— Cher confrère, elle ne pense qu'à Paris !
— Ce n'est pas nouveau… déjà sa hantise, gamine… et parler français… Isis von Leiden aussi, mais moins… »
Tout ce qu'il nous dit me fait penser qu'il a bien plus de quarante ans… à première vue il fait jeune…
« Vous savez la ville Königsberg ?… bien l'endroit des obsessions !… Kant, tenez !… demain, vous !… demain moi, si nous y allons !… nous n'irons pas !… ni à Cythère ! »
Nous rions tous !… nous n'irons pas ! mais où irons-nous ?
« Cette Marie-Thérèse tenez ! celle qui reste, je l'ai connue toute petite… l'héritière !… pas encore à l'âge des bals… elle venait regarder… »
Kracht juste sort de l'isba… pas que lui, Isis tout en noir, un mouchoir noir noué sous le menton… et devant les yeux une voilette noire… la petite Cillie lui tient la main… Kracht les fait monter en voiture… Isis d'abord… le couple Kretzer est presque au milieu du chariot, juste sur l'essieu… la comtesse Tulff ne s'en fait pas comme on l'a mise sur son divan, en plein les raves, le foin, les luzernes, elle ronfle…
« Où est Léonard ? »
Harras demande… il l'avait pas vu… il était là… mais pas du tout comme à l'étable… trempé d'urine couvert de bouse !… non !… absolument propre, lavé… peigné même… je comprends qu'on ne l'ait pas vu tout de suite !… méconnaissable !… en pleine fonction de propriétaire…
« Tout est en ordre, monsieur l'Oberarzt ! tout ce qu'il faut !… les vaches ferrées… et du fourrage pour au moins cinq jours… »
Il sait ce qu'il dit…
« Bien ! bien Léonard… »
Que j'en prenne de la graine…
« Vous voyez n'est-ce pas collègue tout va !… ils iront !… ne pas les laisser s'agiter libres !… jamais !… tout de suite, responsables !… un commandement ! précis ! tampon !… et hop ! une promotion ! »
Indiscutable ! je vois !…
« A la Chancellerie ils comprennent… un peu ! pas tous idiots, mais bien trop lents !… la vie continue !… alors ?… la greffe immédiate… ou l'infection !… la pourriture !… voyez ici, Isis von Leiden est une criminelle, absolument ! évidemment !… mais son mari, l'infirme, cul-de-jatte, ne pensait aussi qu'à la tuer !… alors ?… alors ?… le grand Nikolas aussi !… le tout qu'ils s'en aillent ensemble !… vous n'êtes pas d'avis ?
— Oh si !… oh parfaitement !
— Les psychoses s'enveniment dans un lieu, s'évaporent ailleurs, en route… tel est parti assassin s'arrête au pont, pêche à la ligne… pense désormais très calmement !… autrement !… n'est-ce pas Harras ? cent affaires semblables ! en France… en Pologne… en Allemagne… mais là si près ! cent kilomètres !… je vous ai dit : impossible ! »
L'illustre confrère ne regrette pas…
« Je n'aurais pas eu le plaisir de vous rencontrer !… et Madame ! le grand honneur ! le principal que tout s'en aille ! mouvement ! Moorsburg ! ils ne seront pas mal à Stettin… et plus loin encore !… ils sont attendus… »
Moi je veux bien… attendus ?… attendus ?… La Kretzer et ses deux tuniques bien serrées contre elle… elle a pas fini de les montrer d'ici Königsberg !
Le moment du départ sans doute ?…
Les deux S.A. se placent chacun d'un côté… à l'arrière… ils iront à pied… Nicolas tout en avant, il conduit le premier couple de vaches… un signe de Kracht et ça démarre… très lentement… nous saluons… nous faisons des « au revoir »… personne ne répond… ni Isis, ni les Kretzer, ni Nicolas… ils ne nous regardent même pas… enfin le chariot a démarré… il n'a pas de ressorts… Harras note « le tank non plus ! »… il me renseigne…
« Je laisserai ma voiture ici, la “blindée”… pour vous et Kracht !… et quatre S.A… pour l'ordre ! la gendarmerie ! vous n'avez plus de garde champêtre !… oooah ! ni de pasteur !… la morale, alors ?… et l'ordre, confrère ? rien du tout ? non ?… ça ne bougera plus !
— Parfaitement !
— Mille regrets, Madame… vraiment du chagrin… mais je dois repartir n'est-ce pas ?… tout de suite !
— A pied ?
— Non !… non !… en tank !… avec le confrère général ! et toutes ces motos !… devant !… derrière !…
— Les routes sont minées ?
— Oh, bien sûr !… bien sûr ! par les Allemands ! par les Russes !… par les prisonniers !… on ne sait plus par qui ! oooah !
— Alors ?
— Ave Cesar. ! broum ! ces dames en chariot courent moins de risques ! après Stettin là, peut-être ?… après Stettin, elles auront !… nous ? tout de suite ?… tank ! ferraille !… oooah ! broum ! »
Je vois que ça l'amuse…
Le général est plus sérieux, il va… il parle aux S.A. du chariot… il sort une carte… il leur pointe, un village… un nom… leur route… il leur indique… là ! là !… bien !… vers l'Est ça ne bombarde pas trop… mais vers le Sud ? juste vers où vont partir nos deux éminents camarades… quelle pyrotechnie !… ciel ! nuages !… terre !… et les routes aussi sans doute ? ils vont être servis !… les mouettes sont bien habituées… elles planent, voltent… frôlent les attelages… la neige tombe, mais pas bien épaisse… nous ne sommes pas en pays de neige… la neige c'est après Rostock…
Maintenant c'est l'adieu officiel !… on y va tous !… et en levant le bras !… Léonard, Joseph… les demoiselles de la Dienstelle… heil ! heil !… le général, Harras, Kracht… et nous trois La Vigue et Lili… heil ! heil ! Nicolas nous répond… heil !… pas les autres… ah si !… Cillie !… heil ! heil ! elle lève ses petits bras vers nous… heil ! heil ! elle est contente, elle s'amuse bien.. en voyage !… voyage !…
Ils ne prennent pas la route, la chaussée… non.. une autre… je dirais plutôt une piste, bien boueuse.. entre les cultures… Göring a dû leur indiquer.. ils s'éloignent… ils ont pas besoin d'aller vite… une éclaircie !… et même du soleil !… pas à croire mais oui ! la petite Cillie était pas gaie, je l'ai jamais vue gaie à la ferme, là y a de la joie !… voyage ! elle nous fait encore des heil ! toute seule ! personne nous a répondu qu'elle… la Tulff-Tcheppe en écrase bien, elle se réveillera après Stettin !… divan, Madame ! oh, mais Göring a une idée !… subite !…
« Kracht ! Kracht ! tapioca !
— Wo ? wo ? où ?
— Au tank ! »
Voilà ce qu'il fallait !… halt !… halt ! que le chariot s'arrête ! nous hurlons aussi !… qu'ils attendent !… Kracht court… et trois bibel… les voilà ! voilà ! ils ont trouvé !… ils reviennent avec !
« Au chariot, vite !… für die kleine ! pour la petite ! »
Un bibel enlève ses sabots et se jette nu-pieds dans la gadoue… il patauge… il a du mal… c'est un dévoué, c'est un athlète… il va les rejoindre, ils sont déjà loin… il y est !… il passe les paquets à Isis pas un merci !… et tout repart… vaches, le chariot, Nicolas, les S.A. d'escorte… Harras remarque…
« Vous voyez mon cher Destouches, la retraite de Russie à l'envers… retour ! retour ! oooah ! »
Göring l'interrompt…
« Oh, pardon ! pardon Harras ! pardonnez-moi ! ils n'ont jamais pris par cette route ! jamais !
— Ah je croyais !
— Mais non ! mais non ! cher Harras ! ne croyez pas !… très peu sont revenus par Stettin !… une poignée !
— Pourtant !…
— Oh non Harras ! je vous arrête !… je sais !… »
Le médecin général était sûr…