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Ils n’ont donc pas le respect des fantômes dans cette famille ? Qu’est-ce qu’il leur faut : l’ectoplasme d’Abraham Lincoln pour les faire sourciller ? Un de mes amis de la Mondaine, l’inspecteur Pâquerette, qui fait tourner les tables à ses moments perdus, devrait venir leur faire son numéro. L’esprit de Gengis khan ou de Lucrèce Borgia, est-ce que ça leur court-circuiterait la rate, aux Wetson ?

Je m’approche tout prêt de la môme Cynthia.

— Alors, ma poulette, dis-je, pourquoi n’êtes-vous pas restée jusqu’à la fin, après le numéro des photos gamines ? Vous m’excuserez de n’avoir pas pris congé de vous, mais après les éclairs de magnésium qui m’avaient aveuglé, j’ai eu droit à une tisane de coups de bâton sur le crâne, d’où cette faute de savoir-vivre…

Elle me fixe ardemment, intensément, longuement, puis éloquemment, et se décide à pousser un cri.

Le père Wetson est hors de ses gonds, comme une porte enfoncée. Il me biche par le bras et me malmène.

Il rouscaille des trucs mauvais, comme quoi je suis un bandit, et autres gentillesses de la même cuvée.

Moi, vous me connaissez. Quand on me chatouille je rigole ; et quand on marche sur mon honneur je deviens la Tête et les Jambes. Il a droit à un parpaing style vengeur de Jeanne d’Arc ! Et il part à la renverse comme une tortue dans une poêle à crêpes. Son hoir me bondit alors sur le dossard. Un petit coup de Pancinor et il voit arriver mon poing en très gros plan sur son appareil à maintenir les jugulaires.

Le Gros, qui s’était endormi, sort sa langue de belle-mère, souffle dedans. Ça fait tututt et le tuyau de papier terminé par une plume verte vient chatouiller le nez du jeune daim.

Je suis en plein pétard, comme un artificier le 13 juillet. Il se produit exactly ce que je voulais éviter. Du train où vont les choses, je risque de me faire savonner les étagères à mégot par le Vieux.

Du doigté, qu’il m’avait recommandé, le Tondu.

Et le gars Mézigue qui se met à massacrer la famille Wetson avec un bel entrain !

D’un noble revers de bras, j’essuie ma face en sueur. Machinalement je me détranche dans un miroir et qu’aspers-je ?

San-Antonio !

San-Antonio à l’état normal, pas plus nègre que le roi de Suède. Il m’avait administré la petite dose, Poilancatre.

L’effet de la drogue a cessé et je suis redevenu blanc. C’est pourquoi j’ai raté mon entrée ! Le meurtrier ne m’a pas reconnu.

Il n’y a qu’à moi que ça arrive, ces choses-là. Heureusement du reste, car autrement le monde serait inhabitable.

Je prends Cynthia par la manette et je la drive hors du salon.

— Surveillez les autres ! enjoins-je aux duettistes.

Nous grimpons dans la piaule de la gentille fillette. Pas reluisante, ma rouquine ! Elle m’a reconnu, elle. Elle vient d’apprendre que j’étais un faux Noir ; un faux mort ; mais un vrai flic, et ce sont là trois révélations qui vous embrouillent un peu les nerfs.

Je la pousse sur son lit et je vais écarter les rideaux de sa fenêtre. Ça renifle encore le magnésium dans le coin.

La môme prend son beau visage dans ses mains. Elle s’allonge sur son pageot, les pans de l’imper s’écartent et comme elle est à loilpé dessous, je me mets à regretter l’interruption du photographe fantôme. Ça me plairait de récupérer les clichés en souvenir d’elle.

Je m’assieds à ses côtés.

— Ma petite Cynthia, lui dis-je, tout est découvert, vous le comprenez bien. Le moment est venu de vous allonger !

Stupide défaillance de langage.

Elle s’allonge effectivement. Pour combattre mon esprit d’imitation, il me faut une force véritablement surhumaine.

— Dites tout si vous voulez espérer la clémence de la justice française, point à la ligne !

Elle dit tout ; mais comme on racontait les histoires, avant guerre : par petites livraisons présentées sous forme de fascicules.

Je l’écoute en silence.

Et plus elle parle, plus je frémis. En moi, l’horreur le cède (au prix coûtant car je ne prends jamais de bénéfice) à la pitié.

CHAPITRE IX

Le sang à la tête

L’histoire est à la fois sinistre et pitoyable.

Je vous la résume pour éviter que vous ne me lynchiez car je suppose que votre curiosité est aiguisée comme l’appétit de Bérurier.

Je vous le dis illico, c’est le fils Wetson l’assassin. Assassin hors série, vraiment, car jamais un homme n’est allé si loin dans le sadisme.

La jeunesse actuelle a beaucoup d’imagination.

Voici les faits. Cynthia n’est pas la cousine, mais la sœur de sa fiancée.

Or, peu de temps avant l’arrivée en France des Wetson, ladite fiancée fut violée et trucidée par un homme de couleur aux States.

Ce meurtre dérangea le cerveau du garçon. Ses parents découvrirent rapidement que ça ne tournait plus rond et ils décidèrent d’amener Cynthia en France avec eux, espérant que sa présence calmerait un peu leur fils. Ils comptaient sur la ressemblance de Cynthia avec sa malheureuse frangine pour opérer une diversion.

Mais, loin de s’arranger, les choses ne firent que se gâter.

Ce ne fut pas la jeune fille qui guérit le fils Wetson, mais celui-ci qui corrompit Cynthia.

Elle devint amoureuse de lui et il l’envoûta littéralement. Son esprit torturé trouva les arguments qu’il fallait pour la décider à venger la disparue. Selon lui, Barbara (c’était le blaze de la morte) demandait réparation. On ne pouvait réparer qu’en tuant le plus possible de coloured men. Ainsi, ils en vinrent au meurtre. Meurtres insensés, mais à la mise en scène savante. Ils attiraient les victimes au pavillon en l’absence des parents. Cynthia leur faisait son numéro érotique et le gars, embusqué, prenait un cliché. C’était sa façon de se justifier vis-à-vis de lui-même, de supprimer ce qui pouvait sommeiller encore de scrupules en son cœur. Chaque fois, il assistait à un nouveau viol de la disparue. Et chaque fois, désormais, il pouvait intervenir. Il estourbissait ses victimes, puis les emmenait nuitamment à l’usine d’emboutissage de son père où s’opéraient les différentes opérations que vous savez.

Cynthia n’assistait jamais à ces sacrifices humains. Elle se contentait de servir d’appât. Ce qui advenait ensuite elle l’ignorait, jusqu’à l’avant-veille où le malade se confia complètement à elle. Il lui parla des têtes enfermées dans les consignes.

Cette fois, elle prit peur, voulut se rendre compte s’il mentait ou pas, mais n’eut pas le courage d’explorer tous les casiers. N’ayant rien trouvé dans le premier qu’elle ouvrit, elle abandonna ses recherches.

Seulement le malheur (pour eux) et la chance (pour moi) voulurent que l’unique casier qu’elle actionna fût l’un de ceux dans lesquels Wetson junior avait opéré ses macabres dépôts.

Ce fut cela qui attira mon attention et me conduisit à Saint-Germain.

— Comment recrutiez-vous vos victimes ? demandé-je.

Elle hausse les épaules.

— Le Noir, nous l’avons vu dans un night club. Il ressemblait à l’assassin de Barbara, c’est cela qui a tout décidé. On lui a fait croire que père était imprésario et qu’il voulait l’engager pour New-Orleans…

« Le Chinois, il servait dans le restaurant où…

— Je sais. Le mulâtre était peintre ici, avant moi si je puis dire. Mais la femme ?

— Quelle femme ? s’étonne la môme.

J’hésite, je la regarde. Puis je secoue la tête.

— Non, rien.

Nous embarquons tout le monde : la graine de cabanon et les parents, à la police.