Il se redresse et examine la dame dans le rétroviseur.
Curieusement, elle fait de même. L'œil sagace du basset-hound l'irrite inexplicablement.
— Cessez de me contempler ainsi, espèce de sale roquet ! l'apostrophe-t-elle.
Il ne dérobe pas son regard pour autant. En chien intuitif, il perçoit la totale nocivité de la donzelle. Quand elle est venue le retirer de la fourrière, il l'a un instant prise pour sa sœur de Macao mais, grâce à son odorat, a vite réalisé l'erreur.
Maintenant, il est sur le qui-vive. Où le conduit-elle, et pour y faire quoi ?
Écœuré, mal à l'aise, il craque une louise. Une chouette vesse canine. La bouffe de la fourrière était à ce point infecte que son vent est insoutenable. Tu croirais à une grève des éboueurs de la Villette, reconduite pendant six mois.
Barbara émet un cri d'horreur lorsque l'odeur lui titille les fosses nasales (ne pas confondre avec les forces navales).
Elle vocifère (à souder, voire à repasser), flanque un coup de son sac en cuir au clebs et baisse la vitre de son côté. Salami qui ne tolère pas de telles irrévérences, s'élance de la banquette arrière et prend appui sur le dos de la conductrice pour sauter à l'extérieur.
Son exploit s'opère pile devant une voiture de police roulant sirène bloquée et dont le conducteur se carrait la speed limit au fion.
Déselfcontrôlé, le flic veut éviter le chien. Y parvient au détriment de la Rover qu'il embugne par le travers gauche, l'enquillant sous les roues d'un énorme bus scolaire peint en noir et jaune. S'ajoute à ces deux couleurs le rouge du sang anglais de Barbara donnant une évocation des drapeaux belge et allemand.
La baiseuse effrénée, broyée comme un excrément sous la botte d'un soudard, rend à Dieu une âme dont Il n'espérait plus grand-chose.
L'action est la récompense de l'inaction.
Je commence à me sentir vieillir, chez ma gourgandine. Que branle-t-elle, l'Albioneuse ? L'en met du temps pour ramener mon cher Salami. Des vapeurs me bichent lorsque je songe aux fourrières d'ici qui sont peut-être expéditives et ne gardent pas les cadors errants.
J'ai pratiquement éclusé ma boutanche de bordeaux quand une idée germe en mon esprit fémalin[24].
Mû par une pensée à ressort, je retourne dans le cabinet de travail de Barbara. Me penche sur la feuille du fax où l'imprimante a tracé, non seulement le texte voulu par l'expéditeur, mais également ses coordonnées.
Tu parles si je les note !
Une heure passe derechef. Toujours nada. Que branle-t-elle, mon hyper-baiseuse ? Sa chaglatte ? Irritée comme elle est !
Je commence à m'éplucher les oignons à pleins ongles lorsqu'enfin on sonne. Je fonce vers l'entrée pour accueillir mon chien.
Déconvenue (des cons venus). Ne vois qu'un zigus de la Police municipale qui, dans son uniforme couleur chlorophylle, ressemble à un citron vert affublé d'une casquette et d'un ceinturon.
Il jacte avec le larbin : une tête de nœud aux airs de chat constipé. Je pige que pouic à leur bavasserie, mais note l'expression particulièrement solennelle de l'ancillaire.
Leur converse se calmant, je demande au valet ce qu'il se passe car il est évident que ça ne tourne pas rond dans ce moulin à farine.
Le ouistoto joint l'éloquence au laconisme. En trois noms dénudés d'articles, il me campe la situation.
ENFIN « LUI » !
En énormes caractères noirs sur une plaque de cuivre :
L'immense porte de verre dépoli à double vantail possède, en guise de poignée, une reproduction du pouce de César.
Je sonne, du moins l'espéré-je, car le timbre ne génère aucun bruit. Néanmoins un déclic succède et un des battants s'écarte.
Univers somptueux : tapis, tentures, tableaux s'harmonisent dans des tons beige et bleu. Mobilier chiassement futuriste : verre, acier, palissandre.
Derrière une table de marbre azur, une ravissante Eurasienne, seule dans le vaste espace, triture un appareil à l'usage mal déterminé.
Elle me distribue des sourires de bienvenue dont la chaleurosité ferait fondre la calotte polaire, et trimbale des nichebabes olidesques dans une robe de velours noir.
M'avance en souriant jusqu'à pouvoir capter les deux jolies bêtes tapies dans son bustier.
— Vous désirez, sir ?
— J'aimerais parler à Mr. Peter Groszob, de la part de miss Barbara.
Je surprends le mouvement qu'elle opère pour presser un bouton (qui n'est pas celui de son clitoris) sous le bureau.
— C'est à quel propos ?
— Private.
A compter de cette seconde, j'ai l'impression désagréable d'être regardé à travers un spéculum. Je périscope et renouche sans peine deux petits objectifs logés dans une moulure du plafond.
— Mr. Groszob ne reçoit que sur rendez-vous.
— Dommage ! laissé-je-t-il tomber. J'aurais pu lui épargner certaines tracasseries consécutives à la mort très récente de son amie Barbara.
Sans insister, je place une courbette d'adieu et tourne l'étalon.
Un léger zonzonnement me parvient.
— Je vous en prie, sir ! hèle la fille.
M'arrête.
Retourne.
— Pardon ? ingénué-je.
L'hôtesse se lève.
Elle a un prose qui fournirait une couverture vachement attractive au futur livre du futur roi d'Albanie, intitulé : « Et mon zog, c'est du poulet ? ».
— Venez ! elle m'enjoint (de cul lasse, naturellement).
Je suis son bilboquet à crinière dans un dédale de couloirs jusqu'à une porte matelassée de cuir et cloutée d'or. A droite, une plaque de verre s'inscrit dans le mur. La gonzesse pose sa main dessus. Un temps bref : l'huis coulisse.
— Vous pouvez entrer !
Voici un arc de détection d'armes : je le franchis et une sonnerie retentit.
— Vous voulez bien vider vos poches dans cette corbeille ? m'en prie la convoyeuse.
Je dégage mes quelques bricoles persos, y compris l'Opinel chirurgical évoqué antérieurement.
Nouveau franchissement de l'arceau. Tout est O.K. cette fois-ci. Une autre lourde coulisse et je déballe ma viande dans le sain des seins dont la règle est : super-luxe, super-confort.
Un homme est seul derrière un vaste bureau Design. La soixantaine harmonieuse, le cheveu noir calamistré. De race blanche, mais avec un zeste de Citron : pommettes saillantes, regard légèrement oblique.
Je le défrime, les mains croisées bas devant mes plantureuses génitoires ; il en fait autant.
Manière de fuir ses yeux acérés, je contemple une magnifique collection de statuettes d'ivoire datant de l'époque Ping-Pong, plus particulièrement un groupe de trois Chinagos occupés à se sodomiser courtoisement.
Enfin mon terlocuteur exprime :
— Qu'est-il arrivé à Barbara ?
Je tique en reconnaissant sa voix. C'est celle de l'homme qui m'a passé les coups de fil auxquels je dois de me retrouver en Chine.
Alors là, j'entre en érection mentale.
Sans y être convié, je m'empare d'un siège faisant face à Peter Groszob et en obstrue l'issue de mon gros côlon.
— Cher correspondant, jusqu'alors anonyme ! modulé-je, enfin je vous vois !
Son impassibilité est considérablement ébréchée.
— Vous ne sauriez imaginer le plaisir que me procure notre rencontre, poursuis-je. J'ai tant de questions à vous poser !