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– Elle est blanche. C'est donc qu'elle est invisible et ne mérite pas d'être.

Elle fige la nature et la protège. L'orgueilleuse, qui est-elle pour prétendre statufier le monde?

Elle se transforme continuellement. C'est donc qu'elle n'est pas fiable.

Elle est une surface glissante. Qui donc peut prendre plaisir à glisser sur la neige?

Elle se change en eau. C'est pour mieux nous inonder à la période de la fonte.

Yuko, lui, voyait dans sa compagne cinq autres propriétés, dont son talent artistique se satisfaisait entièrement.

– Elle est blanche. C'est donc une poésie. Une poésie d'une grande pureté.

Elle fige la nature et la protège. C'est donc une peinture. La plus délicate peinture de l'hiver.

Elle se transforme continuellement. C'est donc une calligraphie. Il y a dix mille manières d'écrire le mot neige.

Elle est une surface glissante. C'est donc une danse. Sur la neige tout homme peut se croire funambule.

Elle se change en eau. C'est donc une musique. Au printemps, elle change les rivières et les torrents en symphonies de notes blanches.

– Elle est tout cela pour toi? demanda le prêtre.

– Elle représente bien plus encore.

Cette nuit-là, le père de Yuko Akita comprit que le haïku ne suffirait pas à remplir les yeux de son fils de la beauté de la neige.

8

Yuko vénérait l'art du haïku, la neige et le chiffre sept.

Le chiffre sept est un chiffre magique.

Il tient à la fois de l'équilibre du carré et du vertige du triangle.

Yuko avait dix-sept ans lorsqu'il avait embrassé la carrière de poète.

Il écrivait des poèmes de dix-sept syllabes.

Il possédait sept chats.

Il avait promis à son père d'écrire seulement soixante-dix-sept haïku par hiver.

Le reste de l'année, il resterait à la maison et oublierait la neige.

9

Un jour de printemps, au renouveau du soleil, un poète renommé à la cour Meiji eut vent des travaux de Yuko. Il se rendit dans son village, trouva la maison du père d'Akita et le fit demander. Le prêtre, accouru du temple voisin, accueillit avec majesté le haut dignitaire de l'empereur, lui offrit une tasse de thé et dit:

– Mon fils rentrera ce soir de la montagne pour la dernière fois de l'année. Aujourd'hui est le jour de son soixante-dix-septième haïku. Mais, si vous le désirez, je peux vous mener à son atelier de travail. C'est là qu'il renferme tous ses poèmes, tous écrits sur des parchemins de soie.

Le poète huma le parfum du thé, le cœur rempli d'allégresse en songeant au temps heureux où lui-même avait été remarqué par un maître des rimes et amené devant l'empereur pour lui réciter un vers qui avait eu l'honneur de lui plaire. Puis il but une gorgée amère et dit:

– Montrez-moi ces merveilles.

Le prêtre l'invita à le suivre et ils pénétrèrent dans une pièce aux murs recouverts de parchemins. L'ensemble était d'une beauté à couper le souffle.

– C'est ici, Maître. Tous les haïku de mon fils sont offerts à votre jugement.

Le poète s'avança avec une lenteur majestueuse et lut chacun des soixante-seize poèmes de neige que Yuko Akita avait composés cette saison.

Lorsqu'il eut terminé, le prêtre vit que des larmes perlaient à ses paupières.

– C'est magnifique. Je n'ai jamais rien lu de pareil. Je crois que l'empereur pourra faire de votre fils le poète officiel de la cour, lorsque je ne serai plus de ce monde.

Le père de Yuko, au comble de la joie, se jeta aux pieds du haut dignitaire.

– Toutefois, ajouta ce dernier, je dois avouer que deux choses me chagrinent.

Le prêtre releva la tête et tressaillit.

Qu'y-a-t-il? Ces haïku ne sont-ils pas les plus beaux depuis le grand Bashô?

L'œuvre est incomparable, certes. Les mots sont puisés à la source de la beauté. Les textes possèdent une musicalité originale, mais ils sont dénués de couleurs. L'écriture de votre fils est désespérément blanche. Presque invisible. Si votre fils doit présenter ses œuvres à l'empereur, il devra apprendre à colorer ses poèmes.

Il est encore jeune, ne l'oubliez pas. Il n'a que dix-sept ans. Il apprendra. Mais quelle autre chose vous chagrine?

Le poète réclama une seconde tasse de thé, s'assit sous la tonnelle devant la maison et regarda la montagne qui s'élevait dans la fraîcheur printanière. Puis il but une gorgée amère et dit:

– Pourquoi la neige?

10

Lorsque Yuko revint de la montagne et apprit qu'un étranger avait lu ses poèmes et, pire, les avait aimés, il entra dans une rage folle.

– Ce ne sont que des esquisses. Je ne connais encore rien de mon art.

– Mais déjà on te demande à la cour! C'est un honneur, un grand honneur, lui répondit son père.

– Non, dit Yuko. C'est une bassesse.

Lorsque le prêtre lui eut rapporté les propos exacts du poète, Yuko s'enflamma.

– Que sait-il de la peinture et de ses couleurs? Il y a dix mille manières d'écrire, dix mille façons de peindre un poème, mais pour moi toutes ressemblent à la neige. J'irai voir l'empereur lorsque j'aurai écrit dix mille syllabes, dix mille syllabes d'une étonnante blancheur. Pas une de moins.

– Mais dix mille syllabes, cela fait près de cinq cent quatre-vingt-dix haïku! A raison de soixante-dix-sept poèmes par an, cela représente tout de même sept années de travail.

– Alors je me rendrai à la cour dans sept ans.

Il ne fut plus jamais question, entre le père et le fils, de la venue du poète impérial.

Ce printemps, Yuko tint promesse et n'écrivit aucun vers.

Il se contenta de respirer le parfum des pétales de fleurs du cerisier dans le jardin vert.

L'été, il respira les senteurs de miel de la forêt sous le regard de la lune à la cime des montagnes.

Aux premiers jours d'orage, il trouva une chanterelle dans la mousse près de la rivière.

Ce fut une année immobile et parfumée.

11

La peau des femmes

La peau qu 'elles cachent

Qu 'elle est chaude!

Sutejo

Le deuxième hiver de poésie fut d'une blancheur éclatante. Il neigea plus que de raison.

Une nuit de décembre, la jeune femme de la fontaine le dépucela. Sa peau avait le goût de la pêche. Il prit le mamelon de son sein blanc dans la bouche et le suça comme un citron de lune. Il ne le lâcha qu'au petit matin.

Durant l'hiver, Yuko écrivit soixante-dix-sept haïku plus beaux, plus blancs les uns que les autres.

Les trois derniers furent:

Neige limpide Passerelle du silence Et de la beauté
Musique de neige Grillon d'hiver Sous mes pas
Femme accroupie Urine et fait fondre La neige

C'était cela, un haïku.

Quelque chose de limpide. De spontané. De familier. Et d'une subtile ou prosaïque beauté.

Cela n'évoquait pas grand-chose pour le commun des mortels. Mais pour une âme poétique, c'était comme une passerelle vers la lumière divine. Une passerelle vers la lumière blanche des anges.

12

Aux premiers jours du printemps, le soleil revint. Et avec lui le poète de la cour Meiji.

Cette fois il n'était pas seul.

Avec lui voyageait une femme d'une beauté éblouissante, férue de poésie. Elle avait la peau claire et des cheveux noirs comme la nuit. C'était la protégée du maître.