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— Ne restons pas ici, dit l'Anglaise, montez !

— Pourquoi monterais-je, après les démêlés que nous avons eus ? objecté-je.

— Parce que nous devons « assainir » la situation.

— Je n'ai jamais voulu la polluer, assuré-je. Votre équipe m'a médicamenté, enlevé, conduit dans une « canarderie » afin de m'y réduire en aliment pour volailles et autres joyeusetés du genre. Je trouve l'expérience suffisante. Nous ne sommes plus à Macao. Ici, je dispose d'appuis me permettant d'affronter n'importe quel problème.

Elle soupire :

— Vous voulez bien regarder mon chauffeur ?

— Il me rappelle un orang-outan que j'ai beaucoup aimé.

Tout en dérisionnant, je bigle à nouveau le driver. Il a baissé sa vitre, s'y est accoudé. Tiens ! il fume la pipe ? Non, c'est pas une bouffarde mais une petite sarbacane.

Juste le temps de constater, un minuscule dard m'atteint au cou. Vivement, je l'en arrache. Trop tard : il produit déjà son effet.

Je sombre dans une léthargie cousine germaine du néant[19].

Je suis dans une torpeur, au fond de laquelle je pige tout, sans pouvoir réagir. Je me rends parfaitement compte que le chauffeur descend de son siège et me fait grimper à son côté. Je réalise également que mon cador ne participe pas à la croisière ; mais je sais qu'il saura me retrouver.

Nous quittons ce port minable et nous dirigeons vers le centre.

Malgré mon état, il me reste suffisamment de lucidité pour me permettre d'admirer cette cité verticale, dont l'ambition semble d'aller à la rencontre des Martiens. Entre mer et montagne, elle s'érige en capitale universelle des affaires, Métropolis du fric et de son corollaire, le crime. La plus forte densité humaine sur notre globe furonculeux.

A l'arrière du véhicule, Madame prend ses aises. Indifférente à l'incident qu'elle vient de créer, elle allume une cigarette noire à bout doré.

Me suis toujours méfié des gens fumant ces sortes de saloperies. Ne sont pas catholiques.

Tétanisé mais observateur, je la contemple dans le rétro. Et voilà qu'à travers mon atonie, je fais une constatation cette dame n'est pas celle qui s'est flanquée dans la « boutasse » aux canards ! Je te parie ta bite à couper contre la médaille des Arts et Lettres (à propos M. Touchose me l'a expédiée par la poste, avant d'aller vendre des moules ; je ne l'en ai pas remercié car il a omis de joindre un timbre pour la réponse) que je suis confronté à un cas particulier. A bien observer, je note des différences : elle porte une cicatrice au menton, en forme de « i grec » et une tache de vin sous l'oreille. En approfondissant l'examen, d'autres dissemblances se révèlent : l'ongle de son petit doigt de la main gauche est très long, ses yeux sont affligés d'un léger strabisme divergent et elle a une mouche sous une pommette. Conclusion : sœur jumelle !

Je regarde les rues populeuses. Nous fendons la foule à l'allure d'un enterrement officiel. Il me serait aisé d'ouvrir la portière et de descendre, malheureusement tout mon être est frappé d'une incommensurable apathie le rendant inapte au moindre effort.

Attendre et voir ! assure un proverbe anglais.

Un gratte-ciel plus vertigineux que les autres. Une rampe marbreuse pour les chignoles. Au fond, les ascenseurs. Une famille de dix personnes pourrait se loger dans chacun d'eux. Le driver se précipite, ouvre la lourde à Médème, puis vient m'extraire comme si j'étais paraplégique. Me soutient (je devrais dire me coltine) jusqu'à la cage garnie de miroirs et de banquettes de cuir. Un péone est survenu, qui a pris sa place au volant et emmène la guinde dans les profondeurs.

La cabine jaillit vers le ciel, plus rapide que n'importe quelle capsule Apollo.

A quel étage nous propulse-t-elle ? Mystère ! M'en fous ! Univers fastueux. Tous les ingrédients sont réunis : laque blonde, glaces biseautées, peau de Suède, soie sauvage, et j'en oublie.

Déjà prévenu de notre arrivée, un domestique attend au garde-à-vous.

Le chauffeur m'aide à m'introduire chez Poupette sœur. Hall féerique, enculade de salons poustouflants. On m'emporte en une chambre très sobre, si on la compare au luxe traversé.

Les convoyeurs m'étendent sur un lit de cuivre, puis se retirent.

Je mate le plafond constellé de caméras mobiles « couvrant » la totalité de la pièce jusqu'en ses moindres recoins. Quelque chose d'autre m'incommode.

Oh ! Oui : la chambre ne comporte aucune fenêtre, il n'y a pas de poignée de porte à l'intérieur. Être contraint vous débarrasse des alternatives, souvent angoissantes. « Repose-toi, fiston de Félicie, et attends confiancieusement. »

Si les hommes comprenaient la puissance du temps qui passe, ils vivraient beaucoup plus vieux. C'est le grand guérisseur d'ici-bas.

Sur ces paroles dont la profondeur me flanque le tournis, je mets ma gamberge en roue libre. Juste je me dis que, de retour à Pantruche, j'achèterai une améthyste à Félicie. C'est une pierre semi-précieuse, relativement modeste, mais dont la couleur épiscopale l'enchante.

Combien de minutes s'écoulent, Raoul ? Aucune idée.

Toujours est-il que mon état se normalise et que mes forces reviennent dans leur écrin d'énergie[20].

N'à un certain moment, diraient des gens épris de précision, les loupiotes éclairant ma geôle se mettent en veilleuse et un écran mural, de grandes dimensions, s'allume.

Apparaît en G.P. le buste de ma ravisseuse.

— Vous avez recouvré vos moyens ?

— A peu près, semble-t-il.

Elle me sourit ; son système vidéo est agencé de telle sorte que nous avons la possibilité de nous regarder en conversant.

— Nous allons donc pouvoir parler. Pour débuter, j'ai quelques précisions à vous communiquer.

— La première étant que vous n'êtes pas la dame à la Jaguar verte de Hong Kong ?

Elle déglutit, biscotte sa surprise de m'entendre causer ainsi. Mais c'est pas le genre de femme à en faire un frometon.

— Vous vous ressemblez d'une façon stupéfiante, comme beaucoup de vraies jumelles, toutefois certaines différences existent entre vous.

Et de les lui énumérer. Elle me scrute par caméras interposées.

— Vous êtes la dernière personne à avoir vu ma sœur, fait-elle lorsque j'ai terminé ma jacte ; je dois savoir ce qu'elle est devenue !

— L'ultime fois que je l'ai rencontrée, et la seule d'ailleurs, elle quittait l'élevage de canards où ses gens ont voulu me réduire en poudre.

— Pour aller où ?

— Quand elle reviendra vous le lui demanderez. Personnellement, je l'ignore.

— Vous n'avez pas la confidence facile.

— Vous préféreriez que j'invente n'importe quoi ?

— La vérité me suffira.

Son regard est fixe. Il existe quelque chose d'implacable chez cet être. Tu sais qu'avec cette pétroleuse, je ne suis pas au bout de mes peines !

— La vérité, soupiré-je, est-ce que ça existe ?

— Vous avez tort, murmure-t-elle. Ces atermoiements ne déboucheront sur rien et ne vous feront même pas gagner de temps. Car la mort est en vous, monsieur San-Antonio.

— Depuis le jour de ma naissance, je le sais. Il en est de même pour chacun de nous.

— Seulement, l'énorme majorité des hommes ignore l'instant de leur trépas.

Elle prend un objet qui se trouvait hors du champ et l'amène en évidence devant l'objectif.

— Vous voyez ce petit appareil ? C'est un contacteur. Presque en son milieu, vous devez distinguer une touche rouge. Exact ?

— Et alors ?

Elle pose son index sur le bitougnot en question.

— Si j'enfonce ce petit bouton, vous explosez, mon cher, comme ont explosé le Danois et le Japonais. Comme beaucoup d'autres exploseront encore de par le monde.

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19

Léthargie ne signifie pas inconscience. Si, dis-tu ? O.K., je retire.

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20

Seul San-Antonio est capable d'écrire avec pareille originalité. Et peut-être également Bernard-Henri Lévy, quand il a pris son Gériavit.