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Et d'expliquer en grande piteusité :

— Il faisait tellement chaud à l'intérieur que j'ai baissé une vitre pour lui permettre de respirer. Au début il s'est tenu tranquille, puis, soudain, il a réussi à s'échapper. J'ai essayé de lui courir après, mais il fonçait comme un dard.

— Ça ne m'étonne pas, soupiré-je. Heureusement quand il fugue c'est pour la bonne cause.

— Alors quoi, maugrée Alexandre-Benoît, on s'sucide ou on va s'faire cuir' un' soup' z'aux choux ?

Je le félicite d'avoir usé d'un « x » pour assurer le pluriel de chou, puis, acceptant l'avenir immédiat avec stoïcisme, je lui demande :

— C'est comment, l'hôtel de ta petite garde-malade mâchurée ?

Il me considère d'un œil incrédule. Son regard s'embue. D'une voix enrouée par l'émotion, il déclare :

— C'est beau d'penser à ma bite n'en un pareil moment, mec. Toute ta granderie d'âme est là.

Tel un vassal d'autrefois, il s'incline sur ma dextre suzeraine et en baise le dos avec dévotion.

LA TRUFFE ET L'OIGNON

L'hôtel Vasco de Gama (1469–1524) compte parmi les plus modernes de Macao. Des chasseurs en livrée grenat, apparemment et à parements jaunes, fourmillent sur le terre-plein d'accueil, kif des morbacs dans la jungle pileuse de Bérurier.

Nous prenons deux chambres contigilantes. Comme le réceptionniste s'inquiète de nos bagages, nous répondons que, partis de Hong Kong pour la journée, nous avons brusquement décidé d'y prolonger notre séjour. Le mec, mal convaincu, me demande de lui laisser l'empreinte de ma carte de crédit. Ce dont je fais.

Ma pomme, veux-tu que je te dise ? Plein le fion, des hôtels ! Toujours à y louer des nuits, des plumards, des salles de bains. J'aspire à autre chose qui, sans être une vie pantouflarde, me permettrait de souffler. J'ai un peu de blé à gauche, m'man en a également à droite : on pourrait s'acheter un chouette appartement à Paname, dans un quartier eurf : Passy, Auteuil. Ou bien on se chercherait une maison dans le Marais, possédant un jardin romantique. Y a des tas de soluces.

Parfois, au hasard de mes déambulances, je stoppe devant quelque agence immobilière, spécialisée dans les crèches dites « de charme ». Et puis je me dis que ma Féloche est duraille a dépoter. P'pa est mort dans notre maison clodoaldienne. Au fond du garage, il y a encore le vélo dont il se servait pour aller jusqu'au bureau de tabac, acheter ses Gauloises bleues. Après tout, c'est assez classe, Saint-Cloud, on pourrait rebecter notre pavillon. Je suis bien avec la municipalité, elle nous donnerait sûrement l'autorisation de construire une aile en additif. Je connais un architecte génial. Pour décider m'man, je lui laisserais lâchement entendre « qu'il faudra bien que je me marie un jour pour lui confectionner une petite-fille qui porterait son prénom ».

Allez, go ! En rentrant, je lui fourre cette idée dans le crâne, ma mother tant chérie. Et on se lance illico dans les bioutifoules réalisations. Je suis certain de lui filer le virus de la pierre.

Voilà à quoi je gamberge au huitième étage du Vasco de Gama, en admirant la vue sur le Bosphore.

Comment ? Y a pas le Bosphore à Macao ? Ben, mon vieux, ça te regarde. Moi, les cartésiens de ton espèce, je les laisse quimper dans leurs certitudes préfabriquées, point à la ligne.

Tandis que le Kolossal se met en quête de sa bronzée ricaine, je vais faire des emplettes.

Rien de plus fastoche. Des villes comme celles-ci, Singapour ou Hong Kong, sont des bazars à l'échelle planétaire. Tu y trouves tout et n'importe quoi. Tu n'as qu'à marchander pour le plaisir.

En moins de cent mètres de bitume, j'ai acheté ce qu'il me fallait et je reviens au Marco Polo. Non, je me goure : au Vasco de Gama. Me livre à un numéro de haute transformation tellement réussi que le fameux Frégoli en gerberait son goûter de la veille.

Le bel Antonio, si pétulant, est entré dans la chambre 813, l'homme qui la quitte est un vieillard chenu, aux cheveux de neige, dit-on dans les vieux fascicules de La Veillée des Chaumières.

Coiffé en brosse, moustache en crocs, la démarche claudicante soutenue par une canne en bambou de Malacca, le front ridé par trop d'hivers vécus, le regard assisté de lunettes à monture de fer, vêtu d'un complet gris austère, le Sana tout joli est devenu inidentifiable. La meilleure des preuves est que, repoussant le bœuf Béru dans le couloir, celui-ci se retourne et m'apostrophe vertement :

— Dites don', l'aïeul, c'est pave biscotte v's'allez fêter vos cent berges qu'y faut faire esprève d'bousculer l'monde. J'parie qu'v's'êtes angliche, pour s'permett' des prévôtés pareilles !

— Ta gueule ! réponds-je sans perdre mon sang-froid (dirait Sancho).

Je poursuis ma route. Le silence qui succède est d'une telle densité que le chapelet de pets lâché par Sa Majesté fait l'effet de manœuvres navales dans l'Atlantique Nord.

Une cage d'ascenseur me soustrait à sa stupeur.

Ces grandes cités d'Asie ont une odeur particulière. D'épices, de musc, de farine de riz, de vérole inguérissable, de crasse sédimentaire, de culs mal torchés, de patchouli, de poisson qui s'abandonne, d'alcool frelaté, de hardes exténuées, de vapeurs d'essence, de vomissures communes, de coquillages oubliés. Elles puent la mer, l'amer et la merde. C'est le destin des fortes concentrations d'hommes dans les pays de soleil.

Je déambule au hasard des rues, fortifié par une sensation de « protection supérieure ». On a voulu me tuer, je ne suis pas mort ; le reste doit être pris au second degré.

J'erre avec application, si je puis dire. D'autres l'ont déclaré avant moi : l'immobilisme est le pire ennemi de l'humain. Se déplacer est déjà en soi un acte d'indépendance, la manifestation d'une volonté. Exister, c'est bouger.

Je vais, vais, ballotté par le vacarme de Macao, bousculé, agressé à travers tous mes sens.

Brusquement, tu sais quoi ? Je sens qu'on frôle mes meules. Je déteste. Mon cul est ma propriété exclusive. Même les frangines n'en ont pas l'usufruit. Et attends, illico la caresse se mue en inquisition. Voilà qu'on veut me triturer l'oigne ! J'arme ma droite et volte pour la placer dans le portrait du pédogue. Mais mon poing ne rencontre que le vide. Entraîné par mon élan, je titube et pars en avant. M'étale sur le trottoir.

Je te raconte ? Tu me donneras un petit quelque chose pour ma peine ? Bon !

Me relevant, j'avise Salami près de moi. L'air plus navré que jamais.

— Vous ! m'écrié-je.

Il remue du fouet, sa babine se retrousse pour un sourire qui atténue sa maussaderie apparente. Le drame de ces hounds, c'est qu'ils ont toujours l'air de suivre un enterrement.

On parlemente.

Il déclare :

— Pardonnez-moi de vous avoir fourré ma truffe dans le fondement, mais je voulais absolument vous identifier, chose malaisée de par votre accoutrement.

— Qu'étiez-vous devenu ? demandé-je. Ne deviez-vous pas nous attendre dans le taxi ?

— En effet. Mais la Chinoise qui vous avait plastiqué a quitté précipitamment le casino et j'ai cru judicieux de la suivre.

J'allégresse de bas en haut :

— Vous l'avez fait ?

— Bien sur ! Elle s'est rendue dans un curieux endroit proche d'ici où son compagnon l'a rejointe un peu plus tard.

— Votre efficacité me confond ! Vous voulez…

— Naturellement. Mais dites-moi la raison de votre transformation.

— Ce territoire est exigu et je suppose que tout le monde se casse le nez sur des gens qu'il n'est pas toujours sain de rencontrer.

— Je comprends. En tout cas, votre transformation est parfaite.