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— D'ordinaire, poursuis-je-t-il, les mares sont peu profondes. Hélas, celle-ci l'est dans des proportions permettant l'engloutissement total d'une voiture !

J'ajoute, ponctuant de la prunelle :

— Je ne puis vous celer la vérité, après les instants fabuleux que nous venons de vivre.

Pour bien mettre les brèmes à plat sur le tapis, je lui confidencie mes tribulations postérieures au décès de la bordelière.

— Ainsi, terminé-je, vous voici débarrassée de cette femme qui gâchait votre vie.

Elle ne répond pas, joint les mains comme une Madone lourdaise exécutée par un pourvoyeur saint-sulpicien.

Compassionné, je la prends dans mes bras et la berce.

La vie est dure, par moments ; même pour une aventurière d'exception !

CONSEQUENCE D'UNE FLATULENCE

Ainsi, j'ai fait découvrir deux choses à cette femme dans la mime journée : qu'elle pouvait connaître la jouissance éperdue, et qu'elle n'avait plus sa sœur jumelle. Cette double constatation modifiera profondément sa vie, n'en doutons pas.

Elle me dit d'ailleurs, au cours d'un repas pris dans sa chambre, que son existence d'aventurière va cesser. Elle informera ses « partenaires » qu'elle est malade et doit se soigner ; leur annoncera son prochain départ pour la Suisse. Là-bas, elle achètera un chalet à Gstaad et s'y retirera. S'avoue richissime. Ayant toujours eu envie d'écrire, elle entreprendra le récit de sa vie ardente et diabolique. Nul doute que cela donnera un succès de librairie. Son souhait est que je lui rende visite fréquemment. Nous connaîtrons des étreintes frénétiques et accomplirons de ces copulations majuscules qui empêchent l'individu de vieillir.

Elle semble sincère, touchante, oserai-je assurer, génératrice d'émotions intenses.

Gagné par cet élan, je biche « l'ancienne Barbie » dans mes bras et la recalce avec presque de la tendresse. Je sais : il s'agit d'une criminelle impitoyable, mais sa rédemption n'en sera que plus belle. Les brigands devenus saints ont une autre dimension que les vertueux de naissance dignes d'un culte de dulie. Se préparer, sa vie durant, à la canonisation, tels certains de mes potes aux honneurs suprêmes, relève du « fonctionnariat ».

Hugh ! J'ai dit !

Ce léger supplément octroyé, je pose encore une question à la rédemptée. Nous marchons au rythme de : une baise, une révélation !

— Après mon combat naval au large de Hong Kong, j'ai passé la nuit à bord d'une jonque ; au matin, vous m'attendiez devant ce bateau. Comment avez-vous su que je m'y trouvais ?

Elle hoche la tête.

— Votre bombe implantée émettait un signal que je captais sur un récepteur. Je pouvais, de la sorte, suivre vos déplacements dans un rayon de deux cents miles.

— Cette invention est diabolique ! M'exclamé-je, admiratif.

— Nous en possédons beaucoup d'autres, je vous les ferai connaître. Mais quel courage il vous a fallu pour taillader ainsi votre propre chair. Maintenant, mon adoré, je vais mander un médecin pour qu'il traite votre blessure mieux que je ne l'ai fait. Un tampon imbibé d'éther est une thérapie bien pauvre.

La voilà qui me sourit avec éperduance.

Gilles de Rais devait probablement avoir cette expression quand il pratiquait une dame entre deux massacres.

Soudain, je me cabre.

— Darling, pouvez-vous envoyer un valet devant chez vous ? Sans avoir trop à chercher, il devrait découvrir un basset-hound à proximité. C'est mon chien, il s'appelle Salami. Vous me permettrez de le faire entrer ?

Elle sonne la valetaille et donne des ordres. Ses boys foncent.

Barbara me sert un gobelet d'alcool de riz. Je l'aime, mais glacé ; celui-ci est tiédassou. Froid, c'est plutôt agréable. Tiède, ça a le goût de merde. J'y trempe mes lèvres. Bouhâ !

J'espérais récupérer mon « fidèle ami », mais les minutes s'écoulent en vain, écriraient trois mille neuf cent quatre-vingt-quatorze romanciers homologués dans l'annuaire de la pêche au lancer.

Enfin, les deux larbins reviennent. L'un d'eux fait un récit à percussion. Il a le teint de certains fromages hollandais.

Ma dulcinée du tabasco l'écoute, maussade, ensuite me traduit :

— Ils n'ont pas trouvé votre chien, alors ils ont fait une petite enquête dans le quartier. L'animal a bel et bien été aperçu, mais les voisins prétendent que la voiture de la fourrière l'a ramassé.

Cette pernicieuse nouvelle me creuse un second trou dans le corps (à l'emplacement du cœur).

— Il faut faire quelque chose ! m'écrié-je, en retirant ma bitoune des lèvres de Barbara.

Elle se déglande la bouche pour m'assurer qu'elle dépêche quelqu'un immédiatement.

— Non, je m'en charge ! dis-je.

Seulement, c'est à cet instant que le docteur se pointe pour me soigner.

— Je vais aller chercher votre animal moi-même, me rassure ma dernière maîtresse en date.

Elle passe dans son dressinge tandis qu'on introduit le toubib.

Personnage intéressant. Pas chinois pour un yen, plutôt bavarois, je suppose. Sa tête carrée appelle le casque à pointe et sa moustache rousse laisse présager ce que doivent être ses poils pubiens.

A la vue de ma blessure, il éternue des interjections en caractères gothiques, veut apprendre comment elle s'est produite. Je lui explique que je me suis fait ça en me rasant, mais ça n'amuse que moi. Il me demande de passer à sa clinique pour envisager une greffe. Je réponds que je tâcherai de prendre rendez-vous au retour de mes vacances d'hiver. Écœuré, il fait son devoir en arborant une tronche de démarcheur en cercueils.

Ses soins ont avivé ma souffrance. Je ne sentais pas l'explosif implanté. Maintenant que je l'en ai extirpé, il semble que des rats d'égout boulottent ma cuisse.

Le Bavarois bavard se barre.

Je réclame une bouteille de bordeaux pour effacer de l'alcool de riz l'irréparable outrage.

A présent, le moment est venu de retrouver « mon équipe » lénifiée. Premier coup de turlu à Macao. L'hôtel Vasco de Gama m'apprend que mes « hommes » ont quitté leur honorable établissement pour une destination non précisée. Pensant que les deux Kongs sont revenus à Hong, je grelotte donc au Dragon Couillonné ; ici comme dans le territoire portugais, on ne les a pas revus.

Alors ? Qu'en est-il de ces zozos ? Sont-ils rentrés à Paname ou bien continuent-ils de me chercher à travers l'Extrême-Orient ?

Un verre de Château Margaux 1985 ne me guérit pas de ma saumâtrerie luxuriante.

J'essaie d'un second : rien. Je me sens étreint par une anxiété tourbillonnante telle qu'il m'en prend parfois au moment où ma bouchère va avoir ses doches. L'air se fait poisseux, la pression atmosphérique pesante et la vie pue le baril de morue salée.

J'erre dans le luxueux apparte. Tout y est d'un raffinement étudié, diraient les cons professionnels qui balancent des mots pour « faire genre ». Jouxtant la chambre, le vaste dressing. Au-delà, un bureau-boudoir aux murs décorés de gravures friponnes du XVIIe siècle, qui n'inciteraient même pas un collégien à se cogner un rassis.

Sur une fine table de laque noire, un fax est en train d'accoucher.

Pourquoi saisis-je-t-il la feuille fraîche émoulue ? Quel diable m'y incite ? Quel réflexe flicard ?

Je lis :

Je viens d'entendre votre appel. Ainsi vous tenez ce damné Français ? Belle renversée ! Je vous félicite. Rappelez-moi le plus vite possible.

L'Anglaise roule au volant de sa petite Rover 212 à injection. Le véhicule noir se faufile, tel un gros insecte, dans la circulation.

Sur la banquette arrière, Messire Salami réfléchit en considérant le dos légèrement dénudé de la conductrice. Le cador est prêt à parier un repas chez Lasserre contre un os à moelle que « le grand » l'a baisée tout récemment. Il juge la partenaire un brin fripée pour le « casanova », mais il connaît l'éclectisme de ce dernier en matière amoureuse.