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« Oh, vous aurez beaucoup de mal avec votre chat ! »

Je ne le savais pas, elle me l'apprend, que les animaux domestiques, chats, chiens, « non-de-race » et « non-reproducteurs » sont considérés « inutiles »… que les Ordonnances du Reich vous obligent à les remettre au plus tôt à la « Société Protectrice ».

« Faites attention dans les hôtels ! sous un prétexte ou sous un autre leur délégué passe… pour une “visite vétérinaire” soi-disant… et vous ne revoyez plus votre chat !… les S.S. s'entraînent avec, leur arrachent les yeux… »

Nous voici prévenus… je remercie… nous nous méfierons des hôtels !… Bébert n'est ni reproducteur, ni de « race »… pourtant j'ai un passeport pour lui… je l'ai emmené passer la visite à l'Hôtel Crillon… par colonel-vétérinaire de l'armée allemande… « le chat dit “Bébert” propriétaire docteur Destouches 4 rue Girardon, ne nous a semblé atteint d'aucune affection transmissible (photo de Bébert)… » le colonel-vétérinaire n'avait rien mentionné du tout quant à la race… nous verrions bien à la police !… très beau rêvasser, deviser, mais nous, notre visa ?… oh, j'y pense !… nous ne serons reçus nulle part sans passeports en règle… Schulze nous avait bien prévenus… « passez tout de suite à la police ! »

« Allons mon petit ! on y va ! »

Nous avions un petit peu flâné… je demande au premier schuppo… de l'autre côté du pont… « le bureau des visas » ?… pas loin !… il me montre deux… trois baraquements entre le Musée et le tramway… bien !… nous approchons… une pancarte… quelque chose comme « personnes déplacées »… plus près nous voyons, entendons, tous les baragouins possibles… enfants, grands-parents, jeunes filles… ça serait la cohue mais tout de même un certain ordre, par pancartes… comme les briques… les « Balkans » ci… les « Russie » là !… l'« Italie » plus loin… nous les Franzosen tout au bout… on va… on frappe à une porte… y a une petite queue… herein !… nous y sommes !… c'est que d'attraper l'attention de l'homme à la machine à écrire… nous sommes à peu près une vingtaine au-dessus de sa tête… à répondre aux questions des autres… pas égoïstes, réponses à tout… aux cas de toute la queue… ceux de Noirmoutier… Gargan… Marly… Villetaneuse… ils ne savent pas parler allemand !… si on répond pas pour eux !… on lui laisse pas le temps de questionner, l'homme à la machine à écrire… à lui qu'on pose des questions… et qu'on répond tous à la fois… les uns pour les autres… ce qu'on veut, qu'il signe, et son tampon ! il bafouille un peu ce qu'il voudrait… des papiers ! nos papiers !… là ! là ! qu'on en est pleins de papiers ! à revendre ! plein nos gibecières et pantalons !… qu'est-ce qu'il veut foutre avec, ce nave ? moi-même, je regarde, ce que je trimballe comme « pièces », certificats, livrets !… passé certain âge, c'est horrible ! à bien vous écœurer de la vie… ce que vous avez récolté comme extraits, polycopies, baptême, contributions… en triple, double !… un autre gratte-papier surgit… lui, pour nos photos… on a !… surtout La Vigue !… les meilleures de son dernier film… le bureaucrate nous dévisage… il compare nos tronches… pas content du tout ! non !… ça, vous ?… jamais !… ni moi, ni Lili, ni La Vigue !… pas ressemblants !… on sait un petit peu que c'est bien nous ! quand même ! pas d'autres !

« Ach !… nein !… nein ! »

Le culot de ce rond-de-cuir !… pas changés tellement !… lui, miraud ! si vite ! il se fout de nous ! pour qui qu'il nous prend ?… je vois, je compare… sûr, on a l'air fatigué… on a bien maigri, mais c'est tout ! comment il nous voit ? parachutistes ?… saboteurs ?… ils parlent que ça dans leurs journaux !… en tout cas, une chose : il veut d'autres portraits !… d'autres photos ça veut dire en face… la baraque de l'autre côté de la Spree… « Photomaton »… on voit la guitoune, jaune et rouge…

« Il est curieux, dis ! »

Il est peut-être aussi, sans doute, en cheville avec cette baraque ?… c'est en tout cas sa manie de pas trouver personne ressemblant… la preuve : le couple là !… un monsieur très bien, à barbiche, et sa femme, en larmes… ils étaient venus à Berlin pour voir leur fils à l'hôpital… « la Charité »… blessé à l'Est… le maniaque à lorgnon les trouvait pas ressemblants non plus… ils venaient de Carcassonne… ils s'expliquaient… ils nous font juges…

« Nous avons peut-être un peu changé mais pas tellement, n'est-ce pas Madame ?… le chagrin, le voyage ?… »

Nous regardons et comparons… évidemment, un petit quelque chose, mais pas à ne pas les reconnaître !… Ce fonctionnaire à lorgnon est un maniaque ou un coquin… en tout cas un dangereux loustic… il décide, il nous met en pénitence dans le coin du hangar pour avoir le temps de copier nos pièces… à la main, d'abord… et puis après à la machine… le monsieur barbichu de Carcassonne, zut ! en a assez !… pour qui le prend-on ?… quelle plaisanterie ! oh, La Vigue approuve !… on se fout de nous !… bel et bien !… ce bureaucrate flic dépasse les bornes !

« Pensez Monsieur ! pas reconnaissable, moi !… moi !… ma photo sur tous les murs ! toute l'Europe a ma photo ! hélas ! hélas !… et l'Amérique ! cet ahuri ne me reconnaît pas ! il sort d'où, je demande, ce crétin ?… voilà leur police !… jolie clique d'emmerdeurs planqués !… il aurait mieux fait d'être dans le train, notre train !… moi j'étais dans le train, moi, Monsieur !… le dernier train de la gare de l'Est… regardez ma valise ! »

Il va à la banquette en face… il sort sa valise du dessous… la brandit haut !… l'ouvre… toute une boule de linge en échappe, en charpie… ses chemises… mouchoirs… culottes…

« Vous voyez un peu !… passé Épernay, plus qu'une cible !… le train-cible !… des deux remblais !… de part en part ! tap ! tap ! rrrrrt ! pas que mes valises !… combien de morts ?… on ne saura jamais ! j'avais trois sacoches en plus !… je les ai laissées ! le maquis est maître de la France !… j'ai vu…. je le sais !… tenez, à Paris ?… Paris même ! vous ne savez pas ?… j'ai vu, moi !… »

Là debout, il revoyait…

« Vous ne savez pas ! les souris grises, les téléphonistes !… les langues arrachées, ficelées deux par deux à la Seine !… du pont de la Concorde ! »

Le couple, le barbichu et sa pleureuse, avaient l'air comme de douter… ah, par exemple !

« Vous ne me croyez pas, vous Monsieur ?… passez vous-même en ce moment sur n'importe quel pont de Paris vous me donnerez des nouvelles !… »

Ces sceptiques l'horripilaient ! leurs valises étaient transpercées ?… belle preuve ! trois… quatre balles !

« Viens Ferdine ! je ne peux plus tenir ! »

Il sort, il m'emmène… tout de suite à la pancarte, l'autre porte, Abort… W.-C… nous entrons…

« Ces gens-là sont des poulets ! t'as pas vu ? ces soi-disant de Carcassonne !… salut ! jacter qu'ils veulent !…

— Tu crois ?

— Positif !… que c'est plein de microphones partout, plein la baraque !… »

Je veux bien… je réfléchis…

« Ferdine, si nous ne sortons pas d'ici, pas dans une heure !… tout de suite… tout de suite !… nous en sortirons jamais ! »

Je veux bien.

« Va chercher Lili !… nous dirons au mec du bureau que nous allons déjeuner en face, et qu'aussitôt nous revenons !… que nous lui laissons nos papiers ! tous nos papiers ! que nous revenons avec les photos !… il touche sa fleur, moi je te dis !