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— Intéressant ! parviens-je à articuler.

— Vous n'êtes pas saisi d'effroi ?

— Je ne m'en rends pas compte.

— Vous êtes courageux.

— Dans la bonne moyenne, c'est tout !

— Et vous ne me demandez pas pourquoi nous vous anéantissons ?

— Vous devez avoir vos raisons.

Elle crispe des mâchoires, Mémère ; son regard se durcit dans son masque vaguement funèbre et, assurément, carnavalesque.

— J'ai rarement vu un homme montrer autant de détachement pour son sort.

— Vous oubliez que je suis sous l'emprise de la drogue que vos amis m'ont fait absorber.

— Je n'ai pas d'amis.

— Disons vos complices.

On se défrime un bout. Elle avec intensité, moi d'une prunelle détachée, ce qui semble la mettre hors d'elle. Elle aimerait m'entendre claquer des chailles, cette perverse.

Je lui souris tendre.

— Si nos routes s'étaient croisées dans d'autres circonstances, nous aurions peut-être connu des moments exceptionnels, murmuré-je avec difficulté.

— Vous trouvez que ceux-ci ne le sont pas ?

— Les instants réellement rares sont ceux que l'on consacre à l'amour ; ceci est mon credo.

Elle paraît fugitivement moins « dure », à croire que mes paroles la touchent confusément.

Mais il ne s'agit que d'une brise rapide ; il en souffle parfois, le soir, avant la tombée de la nuit.

Elle crie encore quelque chose à son chauffeur. Peu après, les laquais des anar' branchent leur putain de batteuse. Celle-ci produit un boucan du diable. La large courroie de transmission est distendue ; on a du mal à admettre qu'elle entraîne les rouages de ce tas de rouille.

— Donc, vous choisissez de mourir sans avoir compris pourquoi ? soupire la femme à la Jaguar.

— Je meurs « pour moi », comme tout le monde ! réponds-je, non sans une grandeur d'âme si confondante que le futur roi de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord en bédolerait plein son bénoche.

— Curieux homme ! fait la vamp des années tangoteuses. Eh bien, donc que votre destin s'accomplisse.

Elle adresse un signe aux trois Jaunes.

BROYER DU NOIR

Je vais te dire un truc que tu ignores.

On a eu sauvé la vie de gens en train de mourir, simplement en leur parlant. Tu ne vas pas me croire, et pourtant c'est extrêmement vrai. J'ai vécu ce cas. Un gonzier qui marchait devant moi dans une rue de Sofia. Un vieux boum avec une casquette à visière de cuir. Poum ! Le voilà qui titube et s'écroule. Je me précipite. Il avait les vasistas en partance. Agenouillé près de lui, je l'exhorte de ne pas calancher.

Je ne sais pas le bulgare, malgré mon Francisque qui, les jours de libations, entonnait une chanson faite d'onomatopées après avoir annoncé : « Chanson bulgare ».

Le type dont je te cause, il devait se demander ce que je lui borborygmais. Cela l'empêchait de passer « de mon vit à tes pas », comme dit Bérurier. Il efforçait de piger. De la sorte, il a retenu sa perte de conscience. Les secours sont arrivés et on l'a bricolé d'urgence. A cause du regard qu'il m'a lancé, j'ai grimpé près de lui dans l'ambulance. Parvenu à l'hosto, du temps que j'y étais, j'ai attendu ; ça ou visiter des églises à bulles, hein ? Ben, il s'en est tiré, Fédor Machinchouette.

C'est pour te dire que la vielle tubéreuse a eu raison de me parler. Jacter a opéré une réac salutaire en moi.

Je me baisse un chouïa pour mirer ma frime dans le rétroviseur extérieur. Pas d'erreur je débleuis à vue d’œil.

Les deux éleveurs-de-canards-équarrisseurs m'encadrent. Je chique le mec qui tombe en digue-digue et ne peut plus tenir sur ses flûtes. Cela justifie que je les biche chacun par une épaule. ils me soutiennent pour m'entraîner au supplice.

Un pas, puis deux. Je stoppe, style mec épuisé, au bord extrême de l'anéantissement. Et soudain, bandant mes muscles, je les serre férocement l'un contre l'autre, non sans exécuter un pas en arrière. Leurs théières se choquent violemment. Ils s'effondrent, mous comme les seins de Mme Jeanne Calmant. Je leur file, presque en même temps, un coup de saton dans la gueule. Leurs deux frimes s'aplatissent un peu beaucoup.

Que remarqué-je, au plus intense de l'action ? L'un des deux maques n'a-t-il pas un revolver fiché dans sa ceinture, contre son dos ? Dans des instants pareils, il est plus agréable de ramasser ce genre de talisman qu'un trèfle à quatre feuilles. C'est pas qu'il me tienne chaud mais je trouve la vie plus confortable avec cet outil dans la pogne. Entre ça et un thermomètre à mercure, y a pas à hésiter.

Lesté du riboustin (il date des 40 jours de Pékin), je me repointe à la Jaguar.

— Je crois qu'il y a contrordre, fais-je à la dame des « jours anciens ». Dites à votre chauffeur de nous ramener en ville !

Ce que je viens de te narrer s'est opéré si vite qu'elle n'a vu que du feu. Son air stupéfait est vachement gratifiant pour ma vanité…

— C'est moi qui commande ! reprends-je en virgulant une bastos dans le pavillon de la guinde qui, de ce fait vandalique, se trouve enrichi d'une prise d'air supplémentaire.

La daronne regarde le ciel par le nouvel orifice.

— Ma voiture ! balbutie-t-elle avec puérilisme.

Pour la consoler, je tire dans le tableau de bord d'acajou. Le poste de radio éclate.

Je fais signe au driver de reprendre le volant. Sinon, la troisième balle fera un trou dans sa vareuse.

Résigné, Pô Té O Chou retourne s'asseoir.

— Moteur ! enjoins-je, comme si j'étais réalisateur d'un film d'action.

Le mec démarre. Mais qu'est-ce qui lui prend-il, à ce nœud ? Voilà qu'il appuie secco sur la chanterelle. L'auto rushe ! Ses boudins miaulent. De la gadoue gicle contre les glaces. Et le magot braque tout pour nous jeter dans une mare. Le douze cylindres rugit ! Ça rage sous le capot ! On remue une vase monstre. Dans un premier temps, on enfonce jusqu'à la baguette chromée décorant la carrosserie, biscotte le lourd engin paraît aspiré par des profondeurs turpides. Maintenant on a de la boue jusqu'au niveau des vitres. Plus mèche de déponer les lourdes.

La vieille pétasse a reconquis son self-control. Elle semble n'attacher aucun intérêt à ma pétoire.

— A présent ? me demande-t-elle.

— C'est la question que je m'apprêtais poser, réponds-je.

La peau de garce soupire.

— Quel gâchis ! J'adorais cette voiture.

— Vous en achèterez une autre ; à moins qu'un corbillard ne constitue votre prochain véhicule.

— Depuis sa place, Pô Té O Chou a déclenché un S.O.S. Dans moins de dix minutes, mes gens viendront rétablir la situation.

— Ce qui me laisse le loisir de vous abattre tous les deux !

Elle a cette réponse qui mériterait un grand coup de chapeau si j'en portais un :

— Et alors ?

Je n'éprouve aucune envie de disputer une joute oratoire avec cette vieillerie. Joignant le geste à la décision, je foudroie le conducteur d'un coup de crosse sur la calebasse. Il pique du nose sur son beau volant en bois de je ne sais quoi.

Quant à la belle douairière des temps jadis, je lui réserve un crochet au bouc, ce qui est beaucoup plus distingué qu'un vulgaire gnon au sirop de Colt.

Ces affaires courantes expédiées, j'entreprends de m'extraire du véhicule. Par chance, les glaces continuent de fonctionner, bien qu'elles soient électriques donc mises en péril par l'eau.

Sortir de l'auto est fastoche, mais du bourbier beaucoup moins car cette fange infecte joue aux sables mouvants. Impossible d'y prendre pied. Dès que mon poids porte sur l'une de mes guibolles, celle-ci s'enfonce. Je n'ai d'autre ressource que de me jeter à plat ventre sur la gadoue et d'opérer des mouvements hybrides de natation et de reptation conjuguées.