En entendant ça, il bédole dans sa culotte de petit garçon.
— Décidément, tu me les auras toutes faites ! ricané-je. Note que tes sphincters ne doivent plus ressembler à grand-chose, avec ce que tu leur infliges !
Ça commence à fouetter mochement chez Messire Toutdansloigne. J'ai idée que je l'ai dévasté complet, le pauvre trognon.
— Je suis venu te proposer une affaire sérieuse, vieux foireur.
Et de ranger le pétard dans mes brailles, ce qui paraît plaire à mon terlocuteur.
— Ta vie en échange de renseignements sur la taulière de ce bouic. Tu trouves ma propose correcte ou irrecevable, chieur d'élite ?
Il donne l'impression de ne pas comprendre. Sais-tu pourquoi ? Parce que, effectivement, il n'entrave que pouic à ce marché. Ça tourbillonne sous sa coiffe surmenée.
— J'ai plusieurs cordes à mon arc, reprends-je, manière d'éclairer un peu son réverbère. Il se trouve que la rubrique « Mère Maquerelle » prime la rubrique The King. Qu'elle est ton adresse à Macao ?
Il ne moufte pas.
— Parle plus fort, j'ai pas entendu, fais-je en marchant sur lui.
— Rue de Lisbonne, quatre cent quatre, sixième gauche, chevrote la flotte.
— Montre-moi tes papiers.
Il va à une penderie de bambou pour les prendre dans le veston qui y est rangé. Me tend un porte-cartes de croco (ici, le croco est moins chérot que, chez nous, la matière plastique).
Je prends connaissance des pièces d'identité qu'il contient.
— Ah ! tu es devenu belge ! ricané-je. Et tu t'appelles Peter Brueghel ? C'est un nom qui fait bien au bas d'un tableau, ça, ma bute. Comment t'es-tu dépatouillé pour obtenir ces fafs bidons ?
— C'est Sa Grâce qui me les a procurés. Elle a le bras long.
— Qui, « Sa Grâce » ?
— Ben… la patronne d'ici.
— Où l'as-tu connue, et quand ?
— A Paris, il y a six ans. Elle était en cheville avec les tauliers de la maison où je m'expliquais. De temps en temps, elle fait une tournée en Europe pour recruter de nouveaux effectifs : Paris, Londres, Amsterdam. Je l'ai intéressée. Sur le moment, j'ai décliné son offre. Et puis j'ai eu cette histoire avec Ramona. J'ai compris qu'il fallait disparaître. Le temps de réunir mes économies, je suis venu ici, en prenant plusieurs lignes d'avions pour brouiller ma piste.
Ça y est. Je l'ai apprivoisé, Dudule. Il a pigé que je ne le buterai pas et, malgré son froc merdeux, reprend goût à l'existence.
— A partir de quelle heure seras-tu chez toi, Peter ?
Que je l'appelle par son blase bidon lui cause un grand plaisir. Il y voit la promesse d'un armistice.
— Pas avant minuit : on finit tard.
— En Asie, les lois sociales sont moins rigoureuses qu'en France, ricané-je.
Je le laisse se démerder. Dans certains cas, l'inconvénient d'une maison close, c'est qu'elle le soit !
Le gonzier au smok me reconduit.
Juste qu'il dépone, j'avise un couple en train de gravir le pet-rond. Mes attenteurs du bateau ! Je me jette en arrière.
— Mon argent ! fais-je en repoussant la porte ! On m'a volé ! Je veux qu'on appelle la Police.
Le gong de l'entrée retentit.
— Venez ici ! fait le réceptionnaire en ouvrant une lourde ; je m'occupe de ça tout de suite.
Moi, ce que je demande, c'est juste de ne pas me casser les naseaux sur les arrivants.
J'entends une voix d'homme dire en anglais :
— Sa Grâce est ici ?
— Non, je l'attends, répond le préposé. Allez au bureau, je vous rejoins dans un instant.
Il réapparaît presque illico. Alors je prends un air penaud en tenant mon pognozof à la main.
— Navré, balbutié-je je l'avais mis dans une autre poche.
Le Jaune rit blanc, m'assure que c'est sans importance ; après quoi je vide prestement les lieux.
De retour dans ma carrée, je trouve Salami en train de bâiller telle la vieille babasse de la reine Mary, quand elle grimpe un escalier.
S'ébrouant, il me déclare qu'il irait volontiers faire du repérage de pissat canin dans les rues agaçantes.
— Un instant ! lui fais-je.
J'appelle le palace où l'empereur des soûlots est censé se morfondre en m'attendant. On me le livre aussitôt. Il ne semble pas s'alarmer de mon absence.
— Ah ! c'est toive ! Qu'est-ce tu branles ?
— Personne, assuré-je.
Ricanement de Frère Béru des Entomeurs :
— J'peuve pas en dire autant. M'agine que j'ai tombé su' la gerce la plus « feu aux miches » d' ma vie sequesuelle. Dedieu, c'volcan ! C'est l''Etrom-boli à elle tout' seule. Un' troussée attend pas l'aut'. L'a amené son vieux paralytique dans ma piaule pour pas perd' d'temps. Y nous r'garde tringler, pépère ; ça l'distractionne agriab'ment. Mater reste un lot d'consolance pou' un dabe qu'a les pruneaux et le panais en berne !
« Allons bon ! V'là ma Noiraude qui m' met du miel su' la tige avant d'la pomper ! Je vas l'app'ler « P'tite Abeille », c'te greluse. C'qu'é peuve inventer comm' saling'rie est inimaginabe. »
Je raccroche pudiquement, avant que la Ricaine ait transformé son goumi en pâtisserie grecque.
M'a fallu sortir Salami dans mon sac de voyage.
La vieille a cru que je décarrais à la cloche de bois.
Pour la rassurer, j'ai douillé trois nuits d'avance.
Vaut mieux pas ergoter quand on triche.
Mon hound avait tellement besoin de libérer sa vessie que t'aurais cru la source du Yang-Tseu-Kiang. Après quoice, je l'invite à manger dans un restau indien exhibant un gigantesque pain de viande pyramidal qui embaumait. Je suis toujours surpris de voir des gens connus pour leurs famines cuire pareille quantité de bidoche.
La viande, préparée avec des aromates, n'a pas emballé Salami. Il l'a bouffée pourtant parce qu'il mourait de faim, mais d'un air maussade. Lui, ce qu'il raffole, c'est la tortore franchouillarde. Quand je l'emmène claper une entrecôte marchand de vin au Bistrot Saint-Honoré, rue Gomboust, il ne peut réprimer de petites giclettes de bonheur. C'est une fine gueule, ce clébard-là !
La becquete expédiée, nous allons traînasser dans les rues grouillantes de Macao. La vie y est d'une folle intensité et te soûle. Je préférerais me faire moine dans quelque monastère perdu des Abruzzes plutôt que de passer le restant de mon existence dans l'une de ces métropoles échevelées et vacarmeuses.
Quand on en a quine de dérouler du ruban, on fait halte en un square où des oiseaux s'installent en ramageant. Font un vacarme de tous les diables.
Pendant qu'ils se houspillent, je réfléchis, récapitule : l'ambassadeur danois de London, le Japonais de Hong Kong, et le gars moi-même, bâton de vieillesse de Félicie ! Seulement, à ma pomme, on n'a pas eu le loisir d'implanter une bombe et, grâce à mon chien, j'ai pu me défaire à temps de l'engin agrafé à mon bénoche.
Mon héroïque clébus, toujours lui, suit le couple dynamiteur jusqu'à l'établissement où il gîte. Je m'y rends. Nonobstant mon accoutrement, on me retapisse et me drogue. Envapé, je suis conduit dans un élevage de canards (pas encore laqués). Une bordelière sortie d'un roman des années 20, arrive afin de me trucider. Mais tu te farcis pas l'invincible Antoine comme un pedzouille. Je reprends la situasse en pogne et m'échappe après que la « Dame à la Jag » (j'allais dire « à l'Hispano ») se fut noyée avec son driver.
Par Pinuche, j'apprends le nom de la propriétaire de la bagnole engloutie : une Britiche devenue la plus éminente taulière d'Asie. C'est elle le Deus ex machina de cette surprenante histoire. En fait, son luxueux lupanar lui sert de façade, si je peux me permettre. Elle avait d'autres activités, beaucoup, beaucoup plus importantes que le pain de cul, mémère. Généralement, on utilise d'honnêtes maisons pour dissimuler un clandé ; dans son cas, c'est le boui-boui qui assure la bonne apparence de ses affaires secrètes. Un comble, n'est-il pas ?