En fait, si ma période d'endormissement ne suscite dans mon subconscient aucune tribulation, je reste informé, de manière ténue, de ce que « j'habite un véhicule ».
Sensation très vague, je te le dis. Et qui me procure une agréable impression de liberté. Et puis, « oblitéré par l'alcool », je m'anéantis com-plè-tement.
Il est très difficile de « raconter son absence ». Tu ne le peux faire qu'en puisant dans l'imaginaire, donc en trichant.
Puisqu'il faut en passer par là, sache, lecteur fidèle, que ma reprise de conscience s'opère avec une lenteur colimaçonne.
Pour commencer : des bribes d'éléments dont le plus fort est une notion de clarté.
Que dis-je ! De vive lumière. Si c'est le cas, qu'en est-il du garage ? Seconde déduction, celle d'être « en déplacement ». Pas de doute : la Rolls roule et Royce simultanément.
Dès lors, mes méninges devenant moins poisseuses, je me dis que mes potes ont bien œuvré et qu'ils sont venus me chercher. Comme j'étais ivre mort, ils m'ont laissé en concasser tout mon soûl.
On roule, roule…
J'ouvre les bigarreaux en grand. Depuis le plancher de la caisse, je vois défiler les arbres d'une route. Leur espèce m'est inconnue, ce qui n'a qu'une importance fragmentaire.
Ma clape manque de fraîcheur. L'impression d'avoir bouffé, la veille, un édredon cuit à la grande friture.
Le moment est peut-être (en anglais perhaps) venu de reprendre contact avec mes aminches.
S'l'ment, dirait Elephant Man, à l'instant précis où je tente de dessouder mes lèvres, ça se met à jacter sur l'avant de la tire. Ça cause chinois, ou un patois du genre. C'est rapide, guttural et ponctué de légers coups de cymbales.
Monumentale perplexité du fameux Sana.
Très vaguement, et sans m'y arrêter plus d'une seconde deux dixièmes, je songe que mes collègues ont un condé pour me faire passer la frontière.
La chose est tellement folle que je la repousse. Il est plus vraisemblable que la Bande Infernale (j'aime assez cette appellation) a retrouvé ma trace et m'embarque vers son repaire.
Là, y a un hic. Tu veux que je te dise ?
Macao, possession portugaise depuis 1557, a une superficie de 15,5 kilomètres carrés ! Donc on ne peut rouler longtemps en bagnole et demeurer sur son territoire !
Do you realise, bouffi ?
Pénétré de cette constatation, je prends le parti de fermer ma grande gueule et me replace en hibernation.
Je suis disposé à te parier le dernier préservatif de l'ex-président Bourguiba contre le prépuce de Mlle de La Vallière (laquelle boitait mais baisait de première), que la suite des événements risque fort de marquer ma fin.
Aussi invraisemblable que ça peut sembler, les deux mecs de l'avant, des voleurs de voitures, sans aucun doute, n'ont pas l'air de se gaffer de ma présence ; la gonzesse que j'ai vergée la semaine dernière à Romorantin, cherchait à me vexer en prétendant que mes ronflements avaient perturbé son sommeil. Salope !
La pensée qui m'harcèle, Marcel ?[11] Mon unique atout réside dans l'effet de surprise, comme toujours.
Doucement, et moins encore, je m'agenouille sur le plancher de la caisse. Je tiens en pogne le vieux pistolet du défunt coolie, vide, mais toujours intimidant.
Devant moi deux nuques maigrichonnes à peau safranée.
Quatre portugaises décollées.
Les passagers portent des vestes de coutil caca d'oie. Moi qui m'habille chez Cerutti, Cardin et Jack Taylor, je ressens une confuse nostalgie pour les hardes plébéiennes. Si je n'en porte pratiquement jamais, c'est uniquement pour donner satisfaction à Félicie parce qu'elle m'adore fringué smart.
Je t'en reviens aux deux gonzmen. Ils devisent tandis que la route dévide son interminable ruban bleu, écrirait un poète assermenté. Dans le rétroviseur, je visionne la frite du conducteur. Pas tibulaire pour un li[12].
Enfin, l'inévitable se produit le mec m'avise dans son miroir. Ça lui disjoncte le self-control. La Rolls embarde. Ses roues de droite escaladent le talus[13], lequel forme une pente à je-ne-sais-pas-combien-de-degrés-mais-y-en-a ! Il a poussé un cri de kamikaze qui a tatouillé le système de son colyte ! Ce dernier, un con foireux, ouvre sa portière pour s'extraire. L'y parvient. Las, après un début d'escalade, la Royce bascule sur lui, l'aplatissant telle une merde sous la botte d'un scaphandrier.
Tout chavire. Je me trouve vautré sur le pavillon du véhicule, dans la position du crapaud embroquant sa crapaude.
Pour ce qui est du conduc, excuse, je ne le vois plus. Si ! La pesante brouette y va d'un demi-tour supplémentaire, le faisant réapparaître par magie.
Que lui est-il arrivé ? Il a le cou sectionné par sa ceinture de sécurité. Tu vois, qu'elle n'est pas aussi sécurisante qu'on l'affirme !
M'est avis, mon bon Antoine, que tu devrais te remuer le fion, biscotte des flammes sortent du capot défoncé !
Reptant, suant, poussant, m'arcboutant, je parviens à me dégager de la légendaire calèche par la portière tournée vers le ciel. Je suis contusionné. J'hémorragise du groin et d'une oreille. Mon genou (qui prendrait un « x » si je parlais des deux) me fait mal.
Peu de circulance sur la route, mais spontanément les gens stoppent. Des péquenots avec leur char à buffles, des vélomotoristes montés à quatre sur le même engin.
Ma présence d'esprit n'a d'égale que mon absence de conformisme. Je récupère le pistolet dans le pêle-mêle de banquettes et, en loucedé, le virgule dans la rizière.
N'ensuite de quoi, je m'écarte de la Rolls, m'allonge sur le sol, chiquant l'évanouissement. Je n'ai pas envie de causer chinois, n'ayant pas le temps matériel de l'apprendre.
Comme dans tous les pays civilisés, les bourdilles finissent par arriver, suivis d'une ambulance, puis d'un véhicule bizarre occupé par des Martiens casqués faisant office de pompiers. Ces derniers noient les décombres de la Rolls. Les flics renoncent à m'interroger. Les ambulanciers m'ambulancent.
Je te raconte pas l'établissement hospitalier où j'échoue. Il tient du marché aux Puces et de la halle aux grains. Des lits de fer alignés dans une pièce aussi confortable que le tender d'une ancienne locomotive à charbon, des infirmiers, aux blouses souillées, s'occupent nonchalamment des malades. Je crois même distinguer un médecin vêtu de bleu de travail dans cet univers de rêve (les cauchemars font partie des rêves).
Le personnage, après des circonvolutions, s'approche de moi. Il me poulstâte, me fait thermométrer, jette un coup d'œil à mes plaies et bosses, hoche la tête et se casse après avoir virgulé quelques consignes à une môme jeunette à qui je boufferais volontiers la case-trésor, même sans baguettes.
Ladite ne tarde pas à m'enduire les blessures de mercurochrome. A ma demande gestuelle, elle se penche sur mon genou tuméfié, décèle un épanchement de sibeauvit, me pose compresse et pansement.
Comme il semble y avoir un lapin agité dans mon slip, elle marque un temps de surprise. Ayant abouti à une conclusion proche de la vérité, se retire en regrettant que sa peau ne lui permette pas de rougir.
Peu after, deux policiers en uniforme se pointent à mon chevet : l'un grand et maigre, l'autre long et ascétique. Ils parlent mal l'anglais à eux deux.
Suffisamment, cependant, pour enregistrer ma déposition. Certains mecs font dans la nuance, moi c'est dans le laconique.
Je leur dis qu'étant venu visiter Macao avec des amis, j'y ai loué une voiture. A peine sortais-je du garage que deux individus sont montés de force dans la Rolls, me contraignant à stopper sur un chantier d'immeuble. Une fois là, ils m'ont assommé et j'ai perdu connaissance. Je n'ai repris conscience que dans cet hôpital, ignorant même où il se trouve.
11
« Si je laisse ces gens me mener jusqu'à l'endroit où ils comptent se rendre, je serai en position de faiblesse. »
12
Qu'est-ce qu'il rouscaille, l'autre pomme, là-bas ? Que le li n'est pas une monnaie, mais une mesure itinéraire ? Tu ne te rends pas compte à quel point je m'en torche l'orifice austral, grand !
13
A propos de talus, t'as lu le Santantonio précédent qui titule :