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Bon, après une phrase pareille vous avez droit à un bol d’air. Ça y est ? Vu !

Le clic-clic de l’appareil photo fait « clic-clic ». L’auto décolle et quelqu’un ferme le portail. Ce quelqu’un, c’est la femme rousse que j’ai suivie la veille. Celle qui a regardé à l’intérieur d’une des consignes. Re-clic-clic de l’appareil de Léon Morinpraître.

Pendant qu’il opère, le gars Mézigue, plus connu sous l’appellation de San-Antonio, se paie un jeton dans les intérieurs de la propriété. Son attention est attirée par des ouvriers occupés à barbouiller la façade de la maison. Illico, un mignon petit cinoche commence de se projectionner en seize millimètres dans ma pensarde. L’état de grâce, quoi ! comme disent les Monégasques. Vous savez ? D’un seul coup votre avenir vous paraît limpide comme du Pernod dans lequel on n’a pas versé de flotte. Vous voyez ce qu’il y a à faire et la façon dont il faut le faire.

Maintenant tout est retombé dans la torpeur moite de cette matinée automnale. L’auto a mis les adjas, le portail s’est refermé, la rue est plus déserte que l’estomac du fakir Tabouch Bey Bey après quarante jours de jeûne.

— Qu’est-ce qu’on branle ? demande Morinpraître qui pratique le vibro-masseur à ses moments perdus.

— Tu développes.

— Tout de suite ?

— Oui. Il te faut combien de temps ?

— Dix minutes.

— O.K.

Je descends de la bagnole-labo et je me dirige vers une autre fourgonnette maculée de peinture, à l’arrière de laquelle est accrochée une échelle pliante.

Pas de doute. Ce truc appartient aux peintres qui badigeonnent la carrée des Amerlocks. Tout s’enchaîne admirablement. Je me dis même que c’est trop beau pour être vrai. Mais peu importe, n’ayons pas peur de la chance lorsqu’elle se présente. La chance, c’est comme les filles : il ne faut jamais attendre qu’elle vous dise oui sinon vous vous retrouvez sur le paillasson en moins de temps qu’il ne faut à un lion de l’Atlas pour gober la main de son dompteur.

Je lis la raison sociale de l’entreprise de peinture : « Jules-Luis Ledelin, avenue du Grand-Frisé, Saint-Germain-en-Laye ». Cette adresse n’est pas tombée dans l’œil d’un sourd, comme disait un aveugle auquel on avait acheté un sonotone.

Je note le renseignement sur mon carnet secret, celui sur lequel j’écris à l’encre antipathique ; après quoi je reviens dans notre labo à roulettes.

Léon Morinpraître vient de tirer ses clichés. Ils sont aussi nets que la conscience d’un instituteur. Je lui dis bravo et je prie Fignedé de me convoyer jusqu’à l’avenue du Grand-Frisé. Par veine, cette voie triomphale est toute proche.

Nous pénétrons dans une vaste cour encombrée de pots de peinture, de bidons d’huile et de pinceaux. Je descends de la fourgonnette afin de gagner les bureaux vitrés situés au fond de la cour que je viens de vous causer.

J’y suis reçu par une charmante jeune fille de quatre-vingt-quatre ans, vêtue d’une blouse blanche et d’un dentier au moyen duquel elle me demande ce que je désire. Je lui réponds que rien ne me serait plus agréable que de voir son patron. Elle m’assure que ça tombe bien, vu qu’il s’apprêtait à partir sur un chantier mais qu’il est encore là. Puis elle se lève, ouvre une porte et crie « Jules » à la cantonade.

Comme le patron de l’entreprise se prénomme Jules et qu’il n’est pas sourd, il répond « j’arrive », ce qui, vous en conviendrez, part d’un bon naturel.

Pas inintéressant, ce Jules. Ce que dans le cinéma on appelle une silhouette. Un corps de débardeur surmonté d’une bouille de président de la République péruvien. L’homme est arrivé à la force du poignet, comme les trapézistes.

Il a des bacchantes d’ancien gendarme et une montre-bracelet en véritable acier chromé. Bref, le self made man comme on dit à Paris (en Angleterre on appelle ça l’homme qui s’est fait lui-même.) Jules s’est fait lui-même et, convenons-en, il s’est un peu raté. Probable qu’il n’était pas son genre.

Il a des paluches susceptibles d’intéresser le dessinateur soucieux de représenter l’abominable homme des neiges.

Elles sont couvertes de poils, ce qui est bien commode lorsqu’il a oublié ses pinceaux.

Il me prend de prime abord pour un client et il me découvre les huit chicots jaunes qui lui servent à sourire et à manger de la purée.

— Monsieur demande après vous, annonce la vieillarde en replongeant son pif dans les colonnes angoissantes d’un grand livre.

— Venez par ici, me dit Jules.

Et de m’introduire dans son burlingue personnel. Il débarrasse l’unique chaise des énormes échantillons de papiers peints qui l’accablaient et la propose à cette partie charnue de moi-même que mes ennemis n’ont jamais vue (et les dames non plus).

— Asseyez-vous.

Il s’avise seulement que sa bâche de velours est restée sur sa coupole, et vite il décapote, histoire de me montrer sa calvitie blafarde.

— C’est à cause de quel sujet de quoi ? questionne-t-il, un peu comme on enfonce un tire-bouchon.

Je lui propose ma carte et, parallèlement j’en annonce la couleur (ce qui, chez un peintre, est la moindre des choses).

— Je suis de la police. Commissaire San-Antonio.

Jules n’a pas la réaction qu’ont d’ordinaire ses contemporains. Il ne fronce pas les sourcils, ne pâlit pas, ne se gratte pas l’entrejambe, ne renifle pas, ne mord pas la peau morte de ses doigts, ne dit pas « Tiens-tiens », ne fait pas « Tsst-tsst », ne murmure pas « la police » en balançant une rafale de points d’exclamation.

Non, rien de tel, dirait Guillaume.

Il déclare seulement, d’une voix où perce une sorte d’espèce de triomphe modeste :

— Je m’attendais à voir arriver la police.

Affirmation déconcertante, convenez-en[8].

— C’est-à-dire, monsieur Ledericin ?

Il referme très lentement sa bouche d’entrepreneur de peinture.

— Enfin, vous venez pour au sujet de Gododemo ?

— De qui ?

— De Roy Gododemo, répète Jules. Voyant mon incertitude voisine de la stupeur, il m’éclaire à tout va.

— C’est mon employé qu’a disparu… San-Antonio produit alors une pleine brouette d’onomatopées.

Je commence par les onomatopées à consonnes et je passe aux onomatopées à voyelles (les plus coûteuses).

— Vous avez un employé que, un employé qui…

— Oui. Un brave gars un peu moricaud sur les bords.

« Ça faisait deux mois qu’il travaillait ici. Pas malin, faut être juste, mais plus travailleur que douze bœufs.

« Voilà quatre jours, il est plus venu au labeur. J’ai envoyé prendre de ses nouvelles chez les gens là où ce qu’il sous-louait, personne l’avait vu. Voyez, j’allais prévenir la police. Qu’est-ce qui y est arrivé ?

Je montre la photographie de la tête de mulâtre.

— C’est lui ! exulte le roi de la peinture à l’huile. C’est bien Gododemo. Racontez-moi vite…

Au lieu de répondre, je poursuis mon étalage de clichés. Je découvre les images toutes fraîches, tirées et développées par Morinpraître.

— Qui sont ces gens, monsieur Ledericin ?

— Ledelin.

— Pardon ?

— Je m’appelle Jules-Luis Ledelin, pas de ricin.

— Excusez.

Il décide, vu que je ne suis qu’un poulet, de se rebâcher la rotonde.

— Ce sont des clients à moi. Les Wetson. Des Américains qui habitent depuis pas longtemps Saint-Germain. Ils ont un vieux pavillon de maître que je leur restaure. Pourquoi ?

— Que font-ils ?

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8

Vous pouvez, moyennant une taxe de dix francs, ne pas en convenir vous-même et en faire convenir par une personne munie d’une procuration en bon uniforme.