J'écluse un long drink dont je n'ai pas pigé le nom. Il y a de l'alcool de riz naturellement, et puis d'autres substances d'apparence foutreuse. C'est doux et agréable. Je dilectionne pour les trucs sucrés, tout en ayant vaguement honte de ce côté loukoum de mon personnage.
Béru s'est fait déponer une bouteille de vin chinois, dont l'étiquette rouge, verte et dorée flanquerait des cauchemars à mes nobles amis d'Yquem. Il la vide en multipliant ses moues critiques.
Entre nous, Salami feint de rêvasser ; en réalité, il scrute sous les jupes d'une dame dodue qui, du fait de son embonpointement, conserve les jambes écartées. Quelle trouble félicité peut lui apporter un tel spectacle ? C'est là un mystère que je tente d'éclaircir.
— Vous éprouvez quelque agrément à contempler cet entrejambe de matrone ? l'interrogé-je.
Il me regarde de son œil blasé, puis jappouille à sa manière, entre ses fortes canines, usant d'un code que nous établîmes pour correspondre.
— Cette personne, me signifie-t-il, m'inspire tout à la fois dégoût et curiosité. Je lui suppose un sexe malmené par sa déjà longue existence, qui a dû guerroyer sur tous les champs de bataille de l'amour au point de n'être plus qu'un conglomérat de chairs informes et sans doute inutiles. Voyez-vous, mon cher soi-disant maître, l'autre soir je visionnais un film hard pendant que vous faisiez du courrier sur l'abattant de votre secrétaire. Il montrait les mornes ébats filmés d'une fille besognée par deux mâles stupides, aux sexes plantureux. L'un des gaillards se donnait à traire, cependant que l'autre la prenait par-derrière. Je mis un temps à réaliser que le second, en fait, la sodomisait, ce que l'énormité de son phallus et la minceur de la partenaire n'induisaient pas à penser. Ce qui me frappa, c'était l'impassibilité de la jeune femme sous les assauts brutaux de ce triste sodomite. Elle encaissait la charge stoïquement, non plus avec agrément, mais par inadvertance, comme s'il eût été normal qu'une issue, à l'origine étroite, pût recevoir un tel « rebrousse-chemin ». J'en fus profondément (si j'ose dire) choqué ; attristé, aussi, car des manigances pareillement dépravées portent atteinte à toute la classe des mammifères à laquelle j'appartiens au même titre que vous.
Il se tut, la prunelle incertaine. Puis revint à sa contemplation initiale.
— San-Antonio, m'interpella-t-il au bout d'un temps d'incertitude, sauriez-vous me ménager une entrevue privée avec la personne dont je guigne l'entrejambe ?
— Why not ? répondis-je, dérouté par cette surprenante requête.
Joignant le geste à la promesse, je me levai et m'approchai de la vieille peau convoitée par mon chien.
Elle leva sur moi un regard serti de rides semblables aux rayons d'un miroir-soleil Louis le Quatorzième. Me sourit car, comme infiniment douairières, elle me trouva beau et me supposa membre que toutes les braguettes n'ont pas le privilège d'héberger.
Je me présentai civilement. En pressant ma puissante dextre, elle déclara se prénommer Ruth, prénom qui correspond assez à l'état dominant de sexualité. Son accent me fit pressentir qu'elle avait à voir avec l'Autriche.
Elle y était née.
Nous devînmes rapidement amis…
Lorsqu'un courant de sympathie fut créé, je lui présentai Salami et lui confiai qu'il s'agissait d'un animal phénomène, doté d'intelligence, et que ce dernier espérait composer un traité sur les sentiments pouvant se développer entre une femme et un basset-hound.
Je suis infoutu de retracer ici les arguments de mon propos, toujours fut-il qu'une heure plus tard elle se rendit dans son appartement, accompagnée de mon fidèle compagnon.
Bérurier cuvait dans son fauteuil, sous la Voie lactée immense et radieuse.
Je m'abstins de l'éveiller et gagnai ma chambre. En y pénétrant, j'avisai le signal lumineux du téléphone chargé de me prévenir qu'un message m'attendait au standard. Je l'appelai aussitôt. Une préposée à la voix de souris trempée dans l'huile me le lut.
Il était ainsi libellé :
Ne quittez pas encore Hong Kong. Vous appellerai demain à midi. Votre ami.
Je décidai illico d'obéir à cette injonction ! Ou à cette adjuration, si injonction te semble un peu trop rude.
J'avais le ventre plein, les burnes vides, et m'endormis d'un sommeil affable.
Le lendemain fut un autre jour. Un ouragan s'était déclenché pendant la nuit, décoiffant les mouettes et agitant avec vigueur les gratte-ciel. Il s'accompagnait de rafales de flotte qui n'étaient pas de la pluie, mais bien des vagues arrachées à l'élément liquide, comme disait mon très ancien prof d'histoire-géo.
Nous fûmes donc consignés dans le palace, Béru et moi. J'y empletta tous les quotidiens de « King Kong » (selon Alexandre-Benoît) et branchis la téloche.
Le meurtre du Japonouille se taillait la part du lion. Cet homme opulent et corpulent travaillait dans la pétrochimie. Il possédait des succursales un peu partout dans le monde et sa fortune restait inchiffrable, ce qui m'a toujours semblé inquiétant. Il était marié à une femme alliée à la famille impériale. Ses enfants fréquentaient l'université d'Oxford, à l'exception de l'aîné qui le secondait dans les affaires. Ce gros tas de fric se nommait Tupu Duku, tels la plupart des Japonais dans mes livres. Il bossait énormément, voyageait sans relâche, tout en sacrifiant beaucoup à Vénus. Il possédait des « correspondantes » dans tous ses points de chute, qu'il comblait de libéralités, sans trop les fatiguer, son zizi ne dépassant pas les dimensions d'une chenille processionnaire retour de Compostelle.
Son meurtre fait grand bruit (tu parles : il a explosé) tant par son importance sociale que par son étrangeté.
Selon les premières informations en provenance de Tokyo, ce paquet de lard avait subi une intervention relativement bénigne puisqu'il s'agissait d'une hernie même pas étranglée, opérée dans une clinique suisse sur les bords du lac Ladoga. Pardon ? Le lac Ladoga n'est pas en Suisse, dis-tu ? Et tu crois que je vais me formaliser pour un détail aussi mince ? Disons le lac du Bourget et n'en parlons plus !
Cet acte chirurgical fut réalisé par le professeur Kulmaniess (Jean), praticien de grand renom qui réussit avec brio, jadis, la double amputation de la Vénus de Milo, sauvant cette dernière de la gangrène.
Appelé par téléphone, le chirurgien a mal pris les doutes exprimés par l'Agence Omicron et parle d'engager un procès en divagation. Bref : c'est le grand bouzin. Le Mikado actuel, dont personne, pas même lui, ne se rappelle le nom, a exprimé ses regrets, précisant qu'ils sont attristés. Hong est sur le pied de guerre, Kong également. Le gouvernement jap de mes deux réclame le rapatriement du corps de toute urgerie.
Tu mords le climat ? Comme disait l'autre jour le Pommier sinistre britannique aux Communes : ça chie des bulles carrées !
Je lis toute ma documentation, ne rate pas un flash à la téloche.
Le dynamité me sort par les yeux. La plupart des baveux passent la même photo de lui : elle le représente en pyjama brodé (à moins qu'il s'agisse de sa tenue de samouraï honoraire). Impossible de distinguer ses prunelles. Son sourire impénétrable renforce l'énigme du personnage.
Je coupe la tévé, jette mes canards dans la corbeille à fafs, et regarde la gigue des éléments déchaînés. Des trucs hétéroclites voltigent, soufflés par la monstrueuse bourrasque : imprimés, bonzillons, préservatifs usagés, vêtements de toute sorte…
J'ignore quels comptes le Seigneur est en train de régler, mais je peux t'assurer qu'Il n'est pas content !
A travers les déferlances, j'entends un grattement à la porte. Salami qui rejoint sa base.
— Alors, expérience concluante, Messire ? lui demandé-je.