Je m'insinue à l'intérieur, suivi de messire hound aux pattes de velours.
Referme.
Ce logement est la réplique de l'autre. Même vestibule, même living et, donc, même chambre.
L'oreille contre le trou de serrure, je perçois une respiration que la plupart des romanciers souffreteux réputeraient régulière. Surtout pas toucher aux lieux communs ! Le souffle d'un dormeur est régulier, comme le membre « turgescent » d'un bandeur. C'est la dure loi de l'écribouillure chez les forçats du pointalalignisme.
Actionne le loquet menu, menu.
Entre bientôt.
La faible clarté qui tombe des étoiles me découvre une rouquinasse quadragénaire, entièrement nue, couchée sur le ventre. Un gros cul à fossettes me sourit. Cette dame sent le fort, kif la plupart des gens à la peau porcine.
« Et maintenant ? me demandé-je sans ambiguïté. Ne serais-je pas un poisson en nasse ? Les draupers vont découvrir leurs camarades morts ou enchaînés, l'hallali se déclenchera. Chasse à l'homme en règle ! Je vais être abattu à vue. O Dieu ! l'étrange sort ! »
Tout en réfléchissant sur le mode déclamatoire, m'approche de la fenêtre, l'ouvre sans bruit. Mate en direction du plume. La rousse sème à tout vent car elle pète en dormant. Si j'en crois les flacons encombrant sa piaule, cette bonne femme doit se prendre des somnifères à 45°.
Retour à la croisée pour étudier la topographie. Illico je m'aperçois que l'enfant se présente bien, puisqu'il existe une sorte de corniche pour marquer le dernier étage. M'est avis qu'un mec de ma trempe doit pouvoir atteindre l'angle de l'immeuble sans trop d'encombre ni, surtout, s'offrir un billet d'orchestre.
— Écoutez, dis-je à mon camarade d'épopée, je vais vous reconduire au palier et refermer la porte à clé de l'intérieur. Ensuite, je filerai en marchant sur la moulure jusqu'à l'angle du bâtiment. Parvenu là-bas, à la grâce de Dieu, comme disent les bipèdes auxquels j'appartiens soit j'y trouverai une voie de salut, soit je m'y planquerai pour attendre des jours meilleurs.
Mon interlocuteur baisse sa queue au furet à mesure que je dis.
Inconvaincu par mes paroles, il m'interprète la grande scène de « Mater Dolorosa ». Pourtant, se rendant compte que mon plan est réalisable, il émet un soupir genre freins pneumatiques, et disparaît.
Ayant relourdé, je vote un souvenir intense à m'man, une exhortation plus modulée au Seigneur dans le cas où, et je joue la toux pour l'atout.
Première difficulté : clore la fenêtre derrière moi suffisamment pour qu'elle n'attire pas l'attention, car tout l'immeuble est climatisé. J'y parviens au-delà de mes vœux puisque le claquement annonçant le blocage se produit. Ce qui revient à dire que je suis « enfermé dehors » !
Seconde embûche (de Noël) : me déplacer sur un rebord large d'une vingtaine de centimètres. On a beau savoir braver le vertige, il compte néanmoins parmi les ennemis irréductibles de l'homo sapiens.
Le dos collé à la paroi, je me déplace en me récitant du Lamartine D.Q.S., période lacustre.
Un pas… Deux… Trois… Qua a a a…
La moulure de pierre a cédé sous mon poids. Dans le cul, Lulu !
UN ASILE DORÉ
Un ami à moi assure : « la paresse est la meilleure façon de se reposer avant d'être fatigué ».
Si je t'avouais que je pense à cette déclaration en chutant. A ça, et à Salami, lequel va se retrouver seulâbre à Macao et, probablement, y finir ses jours. S'il ne retrouve pas Béru, que pourra-t-il faire, le pauvre biquet ?
Fallait bien qu'un jour je fasse une pirouette de trop ! Elle s'y attend, ma douce Félicie. Mais n'est-ce pas l'esprit même de notre condition, ce perpétuel sursis ?
Tout en réfléchissant, je tombe.
Moins rapidement que je ne pense !
Peur ? Effroi ? Je ne sais pas. C'est « autrement ». A vrai dire, l'incrédulité prédomine. Mon refus de cesser est tel que le fait me semble impossible.
Putignace de Diou, dirait un de mes potes, pêcheur d'Islande au large de Mandelieu, vais-je bientôt parvenir à destination, yes or no ?
L'inconfortable de ce valdingue, c'est de choir de dos. Ne peux voir que la Voie lactée de la région. Pas mal, d'ailleurs. J'aimerais prendre congé avec l'étoile polaire que mémé m'a fait découvrir autrefois, par une nuit d'été suave où les grillons et les rainettes s'en donnaient à cœur joie. Ne la repère pas dans ce fouillis d'astres et de planètes. Tant pis.
Brusquement, je suis happé par l'attraction (ou la traction) terrestre. Souffle coupé, secousse mortelle. Reins en purée. M'éparpille dans le firmament dont mes châsses étaient pleins.
Mais laissons le temps au temps.
Je dois être dans l'au-delà puisque je perçois une musique un peu gnagna pour violoncelle de Guérande[7]. Cela dit, interprète-t-on des slows au Paradis ? Note qu'il est présomptueux d'espérer une place en first d'entrée de jeu, avec toutes les idioties que j'ai pu faire !
Un long moment dégouline du sablier.
Suis-je mort ?
Réponse : en toute objectivité, je ne le pense pas.
Seconde question : en ce cas, comment puis-je exister encore ?
Je relève mes stores californiens. L'immeuble d'où j'ai chu est bien là, vertical, écrasant !
Troisième et dernière interrogation : alors ?
Ben alors, mon mec, l'explication est claire : je viens de tomber dans un camion empli de riz en vrac. C'eût été des patates, je ne m'en sortais pas. Je comprends, à présent, ma ma dilection pour cette céréale !
Je patiente, manière de récupérer, de me préparer un avenir d'à la fortune du pot (car, du pot, tu le vois, j'en ai !).
Je distingue des allées et venues. J'entends du remue-ménage. Ça crie dans plusieurs langues vivantes. Moi, flot con, je reste à l'intérieur du riz. M'en rentre par tous les orifices, y compris l'orifesse. J'ai envie d'éternuer. Reusement, le barouf devient si intense que t'entendrais pas brailler Pavarotti, quand bien même tu serais assis sur ses genoux.
Je n'ai rien de mieux à faire que d'attendre en récitant des actions de grâces pour remercier la Providence.
Ma vessie, malmenée par mon valdingue, devient ingérable. Je la libère en espérant qu'elle préparera le riz aux semailles prochaines.
Bon. Miraculé, certes, encore faut-il continuer d'assumer le spectacle. Car, comme je l'ai lu un jour sur la tombe de M. Moïse Cohen : « Après mon décès la vente continue rue d'Aboukir ».
Je te prille de croire, grand ami lecteur (et trice), que ça remue dans le landerneau ! Des tires, des tires ! Des sirènes ! Je distingue la clarté éblouissante des floods de téloche. Charogne, ici on ne pleure pas la main-d’œuvre, non plus que la marchandise.
Et puis, tout ayant une fin, l'animation se calme. Les lumières s'éteignent. La nuit s'avance lentement vers des aubes mauvaises à boire.
Je me déléthargise. Matant par-dessus les ridelles du véhicule, je ne vois personne, ni rien d'inquiétant. Au reste, qu'est-ce qui peut t'inquiéter, en dehors d'un incendie ou d'une inondation, quand l'homme cesse de te harceler ?
Je saute du camion, accompagné d'une pluie de grains blancs. M'ébroue pour en expulser un max.
Putain ! Ce que je me sens endolori[8]. Quand, levant la tête, j'avise la corniche d'où je suis tombé, je mesure combien le Créateur a joué le jeu avec moi ! Paris-Match consacrerait six pages à l'événement.