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J'imagine que les choses n'ont guère changé. Nous pourrions rapprocher ces « enseignements » de celui de saint Paul brûlant la science grecque. La croyance est toujours plus forte que la connaissance, nous pouvons nous en étonner et le déplorer, mais c'est ainsi. Il serait excessif, cependant, de dire que ces enseignements pervers bouleversent le cours des choses. Non, les choses restent ce qu'elles sont. Il faut aussi rappeler que Voltaire était un élève des jésuites.

U.E. : Tous les grands athées sont sortis d'un séminaire.

J.-C.C. : Et la science grecque, même si on a tenté de la faire taire, a finalement triomphé. Même si le chemin de cette vérité est semé d'obstacles, de bûchers, de prisons, et parfois de camps d'extermination.

U.E. : La renaissance religieuse n'est pas liée à des périodes d'obscurantisme, au contraire. Elle fleurit dans les ères hyper-technologiques, comme la nôtre, elle correspond à la fin des grandes idéologies, à des périodes d'extrême dissolution morale. Nous avons alors besoin de croire à quelque chose. C'est à l'époque où l'Empire romain atteint sa plus grande puissance, lorsque les sénateurs s'affichent avec des prostituées et se mettent du rouge aux lèvres, que les chrétiens descendent dans les catacombes. Ce sont des mouvements de rééquilibrage plutôt normaux.

Il existe alors plusieurs expressions possibles de ce besoin de croire. Il peut se traduire par un intérêt pour la science des tarots, ou par l'adhésion à l'esprit New Age. Réfléchissons sur le retour de la polémique sur le darwinisme, non seulement de la part des fondamentalistes protestants mais aussi de celle des catholiques de droite (c'est en train de se passer en Italie). Depuis longtemps l'Eglise catholique ne se souciait plus de la théorie de l'évolution : on savait depuis les Pères de l'Eglise que la Bible parlait à travers des métaphores et que, par conséquent, les six jours de la Création pouvaient parfaitement correspondre à des ères géologiques. D'ailleurs la Genèse est très darwinienne. L'homme apparaît seulement après les autres animaux et il est fait avec de la boue. C'est donc à la fois un produit de la terre et le sommet d'une évolution.

La seule chose qu'un croyant voudrait sauver est que cette évolution n'a pas été casuelle mais le résultat d'un « dessein intelligent ». Cependant, la polémique actuelle ne concerne pas le problème du dessein, mais du darwinisme dans sa totalité. Nous avons donc assisté à une régression. Encore une fois, nous cherchons dans des mythologies le refuge aux menaces de la technologie. Et voilà que ce syndrome peut encore emprunter la forme d'une dévotion collective pour une personnalité comme Padre Pio !

J.-C.C. : Une rectification tout de même. Nous avons l'air de dénoncer la croyance comme mère de tous les crimes. Mais de 1933, date de l'arrivée de Hitler au pouvoir, à la mort de Staline, vingt ans plus tard, nous comptons sur notre planète près de cent millions de morts violentes. Plus, peut-être, que dans toutes les autres guerres de l'histoire du monde. Or le nazisme et le marxisme sont deux monstres athées. Lorsque le monde stupéfait se réveille après le massacre, il apparaît comme tout à fait normal de revenir à des pratiques religieuses.

U.E. : Mais les nazis criaient « Gott mit uns », « Dieu est avec nous », et ils pratiquaient une religiosité païenne ! Lorsque l'athéisme devient religion d'Etat comme en Union soviétique, il n'y a plus aucune différence entre un croyant et un athée. Tous les deux peuvent devenir des fondamentalistes, des talibans. J'ai écrit autrefois qu'il n'était pas exact que la religion était l'opium du peuple, comme l'a écrit Marx. L'opium l'aurait neutralisé, anesthésié, endormi. Non, la religion est la cocaïne du peuple. Elle excite les foules.

J.-C.C. : Disons, un mélange d'opium et de cocaïne. Il est vrai que l'intégrisme musulman semble reprendre aujourd'hui le flambeau de l'athéisme militant, et que nous pouvons regarder le marxisme et le nazisme, rétrospectivement, comme deux étranges religions païennes. Mais quels massacres !

Rien n'arrêtera la vanité

J.-P. de T. : Le passé nous parvient déformé de toutes les manières possibles et surtout lorsque la bêtise se mêle de nous le transmettre. Vous avez insisté aussi pour dire que la culture aime à ne retenir que les pics de la création, les Himalayas, négligeant la quasi-totalité de ce qui n'a pas été vraiment à notre gloire. Pouvez-vous donner quelques exemples de cette autre catégorie de « chefs-d'œuvre » ?

J.-C.C. : Me vient aussitôt à l'esprit un ouvrage extraordinaire en trois tomes, La Folie de Jésus, où l'auteur explique que ce personnage était en réalité « un dégénéré physique et mental ». L'auteur, Binet-Sanglé, était pourtant un professeur de médecine renommé, qui publia son essai au début du XXsiècle, en 1908. Je cite quelques morceaux d'anthologie : « Ayant présenté une anorexie de longue durée et une crise d'hématidrose, mort prématurément sur la croix d'une syncope de déglutition facilitée par l'existence d'un épanchement pleurétique vraisemblablement de nature tuberculeuse et siégeant à gauche… » L'auteur précise que Jésus était petit de taille et de poids, qu'il était originaire d'une famille de vignerons où on buvait du bon vin, etc. Bref, « depuis mille neuf cents ans, l'humanité occidentale vit sur une erreur de diagnostic ». C'est un livre de fou, mais composé avec un sérieux qui force le respect.

Je possède un autre joyau. Il s'agit d'un prélat français du XIXsiècle qui est un jour frappé d'une illumination. Il se dit que les athées ne sont pas des pervers, non, ni des méchants. Ils sont tout simplement des fous. Le remède est donc très simple. Il faut les enfermer dans des asiles pour athées et les soigner. Pour cela, il faut les doucher à l'eau froide et leur imposer chaque jour la lecture de vingt pages de Bossuet. La plupart seront rendus à la santé.

L'auteur, qui s'appelait Lefebre, visiblement très allumé, alla présenter son livre aux grands aliénistes de son temps, Pinel, Esquirol, qui évidemment ne l'ont pas reçu. J'ai écrit un film de télévision, Credo, réalisé il y a vingt-cinq ans par Jacques Deray, en prenant l'exact contre-pied de ce prélat déréglé, décidé à enfermer et à doucher tous les athées. J'avais lu dans Le Monde un entrefilet disant qu'un professeur d'histoire de Kiev, en Ukraine, avait été arrêté par le KGB, interrogé, convaincu de folie et enfermé parce qu'il croyait en Dieu. J'ai imaginé tout l'interrogatoire.