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Et moi, tu sais quoi ?

Sans perdre un instant (on peut également dire : sans perdre une seconde), je me juche sur le siège de la pelleteuse et engage la marche avant. Puis l'évacue d'un bond léopardien. Le lourd engin dandine en ronflant avant de basculer dans ce qui devait devenir mon tombeau.

J'attends. Perçois des gargouillances de triste augure. Ce que je visionne, c'est pas dans ton feuilleton tévé du dimanche après-midi que tu le verras. La machine a piqué verticalement sur mes postulants tueurs, les plaquant dans la flotte. Je distingue confusément une jambe hors de la baille, un bras, puis un autre. Le moteur de l'appareil continue de vrombir et de loufer son nuage noir.

C'est marrant, nous autres Cancers sommes sous un signe d'eau, on me l'a toujours dit. La lune et l'eau, voilà pourquoi nous poétisons au-dessus de notre cul !

Au bout de quelques minutes, le moteur est noyé et le silence se fait. Les deux bras s'enfoncent dans la bouillasse argileuse.

Bon, ben, que veux-tu, ces trois glandeurs auraient dû rester devant leur tasse de thé, non ?

LES CHINOISERIES CONTINUENT

Je roule au hasard, en songeant que j'aurais dû choisir l'agroalimentaire, c'est mieux que la Police pour faire carrière. Mais enfin, dirait l'autre : « Ni temps passé, ni les amours reviennent ».

Ma position, mise à plat, se révèle catastrophique, pour ne pas employer le mot « cataclysmique » que d'aucuns grinchouillards trouveraient excessif.

Si tu résumes : je suis recherché pour meurtre à Macao et vais l'être incessamment en Chine populassière où déjà l'on a décidé d'avoir ma peau (en anglais : my skin).

Je suis littéralement prisonnier de ce pays d'où il est plus difficile de sortir que d'entrer à l'Académie française où mon cher Bertrand Poirot-Delpech doit vachement sa morfondre avec sa belle moto chromée.

Les rarissimes panneaux indicateurs, rédigés dans la langue de Mao, ne me sont d'aucune utilité. Note que je cherche à m'orienter au soleil, mais d'une manière telle qu'un Indien Comanche en pisserait dans sa culotte à franges.

Dans la vie, deux actions diamétralement opposées me donnent envie de chanter. Oh ! c'est pas en me rasant que je joue les Caruso, j'aurais trop peur de me couper. Non, c'est en conduisant et enjouant aux cartes. La première occupation parce qu'elle me passionne, la seconde parce qu'elle me fait chier.

Voilà pourquoi j'entonne une chanson de papa, lequel la tenait lui-même de son vieux.

Ça dit comme ça :

« Que ne t'ai-je connue au temps de ma jeunesse » « Dans un rêve brûlant, j'aurais pu t'emporter. »

Le rêve brûlant tourne à la chiasse jaune. Là-bas, tout au fond de la route d'un vilain bleu ardoise (j'ai toujours été sensible aux couleurs), j'avise un barrage policier. Des bagnoles sans grâce, des uniformes verdouillards. Quelques véhicules sont stoppés pour les besoins d'un contrôle.

Je me dis, non sans urbanité : « Fiston, tu l'as dans le prosibe ! »

Nonobstant, je reste calme. Tout juste que je ralentis, because quand tu roules sur un pont dont il manque une partie, t'es pas pressé d'atteindre l'endroit où il déclare forfait.

Cette manœuvre spontanée me sauve la mise, Élise.

Sais-tu pourquoi ?

Parce qu'un énorme camion exige le passage à coups d'avertisseur rageurs.

Tu veux la place, ChianLi ? Prends-la, mon mignon !

Le monstre me saute en répandant cette abondante fumée noire que lâchent, dans ce patelin, tous les moteurs à gasoil.

Mégnasse pâteux n'hésite pas. Coup de manivelle à droite ! Très proche, l'est un bosquet de roseaux et bambous aux troncs épais. M'y engage. Merde, l'endroit est marécageux ! Fatal : des bambous ! Me voilà enlisé. M'extrais de la tire après avoir ôté mes ribouis et retroussé mon futal.

Les poulardins ont-ils discerné ma manœuvre ? Pas sûr.

Je patiente. La circulance est fluide. Pendant une accalmie, je coupe des roseaux et les utilise pour composer un paravent destiné à masquer entièrement la voiture enlisée. Tu vois ? Elle est bien planquée, hein ?

Le meilleur, pour ma pomme, c'est de laisser passer du temps. Le barrage finira bien par être levé. D'autant qu'il ne doit être que de routine, mes hauts faits ne pouvant déjà être connus des autorités.

Pour user les minutes superflues, j'inventorie le contenu de la guinde. Y déniche une petite boutanche d'alcool de riz et un paquet de chewing-gum. Tiens, les States envahissent la Chine popu ! A charge de revanche !

Me cogne une lampée de gnole parfumée et remets la mâchouillette en place, n'ayant pas vocation de ruminant. Rien ne me déprime davantage que ces tocards mastiquant à vide. Ils s'imaginent pas le combien ils ont l'air débiles à remuer les mâchoires sans but lucratif. Quelle sinistre invention ! Faut-il avoir les méninges poreuses pour se livrer à un tel exercice ! Tu les vois, sur les stades surtout, bovins régurgiteurs, flasques du cerveau, du chibre aussi, probable. Ah ! si tous les cons du monde voulaient bien cracher leur gum !

Le temps s'enfuit, je demeure.

Le soleil a accompli un chouette arc de cercle, changeant les ombres de place.

Je vais risquer un z'œil sur la route : le barrage n'y est plus. Puisqu'il en est ainsi, reprends à pied ta marche errante, homme de bonne volonté, ton destin te réclame.

J'arque et siffle pour me mettre du cœur aux semelles ; je le sais que cette déambulation est stérile, parce que la Chine est une cage.

Des véhicules ralentissent en me doublant. Voyant que je suis un être étrange venu d'ailleurs, ils continuent leur route en accélérant.

Ce que je ressens est encore inconnu du réseau de nerfs qui tissent ma personnalité.

Où vais-je ?

Je l'ignore.

Qu'attends-je ?

Rien.

Nourris-je un espoir de m'en tirer ?

Oui.

Fondé sur quoi ?

Sur mon optimisme inaltérable.

J'avance, un point c'est tout. Tu viens avec moi, Éloi ? Je te ferai des frites en arrivant !

Un grincement de freins. Je m'abstiens de me retourner. Si ce sont des perdreaux, j'aurai tout le temps de les contempler.

Le capot d'une Mercedes me dépasse de quatre-vingts centimètres et s'immobilise.

Je tourne enfin la hure sur le conducteur.

Stupeur ! Il s'agit d'une conductrice, blonde à ne plus savoir qu'en faire.

Elle a une expression étonnée, finit par me proposer un lumineux sourire au centre duquel ses chaules étincellent comme si elle bouffait les steaks avec des diamants.

Des rencontres de ce troisième type, je croyais qu'il ne s'en produisait qu'au cinoche, quand le scénariste s'était fait une entorse en écrivant. Je montre les trente-deux miennes à la chérubine.

— Hello ! qu'elle me fait en britannique.

— Hello ! je lui réponds en français.

— Vous êtes en panne ? enchaîne l'exquise.

Tiens, à la faveur d'une phrase, on se rend compte qu'elle n'est pas native du Royaume-Uni.

— Hélas !

— Où allez-vous ?

— Où vous voudrez m'emmener.

Son sourire fait place à une expression d'anxieusité. A toute vibure, la jolie personne se pose à mon propos un maximum de questions.

Je tire mes fafs, les lui montre ; elle les regarde d'un œil brillant d'intérêt.

— Français ! dit-elle d'abord. Et policier ! complète-t-elle.

Je rempoche mon bien.

— Montez !

Tu parles si je me grouille d'occuper le siège passager, lequel passe cependant pour être celui du mort.

Décarrade moelleuse.

— Suédoise ? m'enquiers-je-t-il.

— Comment l'avez-vous deviné ? Aux plaques de ma voiture ?

— Je ne les ai pas vues. Seulement il n'y a que les Scandinaves, et en particulier les Suédoises, pour posséder une telle beauté couleur d'or.