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O.K., je stoppe là. Mais c'est déjà pas mal, non ? Après cette nouvelle séance de « relations intimes » hystérique, nous sombrons dans l'inconscience la plus fabuleuse qu'il m'ait été donné de ne pas vivre.

C'est elle, cette fois, qui se lucidifie la première. Elle se dresse à demi sur un coude, je la sens qui me contemple. Cherche-t-elle un point de ma personne ou planter une lame, voire vider un chargeur ?

Je rouvre à mon tour mes vasistas.

Son expression me rassure d'emblée. Une femme posant sur un mec un tel regard ne saurait lui vouloir du mal.

— Vous êtes donc indestructible ? demanda-t-elle.

— Les jours ouvrables seulement.

Je lui réponds, en ponctuant d'un sourire enjôleur à même de lui faire craquer la chattoune.

Alors elle pleure.

Non mais, t'entends ça que je dis, p'tit Louis ?

Elle chiale pour de bon, et pas qu'un peu. Ses larmes achèvent de brouiller son visage. Tu sais qu'elle semble avoir cinquante piges de mieux, l'Anglaise ? L'est dévastée par nos paillasseries. Une vieille peau en loques, voilà ce qui reste d'une dame avec qui je viens de me propulser dans les étoiles comme avec personne d'autre jamais !

Elle jacte d'abondance. Me dit qu'elle a vécu pour des pelosses jusqu'à tout à l'heure. Sa frangine et elle souffrent depuis l'enfance de cruauté mentale due à des parents déséquilibrés. Sont devenues des filles monstrueuses, pratiquant le vice et le crime en virtuoses. Elles essayaient des hommes, qui les décevaient toujours, même lorsqu'ils se montraient bons amants.

Nonobstant leur qualité de jumelles, à mesure et au fur que se développèrent leurs situations, des dissensions se firent. La jalousie, sans doute ? L'une se fixa à Hong Kong, l'autre à Macao. Elles travaillaient pour la même organisation criminelle, « Le Doigt de Satan » : meurtres en tout genre, coups de main, attentats, escroqueries en Bourse, rackets. Une espèce de mafia extrême-orientale ayant des ramifications dans toutes les places influentes de la planète. Pour le moment, cet organisme mettait en branle une vague d'assassinats destinés à éliminer les personnages susceptibles de lui nuire ou qui risquaient de le gêner ; sans oublier des gens dont la puissance et la position sociale entravaient sa mainmise. L'affaiblissement notoire des grandes sociétés occultes italo-américaines, telles que Mafia, Camora, Main Noire, dont les chefs furent arrêtés, laissait prévoir une vacance à plus ou moins longue échéance et c'était le moment idéal pour remplacer ces associations vétustes par une force aux méthodes entièrement neuves.

A ce point de confidences, la vieille chérie, exténuée par nos étreintes éperdues, marqua un temps. J'en profitis pour lui demander ce qui motivait cet excès d'honneur me concernant car, ma qualité de directeur de la Police parisienne ne devait pas représenter un grand danger pour « Le Doigt de Satan » !

— Vous êtes modeste. Vous ne vous rendez pas compte du nombre d'affaires que vous avez résolues ! De toutes les organisations auxquelles nous étions affiliées et que vous avez jetées bas ! Mais vous êtes l'Attila des sociétés marginales ou occultes ! A cause de vous, plusieurs de nos amis ont été anéantis. Vous n'êtes pas seulement le directeur de la Police parisienne, vous êtes surtout la terreur des terroristes.

— Puis-je vous poser encore une question ?

— Toutes celles que vous voudrez, mon cœur.

— Pourquoi votre sœur a-t-elle, à plusieurs reprises, attenté à ma vie, puisque celle-ci se trouvait à la disposition d'un contacteur ?

La « Mystérieuse » se permit un sourire énigmatique.

— Vous resterait-il assez d'énergie pour me sodomiser ?

— Pour peu que je disposasse de quelque oléagineux, bien sûr !

Elle hélit un larbin et lui enjoignit d'apporter un lubrifiant, ce qu'il fit dans les meilleurs délais.

Nanti de cet adjuvant de service, je n'eus aucune peine à forcer ma geôlière comme elle le souhaitait. Elle hurla davantage que précédemment sous ma charge plantureuse. Prit un fade tellurique en appelant sa mère laquelle, probablement, n'existait plus, ou très peu.

Il y eut une nouvelle période de récupération.

Comparée à elle, dame Jeanne, notre centvingtenaire nationale aurait pu jouer Sophie dans les Malheurs de ladite.

Je lui laissis le temps de se remettre. Pour ma part, je venais de lui libeller un gros coït sans provision, ce qui me gardait lucide et prompt.

— Vous êtes un amant unique au monde, balbutia la Walkyrie du fion.

Je la remerciai d'un sourire ensorceleur pour cette louange, bien qu'elle fût amplement méritée. Puis, avec cette inexorabilité qui assure mon hégémonie, je revins à ma question. Je suis, tu le sais, d'une rare pugnacité :

— Je continue de m'interroger, belle amie pourquoi a-t-on voulu me tuer à Macao, puisqu'il suffisait de presser un déclencheur à distance ?

Elle me regarde de ses grands yeux d'infini[23].

Un temps.

Histoire de la pousser aux confidences, je glisse deux doigts voyous dans la fente de sa tirelire.

Curieusement, pour une femme ayant des heures de vol, elle sent bon du frigounet ; sa comestibilité est tonifiante et maintient en son partenaire un appétit lascif.

— Alors, ma chérie ?

— Je suis l'une des très rares personnes à avoir su que vous étiez « chargé » ; c'est le terme que nous employons.

— Il est très explicite.

— Ainsi, ma sœur l'ignorait-t-elle. Lorsqu'on vous a « orienté » sur Macao, j'ai demandé à Nelly de s'assurer de vous et de me prévenir. Mon plan était le suivant : que vous soyez un instant réunis. Alors, j'aurais fait exploser l'engin implanté dans votre cuisse.

« Connaissant sa puissance, j'étais convaincue que ma jumelle serait tuée ou très gravement blessée. Comprenez-vous, darling, je ne pouvais plus la tolérer, il fallait qu'elle soit éradiquée de ma vie. »

J'opine du chef, après avoir opiné du zigouigoui pharaonique.

— La haine passe par des chemins imprévus, laissé-je-t-il tomber. Qu'est-ce qui a motivé cette modification de vos plans ?

— Elle ! La garce ! Elle a voulu prendre l'initiative de l'opération, une première fois en vous faisant trucider à bord de l'hydroglisseur, mais le coup a raté ; ensuite, dans la canarderie. Vous vous êtes, là encore, tiré d'affaire. La baraka est en vous, mon bel amour !

— J'ai réchappé également à un troisième attentat fomenté par les péones de votre sister.

Et de lui raconter l'attaque du pavillon de la gente Cypria. Ça, elle l'ignorait, ma vieille baiseuse à répétition.

— Où peut-elle être ? murmure-t-elle, parlant de sa frangine.

Jadis, les gens de soixante carats portaient un râtelier (quand ils en avaient les moyens). Maintenant que tout le monde est parfaitement calcifié et pratique l'hygiène buccale, les nonagénaires croquent des pommes vertes. C'est à cela que je pense en admirant sa denture étincelante.

Je dis :

— Votre jumelle s'appelle Nelly. Et vous ?

— Barbara.

— Ce prénom m'a toujours fait rêver, avoué-je. Dans les bouquins anglo-saxons, il fourmille. Eh bien, pour tout vous dire, votre sœur est décédée.

Elle soubresaute, me regarde profond, mais profond, si tu savais, jusqu'à là que mon gros côlon fait un nœud.

— Vous l'avez tuée ?

— Non. Elle a eu une impulsion qui devait causer sa perte.

Posément, d'un ton de narrateur consommé (à la petite cuillère), je lui explique nos démêlés de la mare.

Elle m'écoute, frémissant d'une allégresse peu charitable de la part d'une frangine déjumelée par la mort.

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23

Aucun doute : San-Antonio est bel et bien notre plus grand écrivain actuel de langue française.

Jérôme Garcin (critique équestre)