«L'homme ne connaît pas la femme. Or on sait qu'aucune ne se comporte comme une autre. Ou presque. L'une appréciera la douceur et le romantisme voluptueux, l'autre la violence et la vulgarité lubrique. C'est comme ça.
«Sur un hippodrome ou dans un casino, il est amusant de prendre des risques: on ne peut y perdre que de l'argent. Dans un lit avec une inconnue, c'est tentant, mais (une femme pouvant toujours servir, on ne le dira jamais assez) on joue plus gros. S'il fait exactement l'inverse de ce qu'elle aime, elle bondira hors du lit (l'impulsive) ou, dans le meilleur des cas, elle se raidira – ce qui nuira grandement au plaisir du parieur malchanceux -, attendra que ça passe et se jurera d'aller voir ailleurs au plus vite (la fataliste). C'est pourquoi il est nécessaire de se montrer diplomate et fin stratège, d'adopter la méthode de l'homme politique ou du producteur d'émission en prime time en se figurant, dans un premier temps du moins, que l'on fait l'amour à une sorte de femme moyenne, la ménagère ou plutôt la partenaire de moins de cinquante ans (ou de moins de quarante ans, voire la ménagère de moins de trente ans pour les puristes), et de faire par conséquent son possible pour plaire au plus grand nombre. Certes, l'homme s'expose ainsi à certaines critiques ("Trop tiède", "Ordinaire", "Pas assez audacieux") mais il pourra toujours se régler en cours d'exercice – c'est d'ailleurs tout l'art du technicien.
«Dans un premier temps, l'homme doit se déshabiller. Par la suite, il découvrira peut-être que la femme ne refuse pas, à l'occasion, de se faire grimper dessus à la hussarde pour se donner des émotions, mais si, lors de leur première entrevue, il se contente de baisser son pantalon à mi-cuisses pour se soulager sans perte de temps inutile, elle peut mal le prendre. Lorsqu'il est nu (il est bon que la femme se soit elle-même chargée de lui ôter ses vêtements, afin qu'il n'ait pas l'air, en se dévêtant lui-même devant elle, de l'ouvrier qui retrousse ses manches avant l'boulot), lorsqu'il est nu il ne doit en aucun cas avoir honte de son corps. L'être humain (et notamment la femme qu'on a réussi à guider jusqu'à son lit en deux temps, trois mouvements et quatre mots bien choisis à la sortie d'un restaurant) est influençable par nature. Si elle constate qu'il se cache, se tortille et joue de la couette comme une jeune Normande du siècle dernier le soir de ses noces, la femme n'ira pas chercher midi à minuit. Par empathie, elle pensera: "Bon, il a un gros bide ou une petite bite, c'est bien ma chance. Enfin, puisque je suis là…" En revanche, si l'homme se montre sans complexes, assumant sa nudité comme on assume sa calvitie, une éventuelle exubérance abdominale ou carence génitale ne passera peut-être pas inaperçue mais sera considérée comme sereinement acceptée par le principal intéressé, et donc acceptable car il ne faut pas être plus royaliste que le roi.
«Ensuite, il s'agit d'entamer le rapport proprement dit. L'homme ne doit escamoter les préliminaires sous aucun prétexte: c'est une tradition millénaire, on ne peut se permettre de la balayer d'un revers de main. De plus, il est de notoriété publique qu'une majorité de femmes les considèrent comme indispensables – elles ne sont peut-être pas toutes sincères dans les sondages, mais peu importe: ce qui compte dans ces étreintes initiales, c'est l'image qu'elles veulent donner, et de ce fait, peu d'entre elles oseront se plaindre. Si par hasard la femme choisie préfère réellement l'assaut viril au détriment des préliminaires (cela arrive mais il ne faut pas s'en soucier: même sur un hippodrome, on aura toujours plus de chances de gagner en jouant les favoris), l'homme commet certes une légère bourde mais elle ne portera pas à conséquence: personne ne peut s'offusquer du respect d'un usage si répandu (on peut ne pas aimer les huîtres, mais il serait déplacé de fulminer d'indignation si l'on en trouve chez sa tante au réveillon de Noël).
«Comme dans toute entreprise d'exploration, il est nécessaire de se montrer prudent et sobre. Ainsi, l'homme qui vient de se glisser dans le lit évitera de saisir aussitôt sa partenaire par les cheveux pour lui enfourner derechef son désir au fond de la gorge. Lui-même ne plongera pas non plus la tête entre ses jambes comme un épagneul affamé qui tombe sur cent grammes de Pal. (Bien entendu, dans certains cas, on peut ne pas tenir compte de ces deux recommandations: si la femme a ses ardeurs et se jette avidement, luette visible et frémissante, sur l'objet de sa convoitise, ou bien si elle plaque, d'un coup de reins gymnaste, sa féminité ruisselante sur la bouche entrouverte de l'homme, il serait absurde de se démener rageusement pour la repousser dans l'espoir de paraître subtil en amour.)
«Après quelques baisers savamment fougueux, l'homme caressera les seins de sa partenaire (sans pincer ni malaxer, sans effleurer non plus, mais comme on caresse la tête d'un chat – et cela va de soi, en précisant le geste (modulation de la pression, localisation de la cible) en fonction de la réponse corporelle et vocale de la femme), puis il fera glisser sa main sur le ventre, s'attardera un court instant sur l'endroit où il suppose que se trouvent grosso modo les ovaires (points assez sensibles, trop souvent ignorés car invisibles et méconnus de l'homme, celui-ci n'ayant pas tellement d'ovaires), et arrivera enfin là où il voulait en venir, entre les jambes. Ici, attention! Délicatesse et circonspection sont de mise, car la femme, en état d'alerte maximale, est prête à sanctionner mentalement la moindre faute. Celui qui s'acharnera sur le clitoris comme s'il tentait de le faire entrer à l'intérieur du corps, ou celui qui plantera trois ou quatre doigts conquérants dans une terre certes accueillante mais peut-être pas encore suffisamment meuble, perdra sans nul doute de nombreux points. La mesure et la capacité d'adaptation sont deux éléments clés pour ouvrir la femme. Après quelques instants de flânerie attentive dans cette province au climat tropical, et dans le but de préparer une expédition future, l'homme pourra aventurer un doigt vers une région plus sombre et d'accès plus difficile, le trou du cul. Mais durant cette première incursion, il devra surveiller, avec une extrême vigilance, la tête de la femme – directement reliée aux récepteurs sensoriels de cette partie du corps. Au moindre signe de douleur ou d'agacement, il devra rebrousser chemin.
«Durant toute cette manipulation, il ne cessera d'embrasser la femme. Et pas uniquement ses lèvres: ses joues, ses yeux, ses oreilles, son cou, ses épaules ou ses seins font aussi l'affaire. N'importe quel support est bon du moment qu'il occupe la bouche. Car si le visage de l'homme reste inactif, le regard dans le vide, il aura l'air du type à genoux qui fouille consciencieusement sous une commode pour récupérer un truc.
«La visite terminée (lorsque les sons émis par la femme perdent en intensité), l'homme lui touchera de nouveau les seins, le ventre ou les cheveux pour lui prouver qu'il n'est pas obnubilé par sa vulve. Il en profitera pour remarquer, éventuellement, qu'elle s'est mise en devoir de flatter sa virilité (tout à son travail, il a pu ne pas s'en apercevoir tout de suite). Le cas échéant, c'est bon signe.
«Par souci de galanterie, et pour ne pas donner l'impression d'imposer quoi que ce soit, c'est l'homme qui entamera les réjouissances bucco-génitales – sans trop d'appréhension car on trouve autant de femmes qui s'y opposent que de beurre en broche. Il repart donc bille en tête vers les contrées enchanteresses de la Vallée de la Joie – comme l'appelait Ronsard, grand poète malheureusement décédé. Il devra suivre avec la bouche les mêmes principes que lors du parcours manueclass="underline" ne pas se focaliser obstinément sur le clitoris, mordiller plutôt que mordre, ne pas trop chercher à frayer un chemin à sa langue avec ses doigts, au risque de ressembler à un scientifique myope, éviter si possible les bruits de bouche ou de nez, au risque de ressembler cette fois à un cochon truffier, et surtout, là encore, enregistrer la moindre réaction de la femme afin d'orienter son effort selon ses besoins. Tout cela n'est pas sorcier.
«C'est ensuite qu'il faut faire preuve de tact, au moment où l'homme peut espérer la réciproque, misant sur le fair-play de sa partenaire. Il existe quelques astuces pour éviter l'incident diplomatique. La première consiste à remonter comme précédemment, en léchant le ventre, puis les seins. Tandis que la langue vaillante s'attarde sur les mamelons en émoi, l'homme pose négligemment un ou deux doigts sur la bouche de la femme, comme s'il voulait juste lui caresser tendrement les lèvres. C'est là qu'intervient le génie de Léonard de Vinci (car c'est lui qui a inventé ce test infaillible). Inconsciemment, la femme qui suce va prendre le doigt dans sa bouche. Cela peut sembler simpliste, mais c'est ainsi: si elle lèche ou, mieux, engloutit le doigt, l’homme peut se détendre. Il n'a plus qu'à changer de position pour lui présenter la chose. Si elle n'a pas touché au doigt, cela ne signifie pas pour autant qu'elle fera la fine bouche plus tard (on peut imaginer une foule de raisons: elle aime tout bonnement se faire caresser les lèvres, le doigt sent le tabac ou l'ail, elle a de nombreux plombages et craint de les exposer, etc.). Pour se faire une idée plus précise, l'homme peut alors utiliser la deuxième astuce, moins savante: tout en continuant à embrasser les seins, le cou ou la bouche de la femme, il change de position – simplement, dirait-on, pour être plus confortablement installé et se consacrer tout entier au plaisir de sa partenaire, dans les meilleures conditions possibles. Il se met à genoux près d'elle, à peu près au niveau de son épaule et, penché sur elle, continue son oeuvre altruiste. La femme qui suce, lorsqu'elle aperçoit un membre disponible à quelques centimètres de sa bouche, ne peut se retenir – surtout lorsqu'on vient de la lécher courtoisement et sans arrière-pensée. C'est un réflexe.
«Si aucune de ces astuces n'a donné de résultat, il est préférable de s'en tenir là et de passer directement à l'étape suivante. En effet, il serait assez malvenu de saisir la tête de la femme et de la pousser d'autorité vers son devoir, après lui avoir si ostensiblement tendu la perche, si on peut dire. Ce serait prendre un risque inutile – celui de créer une sensation de malaise dans le couple – pour peu de chose: le meilleur reste à venir.
«Il est à noter que ces précisions et conseils sont plus théoriques qu'autre chose, car en pratique ïe problème se pose rarement: la plupart des femmes sucent.
«Quoi qu'il en soit, qu'elle ait fait preuve de bonne volonté ou non, il convient à présent d'honorer sa partenaire. Il n'existe qu'une règle d'or: l'efficacité. En d'autres termes, cette règle d'or peut se décomposer en trois points: il faut réussir à "bander", comme on dit dans le jargon; il faut éviter d'éjaculer après juste quelques secondes passées à l'intérieur de la femme; il faut enfin essayer de la faire jouir (toutefois, ce n'est pas indispensable).
«Si par hasard l'homme est amené à revoir plusieurs fois la même femme, il pourra par la suite se permettre de négliger l'une ou l'autre de ces bases. On lui pardonnera aisément, sachant qu'il n'est pas coutumier du fait et que "ça arrive a tout le monde". Mais lors d'une première confrontation, il ne faut pas plaisanter avec ça. Il existe de nombreux hommes sur terre et la femme n'a pas de temps à perdre. À moins qu'elle ne soit amoureuse de lui (mais comment pourrait-elle tomber amoureuse de quelqu'un qu'elle connaît si peu qu'elle n'a même pas encore couché avec lui?), son jugement sera vite fait. (Il faut être bien indulgent ou bien bête pour retourner dans un restaurant où l'on a très peu et mal mangé – il y a beaucoup de restaurants.) Et même si elle consent à laisser une deuxième chance à l'homme (par charité chrétienne ou paresse de chercher ailleurs), celui-ci se retrouvera le dos au mur, écrasé par une pression terrible, et entrera malgré lui, le malheureux, dans la fameuse et redoutable spirale de la performance. Au lieu d'un cuisant revers, il en essuiera deux. En résumé: dès la première fois, il faut que ça fonctionne.