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Je la hèle.

— Cousine Adèle !

Trois blousons noirs ici présents partent d’un rire de trident (Béru) et entonnent avec un ensemble parfait : « Car elle est morte, Adèle ».

Et Adèle se retourne. Ses pauvres yeux ressemblent à deux huîtres pas fraîches.

Elle me cherche au radar, sa moustache frissonnant dans le courant d’air du hall.

Enfin elle me localise, me détecte, m’identifie.

— Antoine ?

— Oui, cousine.

— C’est gentil d’être venu me chercher, avec toutes tes occupations…

Parce que j’oubliais de vous dire : elle est tout ce qu’il y a de bonne pâte, Adèle.

Je me mets sur la pointe des pieds, elle s’accroupit, et ayant l’un et l’autre ainsi apporté notre contribution à la réalisation d’un baiser de bienvenue, nous nous l’accordons sous les quolibets d’une foule en délire.

Je m’occupe alors des bagages de cousine. Elle en est bardée : deux cartons à chapeau, un panier d’osier fermant à l’aide d’une baguette, une valise de toile, un sac et une mallette de cuir à soufflet (style 1880).

Je me charge du principal.

— Ta mère va bien ?

— Très bien. Figure-toi que ta lettre a eu du retard, nous ne l’avons reçue que ce matin !

— Seigneur Jésus ! jure Adèle.

Elle s’arrête au milieu du vaste hall, ce qui provoque illico un attroupement.

— Que me dis-tu là !

— La vérité, cousine. Toute la vérité, rien que la vérité. Si je ne tenais pas ta valise et un carton à chapeau, je lèverais la main droite pour te le jurer !

Ma chère parente pousse un cri exclamatif qui couvre le halètement des trains, découvre un passant et meurtrit le tympan d’un employé de la S.N.C.F., lequel s’introduit le médius dans la portugaise jusqu’à la seconde phalange et agite le tout avant de s’en servir.

— J’avais donné ma lettre à poster à Cyril Bonichon, le fils du bedeau. Il est très tête en l’air, il aura oublié !

— Eh bien, tu diras à son père de lui sonner les cloches. Vu qu’il est bedeau, ça ne présentera pas de difficulté.

Vous me croirez sans peine si je vous dis que j’ai hâte d’embarquer Adèle dans ma calèche. Grâce au ciel (qui était gris), j’ai capoté ma M.G. ce matin avant de déhotter. Brusquement je réalise que je ne pourrai jamais faire tenir tous les colis de l’arrivante dans ma petite voiture. Le coffre de celle-ci est tout juste apte à recevoir soit une brosse à dents à manche court, soit un carnet de vingt timbres-poste de format courant.

J’explique le topo à Adèle.

— Voilà qui est fâcheux, rétorque-t-elle. Comment allons-nous procéder ?

À l’instant où elle me pose cette question angoissante, nous nous trouvons dans l’un des couloirs d’accès à la salle des pas perdus (pas perdus pour tout le monde), couloir dans lequel la Société nouvelle des Chemins de fer français, a ménagé des consignes individuelles nettement made in U.S.A. (d’inspiration tout au moins).

On glisse une pièce de cent balles dans l’ouverture et on a droit à la clé d’un casier. Ça boume pour vingt-quatre heures. Passé ce délai faut remettre vingt thunes dans le zinzin.

J’explique le pourquoi du comment du chose à Adèle qui est saisie d’admiration devant cette nouvelle preuve du génie humain. Tandis qu’elle s’exclame, je me fouille à la recherche de morniflette. Trois casiers au moins sont nécessaires pour loger le matériel de la cousine.

— Il faut absolument que nous gardions ce carton à chapeau, m’annonce-t-elle en brandissant la boîte ronde.

— Pourquoi ?

— Il y a un lapin dedans.

— Vivant ?

— Oui. J’ai pensé que c’était préférable, si ta mère veut le conserver quelque temps…

Je ramène enfin des profondeurs de mes vagues une première pièce de un franc (tout ce qu’il y a de nouveau) sur le côté face de laquelle on peut voir la République semer à poignées le blé des contribuables.

Je cloque la pièce dans la tirelire et, servez chaud ! On me débloque une clé chromée avec laquelle il m’est loisible d’ouvrir un casier.

— On va y mettre ton sac de cuir, décidé-je.

— Oh ! non, fait Adèle, il y a mes objets de toilette dedans, je dois le garder.

— Alors ta valise ?

Elle réfléchit.

— J’ai mes pantoufles dans la valise, et moi je ne peux pas rester chaussée dans la maison…

J’ai le grand zygomatique qui commence à jouer de l’accordéon.

— Écoute, Adèle, je vais te déposer et aussitôt après revenir chercher tes bagages. C’est l’affaire d’une heure…

— En ce cas…

D’autorité, je me mets à enfourner les colibards. Mais au premier, je m’arrête. Quelque chose se trouve dans le casier, qui m’empêche d’y loger la valtouze. Je retire celle-ci et je plonge la paluche à l’intérieur, histoire de voir ce qui obstrue.

Mes doigts rencontrent une espèce de boule laineuse et grasse. Je la ramène au jour, et illico, j’ai l’estomac qui m’arrive dans le clapoir. La boule en question est une tête de nègre sectionnée au ras du menton.

— Qu’est-ce que c’est ? demande Adèle la Miraude.

— Des gens qui ont oublié un colis fais-je en refoulant ma trouvaille dans les profondeurs du casier.

— À Paris, on est très tête en l’air ! remarque pertinemment Adèle, du ton satisfait de quelqu’un qui habite la province.

— Pas toujours, murmuré-je.

Je relourde le casier. Je le ferme à clé et je mets la clé dans ma pocket.

— Écoute, cousine, il me vient une bien meilleure idée. Nous allons fréter un taxi.

Comme ça tu arriveras avec tes bagages.

— Ça va te faire des frais ! objecte-t-elle, soucieuse de ne laisser subsister aucune équivoque sur la question du règlement.

— Ça fait partie des frais généraux. Viens !

Je la fous dans une Ariane avec tout son circus.

— Moi je vous suis avec mon auto, annoncé-je. Au cas où nous serions séparés par un encombrement de voitures, je vais régler le chauffeur tout de suite.

Je m’entends avec le popoff quant à l’estimation de la course et je le casque en lui filant notre adresse.

Adèle, du fond de la charrette, me fait des signes énergiques. Je me penche pardessus ses pacsons.

— Qu’y a-t-il ? chuchoté-je.

Elle me désigne le chauffeur, un vieux Ruski, pas si blanc que ça, coiffé d’une casquette à trappon.

— Tu crois que je peux avoir confiance ? J’ai lu tellement de choses horribles sur les taxis parisiens. Il paraît que ces gens-là assaillent les clientes isolées.

Bon, voilà Adèle qui a peur de se faire déberlinguer ! À son âge, et vu son gabarit, ce serait assez surprenant, non ?

— Rassure-toi, la calmé-je. Tu as trop bon genre pour qu’on ose s’attaquer à toi.

Tu crois ?

— Parbleu ! Et puis ce chauffeur est un homme convenable, ça se voit tout de suite…

— Mais son accent ?

— Russe !

— Doux Jésus ! blasphème Adèle, je ne veux pas rester dans cette voiture.

Elle commence à me courir sérieusement. Comme dirait Farah Diba, « j’ai d’autres shahs à fouetter ».

— T’inquiète pas, lui c’est un russe tsariste.

Elle se calme un peu.