On est entrés dans une salle de réunion. On m'a invité à m'asseoir, ce que j'ai fait. J'ai voulu croiser les jambes, ça m'a paru déplacé.
— Quelqu'un peut-il me dire ce qui se passe? ai-je demandé.
La quille blanche Carlson a pris la tête des opérations.
— Vous voudriez boire quelque chose? a-t-il proposé. Nous faisons le plus mauvais café du monde, si jamais ça vous intéresse.
Voilà qui expliquait toutes ces tasses d'instantané. Il m'a souri. Je lui ai souri.
— C'est tentant, mais non merci.
— Une boisson fraîche? On a des boissons fraîches, Tom?
— Bien sûr, Nick. Coca, Coca light, Sprite, tout ce que le docteur désire.
Ils continuaient à sourire.
— Ça va, merci.
— Snapple? a hasardé Stone.
Il a de nouveau remonté son pantalon. Il avait une brioche tellement ronde qu'il était difficile de trouver un endroit où la ceinture ne glisse pas.
— On en a toutes sortes de variétés ici.
J'ai failli accepter pour qu'ils me lâchent avec ça, mais je me suis contenté de secouer la tête. La table, une espèce de mélange en formica, était nue, honnis une grosse enveloppe de papier kraft. Ne sachant que faire de mes mains, je les ai posées sur le bureau. Stone est allé se poster sur le côté. Carlson, qui menait toujours les opérations, s'est perché sur un coin de table et a pivoté vers moi.
— Que pouvez-vous nous apprendre au sujet de Sarah Goodhart? a-t-il questionné.
Je ne savais trop que répondre. J'avais beau essayer de démêler les tenants et les aboutissants, rien ne me venait à l'esprit.
— Doc?
J'ai levé les yeux sur lui.
— Pourquoi me demandez-vous ça?
Carlson et Stone ont échangé un rapide coup d'œil.
— Le nom de Sarah Goodhart est lié à une enquête en cours, a dit Carlson.
— Quelle enquête?
— On préfère ne pas en parler.
— Je ne comprends pas. Qu'est-ce que j'ai à voir là-dedans?
Carlson a laissé échapper un soupir, prenant son temps sur l'expiration. Il s'est retourné vers son collègue ventripotent, et soudain plus personne ne souriait.
— Ai-je posé une question compliquée, là, Tom?
— Non, Nick, je ne crois pas.
— Moi non plus.
Le regard de Carlson s'est à nouveau posé sur moi.
— Peut-être la formulation ne vous convient pas, hein, Doc? C'est ça?
— Ils font toujours ça dans The Practice, Nick, a glissé Stone. Ils contestent la formulation.
— Tout à fait, Tom, tout à fait. Puis ils disent: « Je reformule », n'est-ce pas? Un truc comme ça.
— Un truc comme ça, ouais.
Carlson m'a contemplé de haut en bas.
— Je reformule donc. Le nom de Sarah Goodhart, ça vous évoque quelque chose?
Je n'aimais pas ça. Je n'aimais pas leur attitude ni le fait qu'ils avaient évincé Lowell; je n'aimais pas cette façon de me cuisiner dans leur salle de réunion. Ils devaient savoir ce qu'il signifiait, ce nom. Ce n'était pas difficile. Il suffisait de jeter un œil sur l'état civil d'Elizabeth. J'ai décidé d'y aller mollo.
— Sarah, c'est le deuxième prénom de ma femme.
— La mienne, son deuxième prénom, c'est Gertrude, a fait Carlson.
— Nom d'un chien, Nick, c'est affreux.
— Et la tienne, Tom, c'est quoi, son deuxième prénom?
— McDowd. C'est un nom de famille.
— J'aime bien ça, quand on donne un nom de famille en guise de deuxième prénom. C'est une manière d'honorer les ancêtres.
— Moi aussi j'aime bien, Nick.
Les deux hommes se sont tournés vers moi.
— Quel est votre deuxième prénom, Doc?
— Craig.