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Cette crainte se renforce quand le noble tas de ferraille ralentit et stoppe au niveau de la maison.

Ma surprise confine à la stupeur lorsqu'en descend, tu sais qui ? La Pine ! Oui, mon amour, elle-même, plus en os qu'en chair, plus chassieux que briqué et plus fripé qu'une feuille de papier Lotus venant de torcher un dysentérique.

— César ! béé-je.

Il s'arrête. Dieu qu'il est glorieux dans le soleil levant (au pays duquel nous sommes). Si vrai ! Si simple et démuni, malgré la Royce.

— Comment as-tu fait pour être déjà là ?

On se gratule, s'irrite la peau des joues à la rugosité de nos barbes poussantes.

— Un concours de circonstances, Antoine. Après notre conversation d'hier, je raccroche, puis demande les renseignements d'Air France. Le vol pour Hong Kong partait une heure plus tard. Alors j'use de notre code prioritaire et fais bloquer deux places.

— Pourquoi deux ? l'interromps-je.

— Marthe a absolument voulu m'accompagner, répond l'homme du Tertiaire.

Nous reprenons le chemin du centre-ville. La Viellasse m'explique qu'à leur arrivée, ils ont loué ce monument à roulettes de style Roycetique pour la simple raison que sa gerce et lui ont contracté l'habitude de ce véhicule dont l'illustricité, bien que s'émoussant, conserve un prestige indéniable.

Ouf ! Fin de la phrase placée dans ce texte à titre d'exercice respiratoire.

César n'a pas trouvé le Gravos au Vasco de Gama. Il a pris une suite avec sa rombiasse, laquelle s'est endormise tout de go, sonnée par le décalage horaire. Quelle n'a pas été sa surprise d'entendre gratter à la lourde et de découvrir Salami !

— Ce chien est absolument fabuleux ! affirme le vieux Rémoulade. Il se fait comprendre avec facilité et son intelligence est des plus vives !

En entendant ces louanges, mon brave hound en a la bite suintante.

— A présent, dit le Vétuste, tu vas finir de tout me raconter !

— D'accord, mais remise cette brouette dans un parking car je sais que les quartiers animés me sont néfastes.

Il obtempère.

Nous voici donc à l'abri provisoire d'un bâtiment construit en coquille d'escarguinche, logeant plusieurs milliers de tires. Notre carrosse, noyé dans une extravagante concentration de véhicules, passe rigoureusement inaperçu. Quand bien même ce serait un véritable corbillard, nul ne le remarquerait.

Détendu, sinon relaxe, je reprends pour le plus vénérable de mes collaborateurs un récit détaillé de mes tribulations depuis la mort du diplomate danois jusqu'à l'hécatombe que je viens de perpétrer pour sauver ma peau et, probablement, celle de la Luxembourgeoise.

Lorsque j'en ai terminé avec cette vigoureuse narration, j'attends la réaction de mon vieux complice, lequel est de surcroît un vieux con plissé.

Comme elle tarde à venir, je me tourne vers lui. Terrassé par le côté haletant de mes aventures, la Ganache s'est endormie, produisant un petit bruit chuintant de marmite norvégienne sous pression. Gagné par l'exemplarité, je bascule mon siège et en fais autant.

Nous roupillons un couple d'heures, diraient mes chers amis canadiens. Après quoi, le Bigorneau se met à haleter tels, jadis, les pittoresques tortillards à l'assaut d'une rampe.

Son début d'asphyxie le précipite dans la réalité. Il toussote et demande :

— Crois-tu que les buralistes d'ici vendent des Gitanes papier maïs ? Je n'ai pas eu la possibilité d'en acheter une cartouche avant de partir.

— La chose est manifestement douteuse, l'alarmé-je-t-il. En tout cas, si tu n'en déniches pas, profite de l'occasion pour arrêter de pétuner. Tu as l'âge où le cancer du fumeur se met à prospecter.

Il branle du chef.

— Chacun sa vie, chacun sa mort ! déclare mon pote. Bon, il faudrait dresser un plan d'action.

— Comment pourrais-tu m'aider ? Tu dormais comme une chauve-souris en plein midi !

César se rebiffe :

— Ne connais-tu point, depuis le temps que nous travaillons ensemble, ma faculté de pouvoir me reposer sans perdre mon sens auditif ? Je n'ai pas raté un seul mot de ton récit, Antoine. La conjoncture est telle que nous devons te soustraire aux recherches conjuguées de la police et des gredins qui te traquent. L'urgence nous commande de te ramener à Hong Kong au plus vite. Je vais trouver un moyen. En attendant, il faut absolument te cacher.

— Plus facile à décider qu'à faire, marmonné-je (ou, à la rigueur, marmotté-je).

La Pine n'est pas un chenu démoralisable. Manière de tromper son besoin de fumer, il sort une boîte de cachous et la secoue dans le creux de sa main.

— Ils sont terriblement forts, annonce-t-il. Je devrai me rincer la bouche avant de pratiquer un cunnilingus à une personne délicate de la vulve. Je connais certaines jeunes filles que mes doigts imprégnés de nicotine font hurler.

Il interrompt ses confidences et bâille grand comme l'entrée du tunnel sous la Manche.

Puis, dans la foulée :

— Sacredié ! J'ai la solution à ton problème, mon petit.

— Dis toujours !

— Ici !

— Je ne pige pas.

— Cette Rolls ! Grâce à ses vitres teintées, il est impossible de voir à l'intérieur. On va chercher un coin retiré : un fond de travée si possible. Dans les périodes d'accalmie tu pourras te dégourdir les jambes, et même te rendre aux toilettes. Quand tu y séjourneras, assure le blocage général du coffre et des portières. Moi, je vais louer une autre automobile et je viendrai t'apporter des vivres. Dès que j'aurai récupéré Alexandre-Benoît, nous entreprendrons quelque chose pour te sortir de ce mauvais pas.

Sa gentillesse est si totale, sa tendresse si authentique, que je lui saute au cou. Un cou de vieux dindon à fanons !

Nous dégotons une place de choix, dans un renfoncement situé contre les chiches où un seul véhicule (en anglais vehicle) peut se loger, fût-il Rolls par sa mère et Royce par son père.

Après avoir donné libre cours à ma vessie, je prends possession de mon nouveau domicile.

Ô TEMPS SUSPENDS TON VOL

L'existence, dans de telles conditions, tourne vite à la philosophie monastique. Tu réfléchis au ralenti, c'est-à-dire en profondeur. Quelque chose qui ressemble rapidement à la félicité de l'âme t'investit.

Dans cette Rolls sentant le cuir et le parfum asiatique, je me laisse voguer sur des néants temporaires. Je songe au passé, à la vie, aux gens qui valurent la peine d'être rencontrés. Deux heures plus tard, La Pine se présente dans une Nissan rouge avec un sac de traiteur, probablement réputé à Macao, contenant une boîte de caviar, des toasts, une moitié de canard laqué, des litchis et une hou-tanche de vodka polonaise.

— Tu feras la dînette, murmure Papa Lapine. J'ai retrouvé Alexandre-Benoît et nous sommes en train de cogiter ferme à ton sujet. Essaie de dormir. Je repasserai demain matin.

Nous nous entretenons un moment encore. Tu sais de quoi ? Oui : de choses et d'autres, tu as deviné. Ensuite, l'Ancêtre se démoule du parking.

Pour ma part (dirait Dufeu), je goinfre ces délicates victuailles avec un appétit de militaire en manœuvre, siffle, sans trop y prendre garde, les deux tiers du flacon ; fais un peu de ménage dans l'habitacle et me prépare pour la nuit.

Le plus commode est de m'allonger à l'arrière de la tire dont les strapontins sont relevés, ainsi cette précaution supplémentaire me soustrait-elle à d'éventuels regards indiscrets.

Passablement schlass, je m'endors honteusement, goret repu, sans être importuné par des rêves trublions.

Du moins le crois-je confusément.