Pour l'heure, Hoyt Parker était mort en héros. C'était peut-être vrai, après tout. Ce n'est pas à moi déjuger.
Il avait rédigé une longue confession, reprenant en gros ce qu'il m'avait dit dans la voiture. Carlson me l'a montrée.
— Ça s'arrête là? ai-je demandé.
— Il nous reste encore à traduire en justice Gandle, Wu et quelques autres. Mais, depuis la mort de Griffin Scope, tout le monde est pressé de se mettre à table.
La bête de la mythologie, ai-je pensé. On ne lui coupe pas la tête. On la poignarde en plein cœur.
— Vous avez eu raison de vous adresser à moi quand ils ont kidnappé ce petit garçon, m'a dit Carlson.
— Avais-je une autre solution?
— Bien vu.
Il m'a serré la main.
— Prenez soin de vous, docteur Beck.
— Vous aussi.
Vous avez sans doute envie de savoir si Tyrese va finalement partir en Floride et ce qu'il va advenir de TJ et de Latisha. Vous vous demandez peut-être si Shauna et Linda vont rester ensemble, et quelles conséquences cela aura pour Mark. Mais je ne peux pas vous répondre car je n'en sais rien.
Cette histoire s'arrête là, quatre jours après la mort de Hoyt Parker et celle de Griffin Scope. Il est tard. Très tard. Je suis couché à côté d'Elizabeth et je regarde sa poitrine se soulever et s'abaisser dans son sommeil. Je la regarde tout le temps. Je ne ferme pas souvent les yeux. Mes rêves, paradoxalement, se sont inversés. C'est dans mes rêves que je la perds maintenant — elle est de nouveau morte, et je suis tout seul. Du coup, je me raccroche à elle. Je suis insatiable, un vrai crampon. Elle, pareil. Mais ça finira par s'arranger.
Comme si elle avait senti mon regard sur elle, Elizabeth roule sur le côté. Je lui souris. Elle me sourit aussi, et mon cœur éclate. Je repense à cette journée au lac. Je me revois en train de dériver sur le radeau. Et je me souviens de ma décision de lui révéler la vérité.
— Il faut qu'on parle.
— Je ne crois pas, répond-elle.
— On est incapables d'avoir des secrets l'un pour l'autre, Elizabeth. C'est ce qui a causé tout ce gâchis en premier lieu. Si seulement on s'était tout dit…
Je ne termine pas.
Elle hoche la tête. Et je réalise qu'elle sait. Elle a toujours su. Je reprends:
— Ton père. Il a toujours cru que tu avais tué Brandon Scope.
— C'est ce que je lui ai raconté.
— Mais à la fin…
Je m'arrête, puis recommence.
— Quand j'ai dit dans la voiture que tu ne l'avais pas tué, tu penses qu'il a compris?
— Je ne sais pas, j'aimerais croire que oui.
— Il s'est donc sacrifié pour nous.
— Ou il a voulu t'empêcher de le faire, réplique-t-elle. Ou peut-être est-il mort persuadé que c'est moi qui ai tué Brandon Scope. On ne le saura jamais. Et ça n'a plus d'importance.
Nous nous regardons.
— Tu le savais, dis-je, la gorge nouée. Depuis le début. Tu…
Elle me fait taire en posant un doigt sur mes lèvres.
— C'est bon.
— Tu as mis toutes ces choses au coffre-fort pour moi.
— J'ai voulu te protéger.
— C'était de la légitime défense.
Je sens de nouveau l'arme dans ma main, le violent recul après que j'ai appuyé sur la détente.
— Je sais, dit-elle, m'enlaçant par le cou et m'attirant contre elle. Je sais.
Car c'est moi qui étais à la maison quand Brandon Scope a fait irruption chez nous, il y a huit ans. J'étais couché seul dans notre lit quand il s'est glissé dans la chambre avec un couteau. Nous avons lutté. J'ai cherché à tâtons le revolver de mon père. Il m'a frappé. J'ai tiré et l'ai tué. Puis, paniqué, j'ai pris la fuite. J'ai essayé de rassembler mes idées, de décider de la conduite à tenir. Lorsque j'ai eu repris mes esprits, le temps de rentrer à la maison, le corps avait disparu. Le revolver aussi. Je voulais le dire à Elizabeth. J'allais le faire au lac. Et, pour finir, je n'en ai jamais parlé. Jusqu'à aujourd'hui.
Comme je l'ai déjà fait remarquer, si seulement j'avais avoué la vérité d'entrée de jeu…
Elle me serre contre elle.
— Je suis là, chuchote Elizabeth.
Ici. Avec moi. Il me faudra un bon moment pour m'y faire. Mais j'y arriverai. Nous nous endormons, enlacés. Demain matin, nous nous réveillerons ensemble. Et le surlendemain aussi. Son visage sera le premier que je verrai jour après jour. Sa voix, la première que j'entendrai.
Et ça me suffira toujours.