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Je demande une Carlsberg à Thierry pour remonter le moral de mes globules et me donner, à moi, du courage pour l'avenir (car je n'ai que trop tardé, il est grand temps de s'essayer à l'amour), mais avant qu'il n'ait posé le verre jaune mousseux sur ma table, le beau Rocco (play-boy toc des Épinettes, notre quartier) s'installe en costume anthracite près d'Olive Sohn et déballe sa marchandise à l'italienne. Je n'entends pas ce qu'il lui raconte, car Denis a mis les Stones très fort sur le juke-box, mais il suffit d'avoir passé plus de deux ou trois ans sur terre pour deviner qu'il veut la baiser. Quand un chien s'approche d'un arbre en levant la patte, ce n'est pas pour danser le charleston autour.

Il faut dire qu'à première vue, elle ne semble pas très difficile à ramener à la maison (du moins pour celui qui a déjà du sperme dans l'œil – car pour celui qui voit clair (moi), il est évident qu'Olive est un cas presque unique dans les annales de l'humanité, qu'elle est ouverte et fermée à la fois, sauvage, salope et prude à la fois, disponible mais intouchable, et que celui qui réussira à la mettre à quatre pattes en la baratinant comme un vendeur d'encyclopédies n'est pas encore né (ou alors il est tout petit) (cela dit, dans le seul café d'un village médiéval du Luberon, où la serveuse frotte ses gros seins contre elle lorsqu'elle la croise dans l'embrasure de la porte des toilettes, Olive me dit: «Je ne complique pas trop les choses, je baise avec tous les hommes et toutes les femmes qui me plaisent»)).

Entre «Sympathy for thé Devil» et «Jumpin' Jack Flash», j'entends Rocco qui gargouille:

– En Italie, mon père est plus important que le président de la République.

Il serait temps qu'il me laisse la place, ce macaroni salace. Casse-toi, Rocco, the Sailorman piaffe d'impatience. Va jouer au billard, va voir ton père, va mettre Ramazotti sur le juke-box, n'importe quoi, va bouffer une pizza. J'ai besoin de m'exprimer, moi aussi. Mais attention, moi c'est autre chose. Moi pas question que j'aille faire le beau dans le grand cirque de la baise à la chaîne. C'est pas mon genre, à moi – enfin si, c'était mon genre, j'étais même le Zavata de la baise qui fait rire, le Kazakh fou de la baise volante, mais maintenant je crois bien que j'ai envie de tirer ma révérence et de ranger mon costume doré, adieu les paillettes et les lumières aveuglantes de la piste aux étoiles filantes, je veux de l'amour. Pousse-toi, Rocco, s'il te plaît. Ton père est plus important que le président de la Répu blique, tu peux rendre n'importe quelle femme heureuse, alors va en chercher une autre. Fous-lui la paix. Elle en voit vingt par jour, des comme toi: il suffit qu'elle dise un mot, qu'elle bouge une jambe et elle peut se faire mettre par n'importe qui. Mais Titus Colas, lui, veut de l'amour. Titus Colas veut tenter sa chance auprès d'Olive Sohn, sérieusement. Je m'en fous, de son cul (non, je plaisante). Sois sport, Rocco. Gare ta gondole et laisse passer the Sailorman.

Au-delà de l'écran de musique, j'entends le pignouf transalpin parler d'un «hélicoptère» (Olive hoche la tête et tire sur sa gitane), puis quelques instants plus tard d'une «femme sublime» (Olive hoche la tête et regarde à travers lui, l'œil clair, loin derrière), avant de conclure à la manière des forts (à la fin de l'envoi il touche) en lui tendant sa carte de visite. Ce petit rectangle de bristol blanc me fait pitié. On dirait qu'il lui tend une analyse d'urine rassurante, qu'il lui tend sa petite misère.

Néfertiti fourre la carte dans son sac (un petit en skaï rouge, aujourd'hui) parmi cinq ou six cents autres je suppose, pose sur un Rocco tout fier d'avoir réussi son coup un regard aimable qui signifie «Tu peux rêver», lui sourit gentiment, vraiment gentiment, et sort du Saxo sans dire au revoir à personne. Elle passe la porte. Je n'ai jamais vu un cul pareil. L'Italien reste assis face au vide. Le pauvre rital, tout con.

Moi aussi. Tout con, tout seul.

Le lendemain, je vais faire une analyse d'urine, justement. Plus ou moins pour l'offrir à Olive, en fin de compte (tous pareils). Depuis quatre ou cinq jours, quand je pisse je pense à mon père sous le tracteur – l'impression que quelque chose de chaud me sort du corps. C'est la première fois que je chope un truc de ce genre. Je m'en fous un peu, ce n'est pas réellement douloureux, mais je ne voudrais pas refiler une saleté à une fille comme Olive (c'est curieux, il ne me vient pas une seconde à l'esprit que cette rencontre (quelle rencontre?) puisse rester sans suite – je vais l'emmener chez moi bientôt, la déshabiller sans en perdre une miette, baiser avec elle de manière très encourageante, me promener le lendemain avec elle dans les rues d'une journée lumineuse et molle puis partir avec elle dans quelques pays du monde (je ne sais pas ce qui me prend, je deviens fou), bref, je vais enfin avoir droit à l'amour qui rend tout possible, depuis le temps que j'en entends parler, dans les bras d'une fille insaisissable (j'ai du bol) (je ne connais pas la fin tragique de l'histoire, ce jour où elle portera son pull vert pelouse, trois ou quatre tailles en dessous de la sienne avec des trous partout, mais c'est toujours comme ça, on ne connaît jamais la fin tragique de l'histoire)).

J'ai dû attraper ça la semaine dernière dans le lit de Nathalie – une femme croisée un mois plus tôt dans une boîte ringarde près des Champs-Elysées, qui couchait avec tous ceux qui lui souriaient dans l'espoir de se l'envoyer et vivait seule avec sa fille de deux ans à Colombes, parlait tendrement aux mouches qui s'attardaient dans sa cuisine (car elle croyait que chacune était la réincarnation de son mari (qui s'était tiré une balle dans la tête (à cause d'elle, disait-elle) en forêt de Fontainebleau et qu'on avait retrouvé deux mois plus tard, aux trois quarts dévoré par des animaux)), qui cachait des lettres de dénonciation sous chaque tapis et derrière chaque meuble de son appartement («Si je suis morte, si je me suis tuée, c'est à cause de Titus Colas, qui n'a pas voulu de moi» – nous avons à peine passé cinq ou six nuits ensemble, espacées sur trois semaines), qui se fourrait un petit revolver dans la bouche dès que j'essayais de lui expliquer que je n'étais pas fait pour l'amour (donc, effrayé, je me déshabillais illico et la niquais comme je pouvais en espérant lui redonner goût à la vie) et qui a fini par se sauver dans la nuit jusqu'à l'hôpital le plus proche, en tee-shirt rouge et culotte blanche, courant pieds nus sur le trottoir humide en agitant les bras, et en poussant des cris de chatte à l'agonie, de manière tout à fait psychiatrique. Je l'ai poursuivie en voiture, mais le temps que je me gare elle avait déjà franchi les portes de l'hôpital, et lorsque j'ai voulu entrer derrière elle, le gardien (venu des pays de l'Est) m'a barré virilement le passage en grognant:

– Non monsieur. Je crois que la dame ne veut plus vous voir. Je crois que vous lui avez fait beaucoup de mal déjà. Il faut rentrer chez vous.

Comment avait-elle pu lui expliquer tout cela en quelques secondes? (L'âme slave, on dira ce qu'on voudra, c'est quelque chose.) J'ai insisté mais il m'a définitivement remis à ma place.

– Dégage, maintenant. Rentre chez toi, enculé.

S'il n'avait pas été de l'Est (avec toute la force sourde, l'énergie désespérée que cela suppose) et si j'avais réellement tenu à savoir ce qu'allait devenir mon infortunée compagne, j'aurais fait face et serais allé, je pense, jusqu'à passer sur le corps de cette brute. Mais il était costaud comme un type qui n'a tenu le coup dans les camps que grâce à la vodka artisanale que lui fournissait un gardien compréhensif, et je n'attachais qu'une importance de circonstance à l'avenir de cette malheureuse – donc je suis rentré chez moi sans plus me soucier d'elle, enculé.

J'ai dû toutefois faire un détour par l'appartement de Colombes, car la brave femme avait oublié d'emmener sa fille, Audrey (comme toutes les petites filles), deux ans, qui dormait profondément, minuscule, seule dans son tee-shirt de nuit bleu avec Bambi dessus. Je l'ai prise endormie dans mes bras et l'ai conduite en voiture jusqu'à l'appartement de la mère de Nathalie. La vieille imbibée de sommeil nous a ouvert en nuisette saumon de chez Prisunic, n'a rien compris à ce que j'essayais de lui expliquer mais a tout de même pris la petite dans ses bras et a refermé la porte en bougonnant. J'ai dit au revoir tout seul sur le palier, j'ai réfléchi dix secondes avant de redescendre et je suis rentré chez moi, enculé.

Nathalie est maintenant dans un lit en fer, assommée par les produits chimiques, sa fille pleure dans l'odeur de bois moisi, de cake aux fruits confits et de vieille peau de la grand-mère, et moi j'ai mal quand je pisse.

J'entre chez le premier médecin dont je vois la plaque, rue Baron – n'ayant quasiment jamais été malade depuis que j'ai quitté le cocon familial en Alsace, il y a près de quinze ans, je n'ai pas le privilège d'avoir «mon» médecin à Paris (chaque fois que je vais dans une pharmacie chercher un sirop pour la toux ou une crème pour quelque douleur musculaire, on paraît stupéfait – et presque triste pour moi – que je n'aie pas de médecin attitré (comme si j'avouais que je n'ai pas d'amoureuse ou de marraine ou de passion dans la vie)). Nous sommes deux dans la salle d'attente. Mon compagnon d'inquiétude porte une jupe rosé, un débardeur en coton blanc, des baskets à semelles considérables et de gros nichons. Il se gratte sans arrêt, parle tout seul à voix basse et me lance des regards inquiets sans me voir, comme si j'étais un pot de fleurs exotiques un peu inquiétantes. Le médecin vient le chercher («Monsieur Larbi?» – il ou elle se dirige vers l'homme de science en tortillant du cul, les mains légères comme du papier à cigarettes (c'est comme si on criait dans la forêt «Loup y es-tu?» et qu'un lapin arrivait la queue en l'air, posait ses grosses fesses molles sur la mousse et gloussait «Oui? Quoi?»)) et je reste un long moment seul. Je lis Femme actuelle, j'apprends comment réussir une tarte tatin comme au restaurant et comment raviver le désir de mon mari («C'est bien simple, il ne me voit même plus!»: il faut acheter des dessous chez Chantal Thomass (c'est un peu cher, mais on n'a rien sans rien) et bien lui faire comprendre qu'il n'est pas seul au monde – je le savais déjà), et j'entends quelques bribes de conversation dans la pièce voisine: «Vous avez beaucoup maigri?»

Un quart d'heure plus tard M. Larbi sort, ils discutent un moment dans le couloir («Ah oui mais le printemps, il n'y a rien de pire pour les gens sensibles»), puis le médecin vient me chercher en passant la tête dans l'entrebâillement de la porte comme s'il allait jeter un dernier coup d'ceil dans sa boîte aux lettres pour être sûr.

Il m'invite à m'asseoir, me regarde avec inquiétude comme si j'avais un peu maigri moi aussi, puis me demande aussi sec si je n'ai pas de problèmes avec le pollen. Malin comme un singe, je réponds que non, du moins pour l'instant, mais que je reste sur mes gardes car je suis assez sensible de ce côté-là et que le printemps, pour les gens sensibles, c'est terrible. Il est épaté par ma réponse (ses yeux bleus globuleux – ceux des bébés blonds immondes dont on dit «Oh qu'il est beau, quels beaux yeux bleus!» – s'écarquillent) et s'interroge sans doute sur la raison de ma venue chez lui, étant donné ma science de base.

– Vous… Qu'est-ce qui vous amène?

Je lui explique que j'ai de la chaleur entre les jambes et que c'est probablement dû à mon aventure insouciante avec la femme au revolver. Après les remontrances d'usage («Ne me dites pas que vous ne vous protégez pas?»), il me demande d'ôter mon tee-shirt et de m'allonger sur sa table d'étude. Il me palpe le cou et les mollets (pauvre fou), écoute mon cœur, prend ma tension, me tripote l'abdomen («Ça vous fait mal? – Non non…»), me demande s'il peut aller jeter un coup d'ceîl derrière ma braguette («Je vous en prie, c'est pour ça que je suis venu»), me tâte et m'observe la bite avec compétence et délicatesse, avec amour – comme un pêcheur qui examine la petite truite qu'il vient de prendre à l'hameçon afin de savoir s'il doit la fourrer dans son panier ou la laisser retourner à la rivière – puis déclare d'une voix de spécialiste des problèmes de bite: