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Ses copains rigolaient. Moi j'étais mi-amusé, mi-gêné. Toute mon enfance, je me suis trouvé un peu en porte-à-faux. Je le respectais vachement, mon dabe, mais par moments j'avais l'impression d'être son grand frère. Dans le fond, la vie n'est faite que de petits trucs comme ça ; c'est pourquoi elle reste indécise.

Une fois détiroiré, je me courbe en deux pour reprendre ma respiration. Seigneur, quel effort ! Mes ongles sont ébréchés et j'ai l'auriculaire gauche profondément entaillé par une aspérité de la tôle.

— Fantastique ! fais-je en soufflant. Vous avez été superbe !

Je me tais à la vue de mon malheureux clébard.

Le coup de goumi balancé lors de notre arrivée a déchiré la peau de son crâne et l'on aperçoit l'os blafard de l'occiput. Comme il a énormément saigné, sa tête et son large poitrail sont uniformément rouges.

— Dans quel état ils vous ont mis ! m'exclamé-je, avec les vibratos de l'émotion dans la voix.

— J'ai cru mourir ! admet Salami.

— Venez, je vais vous laver.

Nous sortons. Paysage asiatique dans tout son dépouillement. Au loin, des maisons aux toits pagodes. Entre elles et nous, les petits étangs où s'ébattent les Donald de Macao.

J'avise une fontaine, légèrement à l'écart. Y conduis mon sauveur et, usant de mon mouchoir, le toilette au mieux des disponibilités.

— Je vous conduirai chez un vétérinaire dès que possible ! promets-je.

Je me tais, pétrifié[5].

TEMPS MORT POUR UN VIVANT

Comment t'informer de ce qui s'est passé ?

J'aimerais te l'apprendre avec ménagement. Tiens, par exemple : suppose que « la dame à la Jaguar » eût été ta tante, hein ? Eh bien, tu serais « détanté » au moment où je te parle. Et tu sais pourquoi ? Oui, t'as deviné ? En ce cas tu viens de gagner le droit de me faire une pipe, chérie.

Hélas, mes tendres zamilecteurs, la vieille capelinée n'est plus, du moins plus autre chose qu'une personne noyée dans une Jaguar 12 cylindres embourbée.

Que je t'exprime…

Pour fuir, j'ai baissé la vitre. La guinde s'enfonçait doucement ; l'afflux de boue liquide a précipité le naufrage. N'à présent, elle est totalement immergée. Seul le pavillon affleure encore mais, comme déjà les canards en ont fait une aire de repos, il est invisible pour qui n'est pas informé de la situation.

— Vous êtes au courant de ce qui est arrivé ? demandé-je au valeureux basset en lui désignant le marécage.

— Plus ou moins, répond mon compagnon qui a horreur d'être pris en flagrant délit d'ignorance.

Charitable, je lui raconte.

Immédiatement, il questionne :

— Vous avez relevé le numéro minéralogique de l'automobile ?

— L'opportunité de m'en était pas apparue avant ce naufrage.

— Il nous le faut si nous voulons percer l'identité de votre aventurière, déclare cet animal d'exception.

— Sans doute, mais je ne m'en ressens guère pour aller le vérifier, ce cloaque a déjà failli m'engloutir.

— J'irai donc ! tranche Salami.

On se défrime. Avec son poil rouge de sang, sa déchirure sur la tête, ses yeux de politicien convaincu d'abus de biens sociaux, il génère la compassion.

Un élan m'embrase :

— Allons-y de concert, mon ami, l'un soutenant l'autre.

Action sublime et fraternelle qui crée les légendes et forge les amitiés indéfectibles.

Notre état dénuementiel est tel qu'une voiture de menues livraisons, à trois roues, stoppe à notre hauteur.

Un gros zigus frisotté, au front taurin et au regard de bon Samaritain, se penche sur notre misère.

— Des problèmes ? me questionne-t-il en portugais, langue que je manœuvre moins parfaitement que l'espanche, mais suffisamment toutefois pour commander un steack aux fraises dans un restau ou une turlute baveuse à une dame compatissante.

J'explique à cet être de bien que nous venons d'avoir un accident d'auto, lequel, à la faveur d'un virage mal négocié, nous a précipités dans une mare. Il s'associe à notre infortune en nous chargeant jusqu'à Macao.

Lorsque nous abordons la banlieue populeuse, je le prie de nous y arrêter.

Il.

Remerciements. Je lui propose un billet de banque qu'il refuse avec hauteur.

Lorsque son étrange véhicule a disparu, j'entraîne Salami en direction d'un marché forain aux éventaires de plein air. Dans cet univers coloré, je fais l'emplette de fringues qui ne feront pas oublier mes fournisseurs de France, mais ont le mérite de me rendre méconnaissable. J'achète un jean, un polo, un blouson et des baskets, plus un bonnet de coton pouvant se rabattre bas sur le front.

Chez un autre marchand, j'emplette un sac Adidas de grande taille à l'intérieur duquel mon basset tient sans avoir à se mettre en pas de vis.

Cette fois, je suis plus à l'aise, paré pour me mesurer à d'autres péripéties que je te promets pas tristes, d'or et d'orgeat.

Le Faro Hotel est un établissement modeste (qualificatif qui constitue une promotion).

On m'y loue sans encombre une chambre avec vue sur l'Algarve (elle est accrochée au mur) et lavabo marchant en pool avec les chiches.

Le papier de la tapisserie n'a pas été changé depuis la première communion du président Salazar et la pièce sent le fondement de nonagénaire retiré de la circulation.

Pas réjouissant. Mais, dirait Rockefeller : il faut toujours faire contre mauvaise fortune bon cœur.

Je délivre mon cador.

L'est carrément sonné, le brave. Se coule sous le lit de fer, jusqu'au mur, et s'endort déjà, anéanti.

Je m'accroupis pour lui parler :

— Vous n'avez pas faim, cher ami ?

Il grogne que, peut-être, mais préfère roupiller. Le plus simple est de lui foutre la paix. Il a besoin de dormir, moi également, après de pareilles tribulations. Nous essaierons de claper une autre fois.

Dans tous les hôtels, qu'ils fussent le Waldorf Astoria ou celui des Voyageurs de Saint-Locdu-le-Vieux, c'est toujours la chanson d'un aspirateur qui m'éveille. Le mec qui inventera un bouffe-poussière silencieux fera davantage pour l'humanité en péril que sir Alexander Fleming avec sa pénicilline.

Je bâille, médite, puis vais licebroquer dans les tartisses qui, comme j'ai l'horreur de te le dire, tiennent compagnie au lavabo.

Cette humble fonction satisfaite ou, plus exactement, ayant satisfait à cette humble fonction, je coule un regard inquiet sous le paddock. Le clébard roupille avec un tel abandon que je n'ose supputer la date de son éveil. N'était son souffle régulier, je le craindrais mort. Quand aura-t-il récupéré ? Mystère. En attendant, dors ô mon chien dévoué ! Laisse revenir tes forces, se cicatriser tes blessures !

La femme de chambre aspiratrice toque un coup bref à ma lourde et l'ouvre dans la foulée. C'est une petite brune dont l'origine portugaise se dilue dans du sang jaune. Vingt-cinq ans, mais bien conservée pour son âge. Ses cheveux appartiennent à la partie ibérique de son personnage : ils sont flous et gonflés.

Me constatant nu, elle n'en marque aucune gêne ; au contraire, ses yeux descendent jusqu'à ma chopine matinale en train de battre la mesure à quatre temps. Bien élevée, la fille m'adresse un sourire complimenteux ; je l'en remercie en flattant la bête dodelinante pour attiser son aspect gaillard.

— Very nice ! elle dit alors, Maria.

Elle a déjà vu le loup péter sur la pierre de bois car, loin d'effaroucher, elle accorde une caresse affectueuse à la bestiole. Laquelle ne se sent plus de joie et dilate en adoptant des teintes tourmalines.

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5

Superbe fin de chapitre ! Ne rien ajouter avant l'arrêt complet du véhicule.