— Contentez-vous de répondre aux miennes ! riposte-t-il.
— Que pourrais-je vous apprendre que vous ne sachiez, mon bon Peter ? Ma vie est cristalline comme du sperme de garçonnet.
— Qu'est devenue Barbara ?
J'ouvre les yeux du chat déféquant dans des braises brûlantes.
— Sachez qu'elle est morte tout à fait accidentellement, dans sa voiture. Comme sa sœur. Étrange destin, non ?
Cette fois il est secoué pour de bon.
Avec calme, et sans omettre la ponctuation, je lui décris les circonstances ayant entraîné la mort des dames jumelles.
— En somme, péroraisonné-je, la triste fin de Nelly est conforme à vos vœux, mon cher ; à cela près que vous vouliez la faire périr de ma propre explosion, ce qui serait passé pour un « accident du travail » auprès de vos « associés ». Son trépas a été décidé par Barbara. Vous y avez consenti car vous étiez l'amant de cette dernière. Au passage, je vous adresse mes compliments : c'était l'une des toutes premières baiseuses que j'aie pratiquées.
« Quant à votre collaboratrice de Macao, elle ignorait que je fusse « chargé », mais elle a phosphoré et pressenti qu'il se tramait quelque chose. Elle a alors tenté de me faire liquider par ses gens avant mon arrivée, chacun de vous possédant, semble-t-il, sa garde prétorienne. Hélas pour sa santé, le coup a raté. »
Il est tout bizarroïde, le big chief, pas joyce du tout dans ses baskets du dimanche.
— Je parie, ajouté-je, que ces très chères sœurs se haïssaient à cause de vous, mon brave Peter. Ah ! il faut reconnaître que vous possédez un grand charme, avec, je devine, la manière de vous en servir !
On se défrime avec des yeux d'entomologistes. Puis, me sentant d'humeur bavasse, je remonte à la tribune :
— Si vous me permettez, votre organisation paraît rocambolesque. Elle est le fruit d'aventuriers séniles ; ce n'est plus à vos âges qu'on devient Alexandre le Grand, voire simplement Al Capone.
« Apprenant le décès accidentel de votre maîtresse, j'ai profité de ce que je me trouvais chez elle pour fouiller son bureau et rassembler certains dossiers que j'ai déposés en lieu sûr avant de venir ici.
« Entre autres choses passionnantes, j'ai mis la main sur la liste des prochains « explosables ». Du beau monde : M. Agnelli, le Premier ministre canadien, Boris Eltsine, et pas mal d'autres ! Inutile de vous préciser que je les ai déjà fait prévenir. »
Celui que j'appelais « mon mystérieux correspondant », la secousse encaissée, reprend du poil de la bébête :
— Rendez-moi rapidement ces documents, sinon vous le regretterez !
— Si j'avais à le regretter, monsieur Groszob, vous ne vous en remettriez pas !
Son visage cesse d'être figé. Marmoréen, ça s'appelle en littérature-pousse-café.
— Ne parlez pas à tort et à travers, fait-il. Regardez plutôt.
Il se lève et s'approche d'un énorme téléviseur. L'appareil est monté sur un axe et pivote. Groszob presse une touche noire. L'écran s'allume. L'image met un temps à se constituer. Enfin, elle finit par se « rassembler », se coaguler, et que vois-je ?
Non, ne cherche pas à deviner, tu te fraiserais !
Une pièce blanchie à la chaux, nue comme l’œil dans son orbite. Deux nattes sont étalées sur le sol et trois personnes gisent dessus dans une grande détresse physique : les vêtements lacérés, des plaies au visage, la denture ébréchée, le crâne bosselé.
Je retiens un cri en reconnaissant Béru et les époux Pinuche.
— D'accord ? me demande Groszob.
ÉPI–CENTRE DÉMIE
GLOTTE GRAPHE NE LOGUE
Je pourrais encore longtemps.
Ne veux pas.
Ma devise, tu la connais ? « Tire des coups, mais jamais à la ligne ! »
Pour t'en reviendre à la situasse si bourrée de dynamite qu'elle va finir par m'éclater à la gueule…
Voir ce trio, misérable, saccagé, brisé, fait gonfler mon cœur d'une rancœur monotone. Ce saligaud, c'est donc Satan en personne !
Il m'explique, complaisamment, qu'il s'est assuré de mes compagnons, à leur retour de Hong Kong, les a mis en lieu sûr après les avoir « consciencieusement » interrogés. Conclusion, on joue à « je te tiens, tu me tiens par la barbichette ».
Il propose un échange, le Dracula d'Orient-Extrême je lui restitue les documents engrangés chez sa vieille complice et il me rend ces trois navetons. Correct ?
T'imagines, Titine, que je vais attacher foi à sa propose ?
Il ne relâchera jamais des gens (moi le premier) qui en savent si long sur son industrie. Nous sommes dans l'impasse.
Son œil impitoyable me scrute ironiquement.
Je fonctionne du bulbe à la vitesse d'un hydroglisseur de compétition.
N'à ce point précis du récit, intervient un inter-merde, dirait le Gros. On apporte à bouffer aux prisonniers. Ce simple fait va décider de la suite (et de la fin) de cette inestimable histoire qui sera classée « tête des ventes » par les Relais et, peut-être, monument historique !
Sais-tu quoi ?
Tu tiens à ce que je t'y révèle, Adèle ?
Alors voilà :
Le mec qui donne la bouffe à mes aminches je l'ai aperçu avant d'entrer dans le burlingue de Groszob.
Tu me lis bien, avec tes lotos globuleux ?
Que signifie cette constatation ?
Que la geôle de mes patriotes cons est située sous le toit qui nous abrite !
Pas à hésiter.
Je t'ai causé de la statue en ivoire de l'empereur Suç Mao Pin' sur un socle de marbre blanc ? Non ? Ben, elle !
Me le biche par le cou, le monarque de la dynastie Dû Trong.
Il pèse autant qu'un cochon mort. Le brandis pourtant d'une seule paluche et lui fais donner l'accolade à mon hôte.
Où tu vois le tyran, en Suç Mao Pin', c'est qu'il écrabouille le dôme du vieux nœud. L'iroszob n'a pas eu le temps de réagir, le voilà avec la calotte crâneuse au niveau du nez ! Ça décoiffe, hein ? Le sang jaillit par ses deux portugaises à la fois, ce qui n'est jamais bon cygne.
D'un seul coup, l'Antonio récupère sa sérénité.
J'essuie, à l'aide des rideaux, le buste souillé de Sa Majesté, manière d'effacer mes empreintes. Ouvre deux tiroirs du bureau. Pourquoi n'en ouvré-je pas davantage ? Parce que c'est dans le deuxième que je découvre un pistolet de fort calibre. Outil sérieux et qui doit valoir une fortune. Ses flancs chromés recèlent un chargeur de neuf bastos. De quoi rire et s'amuser en société !
Nous l'avons récupéré le lendemain, dans une rue du centre.
Pour ne pas retourner en fourrière, Salami avait trouvé une astuce : marcher au côté d'une vieillarde. Il circulait ainsi sans craindre les lassos des traqueurs de chiens vagabonds. L'ennui, c'est qu'il ne pouvait choisir son itinéraire.
Il m'apprit par la suite qu'il avait toujours gardé confiance en moi et en sa bonne étoile.
Un chien pareil, je te le jure, il n'en existera jamais deux !
Présentement, nous sommes en vacances sur la Costa del Sol avec Félicie.
Le soir, nous jouons au rami tous les trois.
C'est Salami qui gagne.