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En face de moi, de l'autre côté de la baie, se dressait une montagne arrondie faisant songer au « Casque de Néron ». Je fus gagné par une étrange langueur et fermis les yeux. Je vacillais sur mon siège de fer. Au moment où j'allais basculer, un léger bruit me détorpeura. Je discerna alors une vieille Chinoise en train de pisser sur la planche servant de passerelle à son barlu. Elle licebroquait debout kif un homme, mais sa miction profuse indiquait la nature de son sexe.

Elle m'aperçut et me débita une phrase sur un ton aimable, sans marquer la moindre gêne. Je lui répondis d'un geste bienveillant.

Elle termina son pissat et s'avança jusqu'à moi. Ce n'était pas ma personne qui l'intéressait, mais mon brave toutou. Elle se mit à le caresser tout en me parlant. Étonnée de ne pas recevoir de réponse, elle m'examina et s'aperçut que je n'étais point asiate.

Le fait ne la prit pas au dépourvu. Plus grand-chose ne pouvait surprendre cette femme édentée. Quand elle vit les pattounes à vif de mon cador, et sa plaie au crâne, elle eut un grand élan de pitié et me pria (par gestes) de la suivre sur son paquebot. J'acceptis volontiers.

Le sampan était réellement sans pans.

Je veux parler de pans de chemise.

Une demi-douzaine d'êtres vivaient à son bord, dont les vêtements de nuit se composaient seulement d'un tee-shirt réclamé.

Ça fouettait vilain le poisson anciennement pêché, le cul intorché, les menstrues mal contrôlées, l'eau croupie, le riz en sac, le pet en liberté, l'algue, la basane moisie, le benjoin, le piment séché, le rance ranci, le musc, le mauvais parfum éventé, la sodomie à sec, la déjection, la sueur de groupe, le cordage humide, le désespoir consenti, la mer Jaune et, surtout, oui surtout la misère endémique et définitive.

Une loupiote à acétylène répandait une lumière d'égoutier dans cette demeure flottante dont on avait définitivement oublié qu'elle naviguait autrefois.

A force de m'énucléer pour capter l'endroit, je finis par découvrir un vieux magot semblable à ceux des ivoires « ouvragés », dont la barbe effilée pendait jusqu'à ses testicules, un gros mec plus obèse qu'un lutteur japonouille et trois fillettes s'échelonnant de treize à seize ans. Seule l'aînée était éveillée. Elle me parut mignonne toute pleine, dirait le Mastard. Elle possédait d'exquises pommettes, une bouche comme sur certaines gravures, des seins menus mais drus et une chattoune qu'ombraient légèrement des poils plus fins que ceux d'un pinceau pour miniaturiste.

La vieille femme fit s'allonger mon chien et entreprit de passer je ne sais quel onguent sur ses plaies.

Elle se retourna et me dit quelque chose dans une langue que je ne parlerai sans doute jamais. Voyant mon incompréhension, elle réunit quelques mots d'anglais dévoyé. Je crus saisir que l'excellente personne me proposait sa petite-fille aînée.

Au reste, comme disait le frère d'Electre, elle jeta un ordre assez vif à la jouvencelle, laquelle, sans rechigner le moindre, écarta les cuisses et m'adressa un sourire d'accueil.

Égoïstement, je pensai que dans cet antre la vérole devait voler bas et le sida peut-être ? Aussi, fis-je à la petite demoiselle un sourire que, jadis, la Maison Cadum voulait acheter une fortune à Félicie, laquelle refusa. J'acceptai cependant une natte dépenaillée à son côté. M'y couchis et m'endormis avec célérité.

La rumeur portuaire m'arracha au sommeil. Un boucan d'enfer (et je préciserai même d'enfer Rochereau) m'éveilla. Au sein d'un tel brouhaha, je me demandis comment j'avais pu fermer l'œil, voire les deux. Le raffut indescriptible ne s'apparentait à aucun autre. Se composait de mille clameurs simultanées, de grincements par millions. Fallait être totalement privé d'ouïe pour subir cette agression.

Je me demande pourquoi le phénomène d'agglutination rassemble les humains avec une pareille frénésie. Ils se haïssent à mort et pourtant éprouvent le besoin de vivre en bancs, comme les poissons ; de s'écraser, de se piétiner en des cités tentaculaires. Merde ! Y a encore des déserts, que je sache ! Des toundras, des steppes, et, sans vouloir chercher si loin, des plaines du Morvan, des plateaux de Millevaches, des Cirque de Gavarnie ! Mais eux autres, c'est des rues saturées, des souks, de la bordèlerie foraine, des métinges et défilés qu'ils ont besoin ! Faut que leurs hostilités se frôlent, se touchent, s'entrepénètrent. Moutons for ever en panurgerie irrémédiable.

Mes pensées moroses sont tempérées par des sensations luxurieuses, voire luxuriantes. Je visionne l'intérieur de la jonque. Le gros type et deux des fillettes se sont barrés pour chercher la bouffe quotidienne, probable. Le Chinago à la barbe traînante fume une bouffarde malodorante qui pue le goudron chaud et la chaussette d'été béruréenne. Salami grignote les puces morflées dans cette tanière. Mon cent quatre-vingts degrés s'achevant sur ma personne, je découvre la motivation de mon état languide.

Figure-toive que la grand-mère utilise mon membre pour donner un cours de fellation à sa petite-fille. Tu les verrais s'escrimer, les pauvres chéries !

Un berger pyrénéen en chialerait de pitié ! N'ont pas la clape suffisamment large pour me faire un collier à zob de leurs lèvres minces. La vieille obtient quelques résultats parce qu'elle est édentée, mais l'ado va périr d'étouffement si elle s'obstine. D'en plus, ça me racle le casque suisse, leur commerce.

Sans les brusquer, je leur retire le pain de la bouche. Puis tente de leur expliquer qu'il ne faut pas chahuter avec ces outils de haute précision. A me peler le radis de la sorte, elles vont me mettre en invalidité !

J'extrais à la dérobite un bifton de dix piastres américaines de mon aumônière et le leur présente.

La vioque me griffe dix centimètres de main dans sa hâte de l'emparer.

Bon, c'est pas le tout : j'écluserais bien un café serré, après cette séquence. Tu me comprends ? J'espère que je vais trouver un bar dans les parages.

Alors je prends congé de mes hôtesses. Le barbu fumeur reste impavide. S'est-il seulement aperçu de ma présence sous son taud ?

Ouf ! me voilà à quai, inquiet. Salami devient dingue à force de trucider sa cargaison de puces.

— Venez, nous allons acheter un pucicide puissant, l'encouragé-je.

Et puis je la boucle.

Que voudrais-tu dire, toi, gros malin si, ayant vécu les aventures relatées ci-dessus, tu apercevais une Jaguar verte stoppée devant le sampan, avec la vieille bordelière anglaise accoudée à sa portière dont la vitre est baissée ?

RENCONTRE-SURPRISE

Sur « l'écran noir de mes nuits blanches », y aura sarabande de fantômes, je pressens.

Je suis là, planté près de la Jag, complètement siphonné, bras inertes, testicules fripés, chopine en fil à plomb soudain captivée par le noyau terrestre.

Mémère me visionne de son regard intense, les lèvres crispées. Aujourd'hui, foin de robe verte et de capeline onduleuse, elle porte un tailleur strict bleu marine et blanc.

— Vous n'êtes guère fringant, murmure-t-elle.

Elle a dû prendre froid dans la mare car sa voix est enrouée.

Mon incrédulité perdure. Sacré bordel à cul, je l'y ai vue s'enliser avec sa caisse. De mes yeux vue. Et la vaste mare dont je ne soupçonnais pas la profondeur, l'a happée toute crue. Se remet-on d'un séjour de plusieurs heures dans la vase ?

Par contre, au volant ce n'est pas le même type. Celui-là est un zigus grassouillet, de style indien, dont le crâne est rasé comme le compte en banque d'un petit commerçant après le dernier tiers provisionnel.