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— T'as raison ! »

Je fais signe à Lili… un saut au bureau !… enfin, un saut comme je peux !… le nôtre bureaucrate n'est plus là, il est à la soupe… zut ! c'est un autre ! cet autre m'écoute… il veut bien « qu'on va revenir, etc. » mais il me met en garde que nous n'aurons rien à manger si nous ne présentons pas de passeports !

« Je peux vous donner un “petit permis”… tout ce que je peux !… l'hausgericht !… repas frugal… »

Oui ! oui ! on veut bien !… le principal qu'il nous laisse sortir, nous garde pas dans la cambuse ! ce couple de Perpignan est peut-être bien honnête ? pas bourrique du tout !… ce qu'ils ont affreux, c'est qu'ils ont pas reconnu La Vigue… ni du théâtre, ni du film !… les gens que ça peut être ?… pas à croire !… bien capables de tout !…

« Allez Ferdine ! magne ! attends pas que l'autre flic rallège ! »

Il nous presse…

« D'abord dis, la clape !… non tiens, tout de suite “Photomaton” ! je t'ai pas tout raconté, Ferdine !… notre train de plaisir ! le dernier dur de la gare de l'Est !… quatre fois mitraillé, mon fils !… Épernay… Mézières… et puis en Belgique !… les deux remblais pleins de maquisards ! vois un petit peu ! »

Il recommence tout !

« Regarde ma valoche ! »

Il la rouvre… elle se répand… toutes ses liquettes plein le trottoir !… que les gens de la queue se rendent compte de ce qu'a été le dernier train !… et que les deux-là de Carcassonne qui pleurent ont rien vu !

« Voilà ce que c'est maintenant la France ! »

Oh ça y est ! quelqu'un l'a reconnu !… un !… dix !…

« Le Vigan !… Le Vigan !… c'est lui ! »

Il remercie… une fois… deux fois… il s'incline… et il remballe son saint-frusquin… toutes ses loques… vite !…

« Maintenant fils, en route ! »

En route, c'est pas loin… l'autre côté de l'avenue, le « Thüringer Hof »… on a finalement décidé qu'on irait qu'après aux photos… Lili porte Bébert dans son sac…

« Tu peux plus marcher sans cannes ? »

Il me demande.

« Si ! je pourrais, mais je suis mieux avec !

— Tu te vieillis ! »

Sa terreur lui, vioquir ! vioquir !…

« Mais dis donc fils, t'as dix ans de moins ! tu verras un peu dans dix piges !… »

Normal que je titube, lui droit comme un I…

Le « Thüringer Hof » nous voici !… le palace… oh, bien écorné… entre deux immeubles absolument en décombres… en creux, je dirais… le « Thüringer » se tient encore, juste un balcon qui lui pend… on entre… la « Réception »… au milieu d'un grand hall, tout or… je sors notre petit permis : « un repas »…

« Stimmt… ça va !… vous voulez manger ?

— Oui !… oui !… oui !… »

Le Vigan répond…

« Vous voulez une chambre ?

— Deux chambres !… une pour moi, ma femme !… et une pour notre ami, là !… »

Ce portier est de la grande époque, la redingote plus que vaste, à passementeries très vermicelle, casquette de super-amiral… mais il aperçoit Bébert !… sa tête !… Bébert aussi le regarde fixe…

« Vous avez un chat ? »

Foutre, il le voit !… clac !… il referme son registre !… il veut plus de nous !

« Aucun animal n'est admis !

— Alors ?

— Alors ? »

On peut lui répondre tac au tac : larbin, boche, schleu, etc… qu'il aille se faire !… ça nous avancerait pas beaucoup…

« Montre ta valise, con ! »

Je fais à La Vigue… il m'obéit, il montre les trous… son fatras de loques… je lui montre mes cannes… que je tiens pas debout…

« Blessés ! blessés ! verwundet ! ma femme aussi !…

— Alors adressez-vous là !… là ils prennent avec les animaux… »

Il nous écrit le nom sur une carte… « Zenith Hotel »… Schinkelstrasse…

Je veux pas que La Vigue déconne encore, je prends le commandement…

« Merci beaucoup Monsieur le portier, nous y allons tout de suite de votre part… peut-être aurez-vous l'obligeance de prévenir le “Zenith Hotel”… téléphoner ? »

Bien content qu'on le débarrasse !

« Ja !… ja !… ja !… »

Je lui plie un billet de cent marks en quatre… en huit… je lui file dans le creux… et lui serre très fort les deux mains… tout de suite il a le « Zenith » au bout… j'entends le bon dialogue… « ça va !… stimmt ! allez-y ! » qu'ils peuvent nous prendre ! que nous sommes sérieux au pourboire…

Je prépare un autre billet de cent marks, que j'aie tout ce qu'il faut en arrivant… pas tout d'être maudit de l'univers !…

« Maintenant La Vigue, en avant ! »

Fini l'amusette !… si on se fait encore virer du « Zenith Hotel », c'est plus qu'aller où ?… je leur répète, Lili et notre ami illustre artiste… qu'ils me demandent avant de parler !… qu'ils gaffent pas !…

Il s'agit d'abord de trouver cette Schinkelstrasse !… l'amiral-portier veut bien sortir… il nous montre… la quatrième ?… troisième ?… à gauche ?… on peut pas se tromper !… soit !… mais je connais le décor des façades, vous croyez qu'une rue existe, elle existe plus… tout son intérieur, poutres, briques, escaliers, lui pend par les fenêtres… ou se trouve en tas devant les portes… si vous voyez de loin, une certaine hauteur de briques, c'est tout le souvenir de l'immeuble… vous acquérez l'habitude… le trottoir est plus qu'un petit boyau juste à passer pour une personne… entre le haut mur des ordures et les soi-disant maisons… là du « Thüringer » à cette rue Schinkel, au bout de deux minutes c'était plus que des bouts de devantures qui voguaient, s'effilochaient… et des persiennes… vous auriez ri ! à chaque bourrasque, il vente beaucoup dans une ville qui n'a plus d'immeubles… ça doit être terrible à Hiroshima ! ptaf !… il vous arrivait une fenêtre !… vous pouviez très bien être tué… avec cannes… sans cannes… ah, je vois cette Schinkelstrasse… le 15… le tas de décombres dépasse pas le premier balcon… « Hotel Zenith »… il reste plus qu'un bout de la plaque : nith… pas d'erreur !… la sonnette sonne plus ! tant pis !… en avant !… personne nous accueille ! ce qui reste du « Zenith Hotel », j'ai qu'à regarder… et d'abord trouver quelqu'un… je vois au fond d'une sorte de courette… là aussi des monceaux d'ordures, de briques et de tout… mais pas en ordre, en piles… non !… le genre la vieille zone… et des excréments en plus… bon !… c'est un style !… et presque noir, là tout le fond… noir et moisi… un côté c'est un rez-de-chaussée… pas de fenêtre ni de porte… des tentures en place… je me demande : cette cagna est-elle habitée ?… j'appelle : oh ! oh !… quelqu'un sort de cette moisissure… un moujik !… je dis : un vrai !… barbe, bottes, chemise bouffante… et le large sourire… enfin, un aimable !… il me parle en allemand… pas bien, mais assez… je lui réponds aussi « petit boche »… on se comprend… c'est lui le gérant du « Zenith », il m'explique, il vient de Sibérie… prisonnier ? déporté ?… Vlasoff ?… je demande pas… mais enthousiaste !… il m'entreprend !… deux mots… les louanges de sa Sibérie !… qu'est-ce qu'on attend ? comme la Sibérie est riche ! giboyeuse ! fleurie ! verdoyante ! accueillante ! j'ai pas idée !… de ces vallons ! quels pâturages !… de ces buissons !… quels gardénias ! je peux pas me douter !… il me fait une de ces propagandes, massive, que nous pourrions partir tout de suite !… vivre en Sibérie !… mais j'objecte ! entendu ! sûrement ! mais Berlin veut pas nous lâcher… est-il agent de l'Intourist ? je lui demanderai… ce doit être sa femme qui nous regarde, elle a soulevé un peu de tenture… une vraie baba, yeux bridés, mouchoir de tête… elle est pas causante… je veux aider… La Vigue y va… cent marks bien pliés… elle voit qu'on a des bonnes manières, elle fait signe à son moujik que nous sommes acceptables… qu'il peut y aller…