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Il s'est brusquement tourné vers moi. D'une main, il m'a empoigné par les cheveux. De l'autre, il m'a collé le revolver dans l'œil.

— Dis-lui de se pousser.

Je n'ai pas bronché.

— Fais-le, ou tu es mort.

— Vous ne ferez pas ça. Pas devant elle.

Il s'est rapproché de moi.

— Allez, vas-y, nom de Dieu!

Son ton ressemblait plus à une supplication qu'à un ordre hostile. Je l'ai regardé, et un sentiment bizarre s'est emparé de moi. Hoyt a allumé le moteur. J'ai fait signe à Elizabeth de s'écarter. Elle a hésité, mais a finalement fait un pas de côté. Hoyt a attendu qu'elle ne soit plus sur son chemin. Il a appuyé sur l'accélérateur, et on a bondi en avant dans un soubresaut. Je me suis retourné et, par la lunette arrière, j'ai regardé Elizabeth se fondre peu à peu dans l'obscurité jusqu'à disparaître complètement.

Une fois de plus.

Me rasseyant, je me suis demandé si j'allais la revoir. J'avais feint la confiance, mais je connaissais les risques. Elle s'était opposée à mon projet. Je lui avais expliqué que je devais le faire. À moi pour une fois, de jouer les protecteurs. Elizabeth n'était pas d'accord, mais elle avait compris.

En l'espace de ces quelques jours, j'avais appris qu'elle était vivante. Étais-je prêt à donner ma vie pour prix de la sienne? Avec joie. Je comprenais ce genre de réaction. Un sentiment étrange, de sérénité, m'a envahi tandis que je roulais aux côtés de l'homme qui avait trahi mon père. J'étais enfin délivré du fardeau de la culpabilité qui avait si longtemps pesé sur moi. Je savais ce que j'avais à faire — ce que j'avais à sacrifier — et je me suis demandé si j'avais jamais vraiment eu le choix, si la fin n'avait pas été écrite d'avance.

Je me suis tourné vers Hoyt.

— Elizabeth n'a pas tué Brandon Scope.

— Je sais, m'a-t-il interrompu.

Puis il a ajouté quelque chose qui m'a laissé pantois:

— C'est moi qui l'ai tué.

Je me suis figé.

— Brandon avait battu Elizabeth, a-t-il enchaîné rapidement. Il allait la tuer. J'ai donc tiré sur lui quand il a pénétré dans la maison. Et j'ai mis ça sur le dos de Gonzalez, comme je te l'ai déjà dit. Elizabeth le savait. Elle ne voulait pas qu'un innocent paie. Du coup, elle a inventé cet alibi. Les gens de Scope en ont eu vent et se sont posé des questions. Ils ont commencé à soupçonner Elizabeth…

Les yeux rivés sur la chaussée, il a semblé faire un immense effort sur lui-même.

— … et, Dieu me pardonne, je les ai laissés faire.

Je lui ai tendu le portable.

— Appelez-les.

Il l'a fait. Il a appelé un dénommé Larry Gandle. J'avais rencontré Gandle à plusieurs reprises. Son père avait été au lycée avec le mien.

— Beck est avec moi, lui a dit Hoyt. On vous retrouve aux écuries, mais il faut que vous relâchiez le môme.

Larry Gandle a répondu quelque chose d'inaudible.

— Dès que le môme sera en sécurité, nous serons là, a déclaré Hoyt. Et prévenez Griffin que j'ai ce qu'il désire. On peut régler ça sans nuire à ma famille ni à moi.

Gandle a parlé de nouveau, puis j'ai entendu un déclic. Hoyt m'a rendu le téléphone.

— Est-ce que je fais partie de votre famille, Hoyt?

Il a pointé le revolver sur ma tête.

— Sors ton Glock, Beck. Doucement. Avec deux doigts.

J'ai obéi. Il a pressé le bouton d'ouverture électrique des vitres.

— Jette-le par la fenêtre.

J'ai hésité. Il m'a fourré de nouveau le canon dans l'œil. J'ai jeté l'arme hors de la voiture. Je ne l'ai même pas entendue atterrir.

On a continué à rouler en silence, dans l'attente du coup de fil. Quand le téléphone a sonné, c'est moi qui ai répondu. Tyrese a dit d'une voix douce:

— Il va bien.

J'ai raccroché, soulagé.

— Où m'emmenez-vous, Hoyt?

— Tu le sais très bien, où je t'emmène.

— Griffin Scope nous tuera tous les deux.

— Non, a-t-il rétorqué, le revolver toujours braqué sur moi. Pas tous les deux.

45

Après avoir quitté l'autoroute, on s'est enfoncés dans la campagne. Pour tout éclairage, on n'a bientôt eu que les phares de la voiture. Hoyt s'est penché vers le siège arrière, où il a attrapé une enveloppe kraft.

— Tout est là, Beck. Tout.

— Tout quoi?

— Ce que ton père avait sur Brandon, ce qu'Elizabeth avait sur Brandon.

Ça m'a interloqué. Il l'avait donc sur lui depuis le début. Puis je me suis interrogé: la voiture. Pourquoi Hoyt avait-il pris place dans la voiture?

— Où sont les copies? ai-je demandé.

Il a souri, apparemment ravi que j'aie posé la question.

— Il n'y en a pas. Tout est ici.

— Je ne comprends toujours pas.

— Patience, David. Désolé, mais c'est toi mon pigeon, maintenant. Il n'y a pas d'autre solution.

— Scope ne marchera pas.

— Mais si. Comme tu l'as dit, j'ai longtemps travaillé pour lui; je sais ce qu'il a envie d'entendre. Ce soir, tout sera terminé.

— Avec ma mort?

Pas de réponse.

— Comment vous allez expliquer ça à Elizabeth?

— Elle finira sans doute par me haïr, a-t-il déclaré. Mais au moins elle sera en vie.

Devant nous, j'ai vu le portail de service d'une propriété. Fin de la partie, ai-je pensé. Un garde en uniforme nous a fait signe de passer. Hoyt gardait son arme braquée sur moi. On était en train de remonter l'allée quand, sans prévenir, il a écrasé la pédale du frein.

Il a pivoté vers moi.

— Tu as un micro planqué sur toi, Beck?

— Comment? Non.

— Foutaises, fais voir.

Il a tendu la main vers ma poitrine. Je me suis écarté. Il a levé le revolver et, se rapprochant, m'a tâté de haut en bas. Satisfait, il s'est rassis.

— Tu as de la chance, a-t-il ricané.

On s'est remis en route. Même dans l'obscurité, on sentait la luxuriance de la végétation. Les arbres se profilaient au clair de lune, oscillant malgré l'absence de vent. Au loin, j'ai aperçu une constellation de lumières. Hoyt s'est dirigé dans leur direction. Un vieux panneau gris annonçait que nous étions arrivés aux haras des Chemins de la Liberté. On s'est garés à la première place sur la gauche. J'ai jeté un coup d'œil par la vitre. Je ne m'y connais pas beaucoup en élevage de chevaux mais l'endroit était impressionnant. Il y avait une bâtisse en forme de hangar assez vaste pour contenir une douzaine de courts de tennis. Les écuries mêmes, disposées en V, semblaient s'étendre à perte de vue. Une fontaine jaillissait au milieu. On devinait des manèges, des pistes et des parcours d'obstacles.

Il y avait aussi un groupe d'hommes qui nous attendaient.

L'arme toujours pointée sur moi, Hoyt a ordonné:

— Descends.

J'ai obtempéré. Quand j'ai fermé la portière, le bruit a résonné dans le silence. Hoyt a fait le tour de la voiture et m'a planté le revolver au creux des reins. Les odeurs ont fait surgir en moi la vision fugace d'une kermesse rurale. Mais dès que j'ai vu les quatre hommes devant moi, dont deux ne m'étaient pas inconnus, l'image s'est évanouie.

Les deux que je voyais pour la première fois étaient armés de fusils semi-automatiques. Ils les ont pointés sur nous. J'ai eu tout juste un frisson; à croire que je commençais à m'y faire. L'un des hommes se tenait à droite, près de l'entrée des écuries. L'autre était adossé à une voiture, sur la gauche.

Les hommes que je connaissais se tenaient l'un à côté de l'autre sous un spot d'éclairage. L'un d'eux était Larry Gandle. L'autre, Griffin Scope. Hoyt m'a poussé en avant avec le revolver. Tandis qu'on se dirigeait vers eux, j'ai vu s'ouvrir la porte de la grande bâtisse.