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– Attendez…

Je ne sais pas comment il faut agir lorsqu'on est amoureux. Attendez. (Je n'ose même pas songer à ce qu'il faudra faire ensuite, quand nous formerons ce COUPLE dont je rêve depuis tant d'années (que dire pendant qu'on dîne à deux dans la cuisine? («Qu'est-ce que tu as fait aujourd'hui, à peu près pareil qu'hier?», «Figure-toi qu'on a reçu la facture d'EDF, c'est le même prix que d'habitude, grosso modo», «Il est bon, ce melon, tu sais vraiment bien les choisir», «Tu ne dis pas grand-chose, ça va?») Comment réagir si un soir elle a envie de se coucher plus tôt que moi? (Regarder la télé?) Comment trouver des trucs originaux pour continuer à baiser de manière enivrante et spectaculaire au-delà d'un mois? (Trente jours, à raison de deux fois par jour, ça fait soixante fois, il y a tout de même de quoi se lasser (déjà après cinq ou six, j'ai du mal à garder mon enthousiasme initial…) – alors cent fois, huit cents fois, trois mille fois? Non, je n'arriverai jamais à l'intéresser trois mille fois.) Comment ne pas se cogner quand on veut passer en sens inverse par une même porte de l'appartement? Où se mettre quand elle passe l'aspirateur? À quel moment passer l'aspirateur pour ne pas trop la déranger? Et surtout, que faire pendant qu'elle lit dans le salon? (Marcher de long en large dans la pièce, l'air pensif? Prendre un bain qui dure jusqu'à ce qu'elle ait terminé, en poussant de petits soupirs d'aise à l'occasion pour bien lui montrer que si je suis là ce n'est pas pour m'occuper coûte que coûte le temps de sa lecture mais bien parce que c'est l'un de mes hobbies, le bain? Aller dans la chambre et faire semblant d'avoir quelque chose de très prenant à y faire? (faudra-t-il que j'apprenne à construire des maquettes de bateaux?))), je ferais bien de ne pas songer à tout ça, mais pour l'instant je ne sais même pas comment m'y prendre pour le former, ce COUPLE dont je rêve depuis tant d'années – et ça, je ferais bien d'y songer comme un bolide parce que je viens de dire «Attendez…» et qu'elle me regarde, comme j'aurais dû le prévoir, mais maintenant d'un œil bizarre (je dois avoir l'air très concentré, voire crispé (je panique))). Quand on voit dans un bar une jolie fille – qui par exemple a des fesses remarquables – et qu'on veut la niquer avant le lever du soleil, je sais ce qu il faut faire. Quand dans un bar on voit une fille très sympathique en apparence et qu'on aimerait la connaître davantage (et pourquoi pas la niquer avant le lever du soleil), je sais aussi ce qu'il faut faire. C'est facile, c'est à la portée de tout le monde (d'ailleurs tout le monde le fait, sans se casser la tête à chercher une méthode plus noble ou plus artistique qui ne ferait que compliquer inutilement les choses et retarder la manœuvre – or le soleil se lève tôt): pour la dompter et la posséder rapidement, il suffit de considérer la femme comme une bête. Je ne suis pas misogyne, c'est simplement une astuce pratique – dès qu'on l'a niquée, on peut de nouveau considérer la femme comme un être humain. Et de toute façon, c'est également valable en sexe inversé: les femmes peuvent employer la même technique si elles veulent, ça ne dérangera pas grand monde. Mon oncle connaît la vie:

«La femme est une bête. Dans un premier temps, il s'agit de l'approcher. Elle est assise seule dans l'ombre, elle rumine. L'homme doit avancer doucement vers elle et non pas comme un dragueur qui vient de repérer la bonne affaire et fonce dessus comme l'éclair par crainte qu'elle ne lui échappe. Il convient tout de même d'afficher une certaine confiance en soi, de ne pas avoir peur: sinon, elle le sent. Il s'assoira de préférence à la table voisine de la sienne. Au bout de cinq à six minutes (nécessaires pour qu'elle s'habitue à sa présence), il pourra engager délicatement la conversation. Pour cela, il n'oubliera pas que lorsqu'on donne du sucre à un cheval, un âne ou un lama, la main doit être bien à plat. Afin d'éviter de se faire mordre, il lui faut donc ne présenter aucune aspérité – rester sobre, neutre, c'est-à-dire ne pas parler de lui. Par conséquent, ses premiers mots seront inspirés par elle et seulement par elle. Le collier qu'elle porte, l'air triste ou ennuyé qu'elle arbore, le livre qu'elle lit, le dragueur suffisant et borné qui l'a entreprise un quart d'heure plus tôt, le curieux breuvage qu'elle a commandé, de nombreux sujets font l'affaire. Une fois la discussion lancée, tout s'enchaîne facilement. N'importe qui sait plus ou moins discuter de choses banales. (Et pour s'asseoir plus près d'elle, il aura suffi à l'homme, en allant chercher un verre, de demander discrètement au barman de monter la musique, puis de prétendre qu'il n'entend pas bien ce qu'elle lui dit – ce qui est fort regrettable car ce qu'elle lui dit est captivant.)

«Lorsqu'il sent la femme apprivoisée, l'homme va tenter de la mener au restaurant. Se rappelant que l'on mène le taureau où l'on veut grâce à un anneau passé dans ses narines (son point faible), il lui passera un anneau dans l'estomac. Son allié le barman viendra déposer devant eux quelques olives et quelques cacahuètes (pas trop, il ne faudrait pas qu'elle cale avant l'heure). Ainsi mise en appétit, tenue par le ventre, elle sera plus réceptive lorsque, après avoir jeté un coup d'œil à la pendule et paru hésiter un instant sur la suite du programme, il lui demandera d'une voix distraite: "Ça te dit, d'aller manger un truc quelque part?" Elle a faim, elle se rend compte que si elle refuse il n'en fera pas une maladie (car à son ton elle devine qu'il lui propose cela uniquement pour avoir un peu de compagnie en mangeant (comme devant la télé)), elle comprend donc qu'il n'a pas l'intention de la niquer avant l'aube, et puisqu'elle a déjà un peu grignoté avec lui, elle ne voit aucune raison valable de ne pas poursuivre en tout bien tout honneur. Elle suit l'homme au restaurant, la pauvre.

«À table, il doit rester fidèle au principe de la main bien à plat. Parler de lui le moins possible, lui poser de nombreuses questions sur elle (les gens adorent parler d'eux et en ont rarement l'occasion) et se montrer d'accord sur tout ou presque, non seulement parce que le rebrousse-poil n'a jamais enchanté quiconque, mais également pour qu'elle pense quelque chose comme: "C'est incroyable, nous avons les mêmes idées sur tout. Il y a là quelque chose de presque… surnaturel. Non, j'exagère, mais enfin le hasard n'existe pas." Elle parle d'elle, elle parle d'elle, elle lui ouvre son cœur – la moindre des choses est qu'il lui ouvre au moins sa porte en échange. Bientôt.

«Il glissera de temps à autre dans la conversation quelques remarques à caractère sexuel (avec tact et modération, cela va de soi), afin d'ouvrir l'esprit de la femme à la chose – il citera de préférence les goûts particuliers, les aventures ou les déboires génitaux d'autres personnes, pour ne pas s'impliquer lui-même dans ces histoires de vice. Cette infiltration insidieuse joue à peu près le même rôle que les olives: elle enclenche le processus. Sous peu, c'est elle, émoustillée, qui tiendra absolument à le niquer avant l'aube. Et même si un reste de lucidité la prévient qu'il n'est peut-être pas l'homme idéal et que si ça se trouve il cherche juste à la mettre sur le dos et à la secouer jusqu'au lever du soleil, il sera trop tard pour reculer car ce sera mieux que rien; elle balaiera ses réticences d'un battement de paupières. Lorsqu'on veut récupérer le sperme d'un étalon précieux et délicat, on lui fait d'abord flairer une belle jument. Il frémit, il entre en transe et se met à bander comme un taureau, si on peut dire. Puis, pendant qu'on lui fait faire un petit tour (il se demande bien pourquoi, il n'a qu'une seule idée en tête), on remplace sa partenaire idéale par une fausse jument, une carcasse métallique recouverte de mousse sous laquelle est fixé le récipient qui recevra sa semence. Il s'aperçoit bien qu'on est en train de le berner, il n'est pas fou, mais il est trop tard pour chipoter. Le désir est en lui, maintenant il faut que ça sorte. Alors il grimpe sur la pseudo-jument et se soulage vite fait, en se disant qu'une carcasse métallique recouverte de mousse, c'est toujours mieux que rien. La femme réagira de la même manière.

«Dans le but de préparer l'étape suivante (avant de lancer sa ligne, il faut choisir un bon appât et l'accrocher correctement à l'hameçon, dans le calme de la barque), l'homme n'omettra pas de parler d'un écrivain, d'un peintre ou d'un metteur en scène qu'il apprécie – et dont il possède une interview en vidéo. Il explique pourquoi il aime tant cette personne, se débrouille pour que la femme approuve (même si c'est seulement pour lui faire plaisir, à lui l'homme, car il a approuvé beaucoup de choses de son côté depuis le début du repas), ils en discutent un moment en termes de plus en plus élogieux (elle se laisse emporter par son enthousiasme et ne peut plus faire machine arrière) et il conclut sur un ton détaché: "J'ai une interview de lui en cassette à la maison, c'est vraiment bien. Je te la montrerai un jour, si tu veux." La femme est enchantée à cette idée mais, évidemment, l'homme ne propose rien dans l'immédiat. Ils ont bien le temps, ils vont se revoir souvent, c'est le début d'une longue amitié.

«Il convient, tout le monde sait ça, de la faire boire un peu, mais surtout manger beaucoup: au moment où le café arrive, elle a le ventre plein et commence déjà sa digestion. On sait que l'estomac prend alors toute l'énergie du corps. Lourde, molle et sans volonté, elle se laissera plus facilement guider vers le domicile de l'homme.

– Bon ben…, fait-il sur le trottoir, devant le restaurant. Je vais rentrer, moi… Tu fais quoi, toi, là? Non, moi non plus, je sais pas. J'ai pas vraiment sommeil, mais bon… Je me vois pas faire la tournée des bars, ce n'est pas trop mon truc. Je vais lire, ou regarder un peu la téloche. Tiens, tu veux la voir maintenant, l'interview de Machin?

«Tout est prêt, la bête engourdie est capturée.

«Apprivoisée, flattée, excitée, ivre et amorphe, elle est même heureuse de pouvoir saisir in extremis le prétexte de l'interview alors qu'elle pensait, trois secondes plus tôt ("Je vais rentrer, moi…"), que tout était foutu. Si elle a envie de baiser et l'assume, elle pense: "Bien joué ma fille." Si elle a envie de baiser et ne l'assume pas, elle pense: "Je ne vais rien faire de mal, au contraire, je vais juste voir une cassette qui contribuera à enrichir ma culture générale." Si elle n'a pas envie de baiser tout de suite mais forme tout de même quelques projets concernant l'homme, elle pense: "Je ne peux pas refuser d'aller la voir, cette cassette, je lui ai fait croire que j'adorais Machin, il va me prendre pour une fille qui ne s'intéresse même pas à ce qu'elle aime, il ne me rappellera jamais." Dans tous les cas, elle monte. Quand il n'y a qu'une porte pour sortir d'une pièce, même une oie l'emprunte. Précisons toutefois que si elle n'a pas envie de baiser et considère l'homme comme un crétin (employant cette méthode grossière, il s'expose évidemment à ce genre de critique), elle pense: "Va te branler, connard" et c'est effectivement ce qu'il a alors de mieux à faire.

– Une fois qu'ils sont devant l'écran de télé, l'homme peut se réjouir: il a réussi à transporter une inconnue depuis un bar jusqu'à chez lui sans qu'elle comprenne ce qui lui arrivait, étape par étape, maintenant elle ne s'échappera plus. Il doit simplement patienter encore une demi-heure afin d'enrober son premier baiser (le plus difficile à faire passer) dans l'interview de cet écrivain, de ce peintre ou de ce metteur en scène qu'elle adore (pour donner un cachet à un chat, il suffit de le dissimuler dans un morceau de jambon). Quand les paroles si belles et si justes de Machin lui auront fait pousser deux ou trois exclamations de plaisir (exclamations que l'homme aura savamment devancées ou reprises en écho, pour créer une atmosphère d'harmonie), il n'aura plus qu'à se tourner gentiment vers elle, la regarder droit dans les yeux durant plusieurs secondes – à la manière du matador qui fixe longuement le taureau avant l'estocade – afin qu'elle ait le temps de bien percevoir toute la douceur de ce moment incroyable qu'ils partagent grâce à Machin (et pas seulement grâce à Machin, non, elle le sait, grâce aussi à cette complicité naturelle qui les soude quasiment l'un à l'autre alors qu'ils se connaissent à peine) et, très simplement, l'embrasser. Ça rentre comme dans du beurre.