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J’ai le pancréas qui dérape sur ma vésicule tellement elle est rutilante. Elle porte un pantalon en satin vert, une veste boutonnée sur l’épaule en simili-panthère, et un ruban vert ceint sa chevelure acajou. Je manque dégringoler de mon échelle et j’ai envie de boire mon pot de peinture.

— Hello ! crie-t-elle à mes copains.

— Elle est dans la pompe, répond Foiridon qui est un monument d’humour.

La môme rigole. Elle ne doit pas parler français.

Soudain elle m’avise et son rire s’évapore. Il y a un je ne sais quoi d’étrange dans son regard.

Je me hâte de lui distribuer une risette grand module pour jeune fille bien portante.

Elle vient se planter sous mon échelle, comme le client d’un magasin de chaussures se plante sous celle de la vendeuse lorsque celle-ci lui attrape la boîte de mocassins, pointure 54, sur le dernier rayon de la boutique.

— Vous êtes un neuf employé ? demande-t-elle péniblement.

— Yes, maâme !

— You speak English ?

— Just a little.

Son visage se détend comme la bretelle d’un ancien combattant 14–18 qui vient de perdre deux boutons simultanément.

Malgré mon teint foncé et mon nez élargi, je dois avoir conservé un certain sex-appeal car la demoiselle me virgule une œillade friponne qui collerait des démangeaisons à la statue d’Apollon ! Holà ! Qu’est-ce à dire ? Est-ce que ces petites Ricaines qui doivent tenir compte de la ségrégation aux States se défouleraient sur le sol béni de la France éternelle ? J’ai du court-circuit dans les amygdales inférieures, les gars ! Les poils de ma poitrine se tissent tous seuls.

— What’s your name ? demande-t-elle.

— Bug, dis-je.

— You are américain ?

— No.

Elle branle le chef, ce qui est bon signe. Puis, avec ce merveilleux accent qui me liquéfie la moelle épinière, elle déclare :

— Je mon nom is Cynthia !

On croit rêver. Ça fait cinématographe, à une période nettement postérieure à celle des Frères Lumière.

— Très heureux.

Elle rentre dans la demeure, puis réapparaît très peu de temps après.

— Viendre boire un glass ! crie-t-elle.

C’est la ruée au baba. Foiridon et Solfado descendent de leurs échelles en beaucoup moins de temps que l’homme n’en a mis à descendre du singe. Je les suis.

On met le cap sur l’office où des whiskies carabinés nous sont servis. Cynthia trinque sans manières avec nous.

— Tu te rends compte si elle est gentille ? me fait Foiridon. Et pour la descente elle nous bat. Vise-moi comme elle te nettoie son godet ! Ce truc, on y prend goût à force ; seulement ça cogne sur la cocarde. Fais gaffe, toi qu’as pas l’habitude, sans ça tu vas être naze !

Je profite de la circonstance pour examiner les lieux. La demeure ressemble à un campement coûteux. Il y a des appareils électriques en grand nombre, mais tout est en désordre. Visiblement, les habitants de ce pavillon n’ont pas la même conception du home que les bourgeois de chez nous. Eux, le napperon brodé ils se le mettent quelque part. Le meuble de style ils sont prêts à en faire un feu de cheminée et les petits saxes leur serviraient de cibles pour s’entraîner à la carabine.

Je remarque que la jouvencelle ne me quitte pas des yeux. Ce que j’aimerais savoir c’est ce qui se passe derrière son joli crâne. Est-ce elle qui décapite les teintés ? Et me considère-t-elle comme un patient possible ? Ou bien l’intérêt qu’elle me porte (un intérêt à cent pour cent) est-il purement… affectif ? Cruelle incertitude. Beaucoup plus troublante que la glorieuse incertitude du sport.

Nous retournons à nos pinceaux. Tandis que mes collègues tirent sur leurs touffes de poils, le San-Antonio en noir et blanc s’attarde à relacer sa chaussure, plus exactement à feindre de, puisque cette chaussure n’a pas de laçage.

La souris ne s’y trompe pas. Les sœurs, qu’elles soient de Barbès ou de Philadelphie, de Tokyo ou de Tananarive, sentent le désir qu’elles inspirent. Pour ses yeux de voyante, ça doit être écrit gros comme une manchette de France-Soir sur mon front que j’aimerais lui faire un raccord.

Nous sommes seulâbres dans le vestibule. On se regarde fixement, et nos quatre z’yeux ont cette inexpression intégrale qu’ont les lampions d’une dame et ceux d’un monsieur au moment où ils réalisent que ce qui importe le plus ici-bas, ça n’est ni le traité de Versailles ni le dernier film de Brigitte Bardot.

Peut-être que ça va faire du vilain d’ici avant pas longtemps, mais dans la vie il faut savoir prendre des risques ; alors j’en prends !

Et j’en reprends, parce que ceux-ci ne sont pas mauvais. À vrai dire, je n’ai même jamais pris de risques plus savoureux.

Une bouche comme celle de Cynthia, faut l’avoir goûtée pour y croire.

Quand on l’embrasse, on a l’impression de sauter en parachute dans le septième ciel. Des étincelles dorées se mettent à crépiter sous votre coiffe et vous ne vous rappelez absolument plus la couleur du cheval blanc d’Henri IV. Une pure merveille. Elle a le corps à ventouses-aimantées, ce qui constitue une innovation. Dès que vous vous approchez d’elle, sa partie inférieure vous cherche le pôle nord.

On dirait qu’elle est en caoutchouc-mousse.

Ah ! mes amis. Ça valait le coup de se faire badigeonner le derme au brou de noix pour atteindre une telle félicité.

Quelle merveille ! Un feu d’artifice pour reine d’Angleterre en voyage !

Si je m’écoutais, je l’embarquerais vers les étages supérieurs, là où se trouve vraisemblablement tout ce qu’il faut pour se mettre à l’horizontale et y être bien.

Mais voilà : le pinceau commande.

Je ne suis pas venu ici pour donner une démonstration de galoche princière. Il est temps d’actionner le disjoncteur si je ne veux pas faire péter ma centrale.

— Quand puis-je vous voir ? je questionne. J’aimerais vous parler… à tête reposée.

Elle me vaporise un regard tellement chaud qu’il me roussit les sourcils. Ça se met à renifler le cochon brûlé dans le secteur.

— Cette nuit, fait la belle rouquine.

— Où, insisté-je, le cœur cognant à se rompre…

— In my bedroom.

Elle m’explique qu’elle pioge au premier et sur le derrière. Il y a à l’arrière de la taule une porte dérobée (c’est pour cela sans doute qu’on a déposé une plinthe le long du parquet). Cynthia laissera la porte ouverte. À minuit je pourrai la rejoindre, elle m’attendra sur le palier.

Ce palier est aussi un palier de mon enquête, j’ai idée.

— Et alors, tu t’annonces, Boule de Neige ! clame Foiridon en ramenant son nez sculpté dans du beaujolais solidifié.

Il me toise d’un air d’en avoir deux (c’est la grâce que je lui souhaite).

— Dis voir, mon pote, est-ce que tu chargerais pas cette jeune vierge, des fois ? me chuchote-t-il lorsque je l’ai rejoint.

— En voilà une idée !

— Je m’ai laissé dire que les frangines adoraient les négros et que vous autres, avec votre teint de radis noir, vous n’aviez qu’à vous décalcer pour en prendre ! C’est vrai ou pas ?

— Faut bien qu’on ait des compensations, souligné-je. Les Blancs nous courent après avec une lampe à souder, c’est juste que les Blanches nous fassent une fleur…

Il hausse les épaules.

— Tu penses trop pour un Noir, dit-il. Moi que je suis blanc, je pense moins que toi.

— Tu n’es pas blanc, tu es rouge, rectifié-je, c’est donc pas un critère.