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— Oui, il y a un garçon américain qui ne vient plus depuis la semaine dernière. Il se mettait là… Toujours…

Il me désigne la chaise située sous l’éventail précédemment mentionné dans ce palpitant récit.

— Il s’agissait d’un habitué de longue date ?

— Il venait depuis la rentrée.

— Un étudiant ?

— Oui, il avait des livres et des cahiers sous le bras.

— Étudiant en quoi ?

— Je ne sais.

— Comment était-il, physiquement ?

— Grand, très grand. Très roux. Il avait des lunettes avec une monture en or… Beaucoup de taches de rousseur sur les joues.

— Et son habillement ?

— Oh ! ça changeait. Des fois blue-jean et pull-over. D’autres fois costume… Jamais de cravate…

— Quel âge environ ?

— Dix-huit ans, dix-neuf ? Je ne sais.

Je fais la grimace. Il me déplaît d’envisager un meurtrier de cet âge.

— Il venait tous les jours ?

— À midi, oui…

— Et le soir ?

— Non.

— Il était toujours seul ?

— Presque toujours…

— Et quand il ne l’était pas ? Une fille ?

— Non. Un monsieur. Son papa, je suppose. Ils se ressemblaient.

— C’était toujours Pat Chou Li qui le servait ?

— Non, le service tourne. J’ai trois serveurs.

— Ce jeune Américain parlait à Pat Chou Li ?

— Seulement pour commander et payer. À table il lisait ou il écrivait en mangeant. Il faisait très studieux. Pas du tout comme les autres qui parlent fort…

— Vous l’aperceviez quelquefois dans le quartier, en dehors de votre établissement ?

— Jamais.

— Il venait à pied ou en voiture ?

— À pied. Sauf quand il déjeunait avec le monsieur. Le monsieur avait une voiture américaine sombre.

— Vous n’avez pas remarqué la marque ?

— Non. C’est interdit de stationner devant mon restaurant, alors je ne l’ai jamais bien vue.

Il me semble que cette visite est plus productive que l’autre. Aussi, est-ce d’un pied ragaillardi que j’appuie sur le champignon de ma M.G.

Maintenant que j’ai défriché un peu le cas Pat Chou Li, occupons-nous du pauvre Saféglouglou.

Je bigle ma montrouze. Elle raconte seize plombes. Un peu jeune pour aller dans une boîte de notche. Je décide d’attendre la nuit et, comme un bourrin retourne à l’écurie, je regagne la Grande Turne.

Je ne suis pas fâché de faire mon rapport au Dabuche. Je vais lui en filer plein les carreaux, au Vieux. Car pour de la célérité et de la discrétion, c’en est, non ? De quoi faire la pige aux agences de police privée !

En quatre heures j’ai appris l’identité et l’adresse de deux des trois victimes. J’ai levé une piste et arrêté (en attendant mieux) des dispositions de première bourre (si je puis dire).

Le Tondu a beau être aussi flegmatique qu’une reine d’Angleterre à qui un diplomate étranger ferait de la galoche sous la table, je suis bien certain qu’il va me tirer un grand coup de bada, au risque d’ailleurs de s’enrhumer.

Je demande au standardiste de m’annoncer, mais il fait la grimace.

— Le Vieux a quelqu’un chez lui.

Pourtant, il fiche une fiche dans un trou à fiche, certain à l’avance que le Boss va demander qu’on lui fiche la paix, ce dont je me fiche pas mal.

— Je m’excuse, monsieur le directeur, le commissaire San-Antonio demande quand il pourra vous causer ?

Il écoute la brève réponse et retire vivement sa fiche comme il retirerait du four un gigot trop cuit.

— Dans un moment, fait-il.

— Dans un moment je serai en train d’écluser un double scotch au troquet d’en face, riposté-je en me dirigeant vers la sortie.

Comme je vais passer le seuil, le préposé (l’homme prépose et le Vieux dispose) me rappelle.

— Eh ! m’sieur le commissaire !

Je tourne dans sa direction ce visage avenant qui me vaut l’affection des dames et la considération des messieurs.

— Mon chéri ?

— Ça y est, vous pouvez monter ! Ça n’a pas z’été long !

Je remise mes accessoires pour mauvaise humeur. Ce sont des effets dont je me servirai une autre fois. Des effets à reporter, en somme.

Toc toc toc ! Comme faisait le petit chaperon rouquinos en allant coltiner une motte de butter chez sa grande vioque, sans savoir que la pauvre très chère avait servi de collation au loup pour son five o’clock tea.

— Entrez, San-Antonio.

J’obtempère.

Le Vioque est assis derrière son sous-main, souriant, aimable, massant son accordéon en peau de fesse d’une main délicate.

En face de lui, il y a un zig de l’espèce grossium, nonchalamment vautré dans un fauteuil.

Il côtoie les cinquante carats. Il est grisonnant, aristocratique. Il porte un lardeuss en système pileux de chameau. Le sien représente au moins une caravane complète tant il est ample. Dans sa cravate de soie est piquée une perlouse qu’il n’a pas achetée chez Burma, et, pour s’en débarrasser, il a jeté à terre son chouette bitos en taupé noir. Il fume un cigare gros comme ma cuisse en exhalant un nuage bleu-noir qui fait ressembler le bureau du Boss à la cité de Longwy.

— Tenez, je vous présente notre fameux commissaire San-Antonio !

J’en rosis d’émotion. Il s’avance, le Dabe. Comment sait-il que je suis fameux puisqu’il ne m’a (heureusement) jamais goûté.

Le fumeur de missile me virgule un sourire de dix-huit carats taillé dans la masse.

— M. Hyacinthe Lascène, récite le Dabuche en lorgnant la carte de visite du poil de chameau gisant dans un angle de son sous-main.

Le susnommé me tend une main blanche comme un moulage. Je la presse avec dévotion et la lui rends immédiatement car elle peut encore lui être utile.

— M. Lascène m’est adressé par M. le ministre des Emballages, annonce le Boss, afin de me confirmer que ce client-là n’est pas de la petite bière.

Moi, glacé d’admiration, j’incline le chef (le mien, je préfère vous le dire, est un chef-d’œuvre).

Le Daron poursuit, de son ton sucré :

— M. Lascène a une grosse contrariété.

Imperturbable, qu’il demeure votre San-A., mesdames. Il sait que dans la vie, tout est question de vocabulaire.

Lorsqu’un poivrot gifle un agent, c’est un délinquant.

Quand une huile bute sa maîtresse, il a une grosse contrariété.

J’attends que le Tondu m’annonce la couleur.

— Mme Lascène a disparu depuis hier du domicile conjugal, ce qui ne laisse pas que d’inquiéter M. Lascène…

Vachement Régence, le maire du Palais !

J’ai envie de me cintrer, les gars. Nous nous trouvons devant la fugue classique. La dame qui en a eu marre de son gagneur d’artiche en poil de chameau, en poil de chapeau. Elle s’est fait embarquer par un gigolpince qui n’a qu’un compte en banque à deux chiffres, mais qui possède par contre un appareil à distribuer de l’affection ultramoderne, avec cellule photo-électrique, double carburateur et pot d’échappement renforcé.

Le Vieux poursuit, tandis que son riche visiteur continue de faire autant de fumaga qu’un train de banlieue.

— Naturellement, dans sa situation, M. Lascène ne peut se permettre d’alerter officiellement la police, du moins pas encore.

Nature ! Ce sont les minables qui vont réclamer leur bergère envolée au commissariat. Les gros cavalent chez le ministre. Au lieu de prendre les choses par la base, ils les prennent par la tête… Seulement, comme on n’a encore jamais vu un ministre enquêter sur la disparition d’une gonzesse, c’est fatalement dans les étages inférieurs que ça se passe tout de même.