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Dans ce hall on a entreposé une armada de véhicules et de matériel en mauvais état. C’est un amoncellement de bagnoles ricaines, de voitures de guerre et de carcasses d’avions. Un vrai cauchemar moderne. Je pige vaguement que c’est là l’antre régi par Wetson. Le centre de récupération métallurgique des troupes U.S.A. basées en France.

J’ai lu un reportage là-dessus il n’y a pas tellement longtemps dans un canard.

L’homme à la cagoule s’approche de ce que je prenais pour une tour de métal. Il abaisse un levier. Aussitôt un bruit feutré de machinerie docile se fait entendre. La tour s’élève lentement, comme si elle était un ascenseur. Sous elle, il y a une plateforme d’acier, toute luisante. Les détails du reportage me reviennent au citron et je pige tout. Mais un peu de technique pour vous faire comprendre à vous qui avez de la terrine-du-chef dans le crâne et autant de vivacité d’esprit qu’une percerette à main. Pour liquider le matériel hors d’usage, les services de récupération l’emboutissent au moyen de cette formidable presse. Lorsqu’elle est passée à ce presse-purée, une Cadillac gros modèle tiendrait dans une trousse à couture. Vous mordez ? D’ailleurs il existe un sculpteur fameux qui utilise la bagnole-pressée pour faire des œuvres d’art.

Le cagoulard choisit une tire tout ce qu’il y a d’endolorie. Il lui manque tout l’avant, une partie du côté gauche et un bout d’arrière. Il pousse le véhicule (du moins ce qu’il en reste) sous la presse, à l’aide d’une petite grue roulante. Après quoi il remet la grue en place et s’approche de moi.

Je pige tout. Brusquement je me dis que la mort précédente, celle par décollation, était une plaisanterie pour noces et banquets à côté de celle qu’il me réserve.

On ne risquait pas de découvrir les corps de ses victimes. Il les écrase à l’intérieur de ces vieilles bagnoles. Les cadavres sont anéantis, incorporés à la ferraille, épongés par les carcasses des bagnoles. Le crime parfait. Si ce fou sadique n’avait pas la marotte de leur couper la tête et de confier ces affreux trophées à des consignes de gare, il serait assuré de l’impunité.

Comme disait le confesseur italien à qui on racontait l’histoire du chat dans un tuyau de poêle : « Grave peceato, ma qué bella invenzione ! »

Le dingue me chope par les jambes et me traîne jusqu’à l’auto. Un qui prouve le bon fonctionnement de ses cordes vocales, c’est le distingué commissaire San-Antonio, mes biches ! À côté de mon organe, celui de Caruso ressemblait à celui d’un aphone en train de confier un secret.

Ma voix résonne si je ne raisonne plus. Mais l’endroit est désert. Aucune trompe d’Eustache ne peut percevoir mes modulations de fréquence.

Le zig à la cagoule me redresse un peu et me pousse à l’intérieur de l’auto démantelée.

Je me cogne la calbombe contre un accoudoir.

— Eh ! minute ! siréné-je.

San-Antonio déguisé en sous-main, c’est impensable ! Moi qui n’aime déjà pas les crêpes, moi qui déteste les soles, moi qui ai la phobie de tout ce qui est plat, depuis la limande jusqu’aux émissions de télé, je ne peux pas terminer mon circuit de cette manière.

L’homme à la cagoule me regarde un moment, à travers les deux trous réservés à ses yeux de sadique. Il se délecte de ma panique. Ça l’excite. Je ne vais tout de même pas lui offrir cette joie. Faut finir en beauté, San-A. Seulement d’accord, la Marseillaise ça va quand on vous fusille, mais quand on vous transforme en papier buvard, on a moins l’épopée aux lèvres…

Drôle de mort, drôle de cercueil. Une sépulture commak c’est insensé. Si au moins le sculpteur dont je vous ai parlé pouvait m’exposer (au Musée de l’homme). On trouverait peut-être cette œuvre plus remarquable que les autres. Elle serait imprégnée de l’esprit du fameux San-A.

L’abominable meurtrier me quitte. Il se dirige vers le poste de commande de l’emboutisseuse. Mon caberlot crache des kilowatts ! Je me dis qu’il lui faut quatre secondes pour atteindre la manette, une seconde pour la saisir et l’actionner. Bref, je dispose de cinq secondes. C’est trop pour sentir venir la mort, et pas assez pour faire une anthologie de toutes les bonnes blagues de Marius et Olive. Alors, pas d’hésitation, mec. Tu dois à ta légende, à tes lecteurs et à ton éditeur de tenter l’intentable ; de risquer l’impossible ; de jouer le tout pour le tout, pièce en un dernier acte et un rideau final.

Vu ?

J’ai, ou plutôt, tout mon individu a un soubresaut terrible. Je suis à demi sorti de l’auto par la face opposée, celle qui manque à l’harmonie du véhicule. Vite, San-A. ! Ce n’est pas suffisant. Encore !

Rrran !

Et re-encore !

Re-rrran !

En deux soubresauts je me suis éjecté de la voiture. J’entends alors un bruit abominable. C’est l’anéantissement du monde, conçu et réalisé par Orson Welles. La chute de l’Empire State sur les casques des pompelards défilant dans la 5e Avenue (celle de Beethoven, la plus belle).

Un courant d’air fugitif me froisse les poils des oreilles. Profitant de ce que la monstrueuse masse de la presse se trouve entre moi et l’homme à la cagoule, je me livre à des reptations insensées pour m’écarter de l’emboutisseuse géante. Je dois franchir quelques mètres, à demi roulant, à demi rampant… Je stoppe contre une pile de ferraille contenant peut-être les restes des disparus. Je cesse de bouger, je cesse de respirer, je ferme même les yeux pour éviter de me trahir par un reflet dans mes merveilleuses prunelles. La politique de l’autruche ? Je suis comme André Roussin, moi, je l’ai pigée illico.

Elle a du bon, du beau, et même du bonnet (de valeur) l’autruche !

J’attends. Si jamais le cagoulard a l’idée de venir de ce côté je suis aussi cuit qu’un morceau de charbon de bois.

Il redresse le levier. La presse s’élève à nouveau. Je risque un tréma de regard et il me suffit à mater ce qui reste de la chignole. Pas croquignolette du tout ! Elle ressemble à une grosse bouse de vache (une vache qui aurait mangé trop d’épinards, plante, on le sait, riche en fer). Dire que votre bel athlète complet, mesdames, devrait se trouver dans cette flaque de métal !

Si j’en réchappe, jamais plus je n’achèterai de compresse !

Le cagoulard cramponne la grue roulante. Il cueille le bloc métallique et le coltine vers un coin où l’on empile les déchets.

C’est là que mon sort se joue. J’attends stoïquement. Pour tromper le temps je me récite du Verlaine. Un type bien, ce Verlaine. Il a des recettes pour tous les moments fâcheux de l’existence.

Brusquement le hall s’engloutit dans l’obscurité. Le pas rapide de l’homme décroît dans les locaux. Le raclement sourd d’une porte coulissante et c’est complet : San-A. a la vie sauve. Il garde sa belle peau d’Apollon avec tout ce qu’elle renferme de précieux.

Alors là, mes mecs, je vous jure qu’il me faudrait les ustensiles d’Adèle pour louer le Seigneur !

Que dis-je, le louer : ! L’acheter, oui !

Il n’y aura jamais assez de suif au monde pour que je fasse brûler suffisamment de cierges pour éteindre (si je puis dire) ma dette envers lui.

J’en chiale de soulagement.

C’est la détente, quoi !

CHAPITRE VIII

La tête sur l’oreiller

J’attends d’avoir bien repris mes esprits, puis je roule jusqu’au bloc de ferraille et, exécutant une curieuse danse du pas-scalpé, je cisaille mes liens contre les arêtes vives qui, Dieu merci, ne manquent pas.

Me voici libre de mes mouvements.

Je m’offre un chouïa de gymnastique suédoise. Mon palpitant en fout un drôle de rayon ! Croyez-moi, bande de je-n’ose-plus-dire-le-nom, mais des émotions pareilles abrègent la vie d’un homme. Elles vous détraquent le battant, la rate, le gésier, plus quelques organes subalternes et vous avez de la peine à vous en remettre.