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San-Antonio s’étend. Que n’aurait-il fait, grand Dieu, pour son job !

Au bout d’une plombe, le zig baraqué-Maison (et même Grande Maison) passerait plus facilement pour le fils du négus que pour celui du roi de Suède. Je ne vous répéterai jamais assez combien Poilancatre est un artiste dans son genre.

Non seulement ma peau a une belle couleur acajou, mais de plus, grâce à des boulettes de cire astucieusement placées dans les trous d’aération de mon pif j’ai vraiment le naze d’un Noir. Il n’y a que la bouche qui reste impec. Poilancatre me suggère de jouer du clairon pendant quatre heures d’affilée. Je le remercie du conseil et je m’évacue.

Dans les couloirs riches en odeurs inhumaines et en courants d’air, je tombe sur Pinaud, lequel Pinaud rentre de sa virée des gares.

— Tu as du neuf ? lui demandé-je.

Le Respectable joint ses sourcils et proteste d’une voix bêlante :

— Qui vous a permis de me tutoyer ?

— Voyons, Pinuche, plaisanté-je, on ne reconnaît pas son chef bien-aimé ?

Il est médusé de la tête aux pieds en passant par la partie continentale de son individu.

— C’est pas possible !

— La preuve !

— J’ai jamais vu ça ! Ce que c’est bien imité ! On dirait la réclame pour le Banania.

— Tu n’as pas répondu à ma question ; du neuf ?

— Rien.

— O.K. Tu referas une virée des consignes en fin de journée.

— Encore ?

— Oui, mon lapin. Si le coupeur de têtes remet ça, il est important que nous puissions localiser les heures de dépôt. Tu piges ?

— Oui, monsieur… Je veux dire, oui, San-A.

— Dis-moi, Vestige, Béru est sur une autre affaire. S’il avait besoin de me contacter, dis-lui que je travaille sur un chantier à Saint-Germain-en-Laye, 28, rue du Professeur Jean Néfaidotre[9]. Mais qu’il ne se manifeste qu’en cas d’extrême urgence, hein ?

— Compte sur moi. Mais c’est fou ce que ça peut te changer, tu sais…

Il ne me reste plus qu’à faire l’emplette d’une combinaison blanche de peintre et à retourner chez Jules-Luis Ledarachide.

L’honorable marchand de barbouille m’attend dans son bureau. Sa secrétaire, qui lui servit de nourrice sèche vraisemblablement et qui est restée sèche si elle n’est plus nourrice, martyrise le clavier d’une machine à écrire née comme elle sous le second et le dernier Empire.

— Ce que vous voulez ? brame Jules-Luis Ledétergente en me voyant débouler ou plus exactement débougnouler dans son Ripolin’s office.

— C’est moi, dis-je, croyant l’explication suffisante.

— Écoute, mon pote, faut pas jouer au c… avec moi parce que t’es sûr de perdre ! glapit le superman du pinceau.

J’ai toutes les peines du monde, plus une peine lunienne et deux peines martiennes à me faire reconnaître. Quand, enfin, il s’est rendu à l’évidence, il s’écrie :

— Vous avez de ces combinaisons, dans la Rousse !

Le mot combinaison me ramène à la réalité de l’heure (il est treize heures treize, j’espère que ça me portera bonheur). J’enfile la mienne.

Là-dessus, les employés de Jules-Luis Ledecoude rappliquent. Mon « patron » me présente comme étant un nouveau manœuvre.

Immédiatement, ces messieurs qui ont un esprit fou me baptisent Blanche-Neige. Le chef d’équipe s’appelle Foiridon ; c’est un petit gros qui ne boit de l’eau que dans les cas désespérés, l’autre ouvrier est italien et son blase est très musical puisqu’il se nomme Rémi Solfado.

Nous partons pour la rue du Professeur-Jean-Néfaidotre (célèbre chimiste français qui enrichit le patrimoine national de la salière à trous, du gruyère à trous, de la clarinette à trous et du trou du tronc du culte).

En cours de rue, mes camarades m’expliquent qu’ils marnent (Joffre dixit) chez des Américains bien gentils dont le seul défaut est de leur offrir du whisky au lieu de vin rouge.

Solfado passe ensuite à un chapitre qui me tient à cœur.

— Tiens, juste avant toi, on avait aussi un mâchuré : Gododemo. Il grattait avec nous, et puis il s’est mis les cannes sans rien dire. Brave mec, ça m’a épaté qu’il se barre sans dire au revoir. Vous autres, les barbouillés, vous avez des idées à part… Au fait comment tu t’appelles ?

— Bug-Jargal, fais-je, étant hugolien jusqu’au délire inclus.

— Drôle de nom, assure Rémi Solfado, lequel repère du premier coup les poutres fichées dans les carreaux de ses voisins.

Foiridon qui pilote la camionnette remarque :

— Pour un négro, t’escamotes pas les « r » en causant.

— Ma mère était bourguignonne.

Mes collègues éclatent de rire. Une belle ambiance règne chez les peintres en bâtiment. Avec eux ça marche en chantant, du reste voyez Hitler.

Nous rangeons la tire rue du Professeur que vous savez et nous pénétrons dans la propriété.

Vous ai-je dit qu’aujourd’hui il fait un temps magnifique d’arrière-saison ? Les arbres du parc sont marqués de roux comme les deux grands bœufs du père Dupont et un soleil mélancolique mélancolise sur les toits.

Foiridon me désigne un pot de peinture, une échelle et un rouleau en peau de mouton.

— Tu vas te farcir la première couche sur la partie gauche de la façade, tu saisis ?

— Oui, m’sieur.

— Je te demande pas de cavaler, mais de bien étaler, hein ? Y a pas plus chinois que notre patron. Tous les soirs il vient nous casser les bonbons. Si y a un manque ou n’importe quoi, il fait un ramdam que tu peux pas savoir, que même toi t’en pâlirais ! Ça serait un tableau de Léonard de Vinci qu’il l’éplucherait pas mieux !

J’acquiesce et je me mets courageusement au labeur.

Je suis survolté, mes mecs. Je me dis que je suis dans the house of the crime et, quand on est poulet ça vous fait friser les plumes.

Tout en étalant de mon mieux, avec une application de bon écolier, de la peinture blanche sur un mur, je fais le tour du problème.

Le serveur chinois d’un restaurant également chinois, disparaît. Coïncidence étrange, un client du même restaurant cesse de fréquenter l’établissement.

Un musicien nègre disparaît. La veille de sa disparition, le même client se trouvait à une table dans la boîte où se produisait le musicien.

Un mulâtre ouvrier-peintre disparaît pendant qu’il travaillait chez le fameux client !

Les têtes sectionnées de ces trois malheureux sont retrouvées par un homme extraordinairement beau, doué, intelligent et tout, dans les consignes individuelles de Saint-Lazare. Et le même jour, quelqu’un de la famille du client a regardé à l’intérieur d’une des consignes sans rien y déposer !

Entre nous et le donjon de Vincennes, si nous n’avions pas affaire à des Américains haut placés, le plus sage serait d’emballer toute la famille Wetson et de la passer au troisième degré. Je vous parie la Mère Rik contre le Père-Lachaise qu’il ne faudrait pas longtemps à des professionnels de la chansonnette comme Béru et moi pour obtenir des aveux circonstanciés avec fenêtre sur le pacte Atlantique.

Mais dans la conjoncture présente, comme dit le Vieux, et étant donné les hautes fonctions que, les relations qui, le poste dû, il faut avancer dans cette affaire comme une poule qui couve sur ses œufs.

Une musique de jazz féroce fait trembler les vitres de la maison. M. Elvis Presley met le paquet. Après une séance de vociférations, il pique une crise d’épilepsie. Ensuite, c’est le cas caractérisé de délirium très mince.

Cela dure une plombe. Puis la musique s’arrête et la chouette rouquine que j’ai filée la veille paraît.

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9

Jean Néfaidotre : célèbre chimiste français qui inventa le couvercle de water-closet et qui s’aperçut le premier que le vendredi 13 portait bonheur.