La « Jeunesse d'Hitler » était fameuse pour sa chasse aux parachutistes… toute la Germanie d'ailleurs était hantée au moment « fallschirmjäger », saboteurs parachutistes !… tous les journaux, des pages entières, décoration des héros mômes par Hitler lui-même ! croix de fer en diamants !… gamins, gamines, embrassés par le Chancelier… nous tombions pile, nous, nos « canadiennes » ! demain vous verrez Astrabuth embrasser les mômes qui nous auront coupé la tête, vous connaissez pas Astrabuth, les mômes non plus, mais pour ça vous pouvez être sûr, ils sont déjà nés dans l'Empire, ils se trifouillent déjà les braguettes… nous la chasse aux parachutistes était en plein boum… les mômes avaient pas que des croix de fer, ils avaient aussi la prime : 100000 marks, et le diplôme de « Siegfried de choc »… nous là, nous la foutions mal, je nous voyais drôlement encadrés… les gens qui étaient déjà sortis redescendaient de la rue pour nous voir… notre capture par les « Hitlerjugend » !… pas à rire ! la foule faisait chorus… et pas que des boches, des étrangers ! toutes les langues ! oh, mais voici des chaleureux : « da ! da ! » qui nous aiment !… da ! da ! qui nous étreignent et nous embrassent !… qu'ils sont heureux !… parachutt ! d'autres croyants !… qu'on tombe pour eux exprès du ciel !… c'est une, deux familles… ils portent l'étoile « OST »… da ! da ! ils sont comme Ivan, ramenés de l'Est par l'armée allemande pour l'agriculture, le désamorçage des routes, l'ordre un peu des rues, des briques !… ils voyaient leur délivrance ! que nous portions des « canadiennes » !… ils ne voyaient que ça ! nous pouvions être qu'Américains et saboteurs !… pourtant bien de Paris nos paletots, de chez la couturière à Lili, Mlle Brancion, rue Monge… je leur hurle : von Paris ! von Paris ! va foutre ! ils veulent qu'on soit canadiens !… tout le quai ! toute la cohue de deux quais… trois métros ! rien à faire ! qu'ils les regardent nos canadiennes !… l'étiquette au col !… pas de New York !… rue Monge !… « on vient incendier les moissons ! faire sauter les voies !… » allez redire !… c'est ça et c'est tout !… pour les uns : hurra !… pour les autres : à mort !… je vois surtout, la manière qu'ils se surexcitent, mômes et adultes, qu'ils vont nous déchirer vifs… pas question de filer, faufiler… il en arrive toujours d'autres, hordes sur hordes !… si encore c'était la police on pourrait peut-être s'expliquer ?… mais pas un schuppo ! la jeune fille à casquette framboise est peut-être partie chercher du secours ? en tout cas ça va vraiment mal… plus tassés que dans les wagons… les uns du bonheur qu'on soit « parachutt »… les autres qu'on est à leur merci « monstres, dérailleurs, incendiaires »… déjà j'ai une manche de partie !… La Vigue aussi !… ils vont nous bouffer par les manches ?… je nous vois à poil sous très peu… dans l'ébullition de la plate-forme… Providence !… un petit homme passe, reconnaît Le Vigan…
« Mais c'est vous ! bien vous, Le Vigan ? »
Le Français à petite deffe, dans la trentaine, et à mégot…
« Tu viens ici pour travailler ?
— Oui ! oui ! oui !… T.O. !
— Moi aussi, obligatoire ! qu'est-ce qu'ils ont comme crime !… mais c'est pas pour long, les paffes !… t'es d'un réseau ?
— Pas encore !… mais on va s'y mettre !
— Tous les trois ?
— Oui, tous les trois !… »
La Vigue a la présence d'esprit… l'homme à la deffe nous dit tout… entre les gueulements…
« Je m'appelle Picpus, dis ! tutoye-moi !… qu'est-ce qu'on leur met ! déjà sept usines que je gratte ! une robinetterie, la dernière !… Picpus, de Boulogne, tu te rappelleras ?… ils me virent, je me fais rembaucher !… je vais à Magdebourg, une fabrique de tuiles, dis, ils ont besoin ! là, on sera quatre du même gang ! qu'est-ce qu'on va leur mettre ! demande à y aller !… lui aussi !… ta femme aussi !… je vais t'écrire le nom de la firma… ils embauchent, ils ont plus personne !… moi dis, ils me cherchent, leurs poulets ! je leur chie aux poignes !… j'étais Lacosse à Hanovre ! ça a un peu pris, je te dis !… j'étais dessous !… j'étais Anatole à Erfurt ! maintenant : Picpus !… tu te rappelleras ? »
Les gens beuglent plus, ils nous écoutent… ça le gêne pas…
« Dis comme faux fafs ?… ce que tu voudras !… mate un peu ! avec bacchantes !… sans bacchantes !… »
C'est vrai, qu'il en a !… collection ! plein ses poches !… enfin, une poche… photos…
« Je suis pas beau ? »
Il voit qu'il m'esbroufe… et que tout le quai nous regarde…
« Les chleus je les emmerde ! si tu t'imposes pas, t'es foutu !
— Oui !… oui !… bien sûr ! »
On est d'accord !
« Norvins !… Étienne ! nous ! »
La Vigue annonce ! fort ! que ça résonne ! toute la voûte ! pour les deux quais ! nos deux noms de guerre !… que ça se sache bien !… tac au tac !… là, ils nous regardent !… ils nous arrachent plus nos bouts de manche, ils écoutent La Vigue qui gueule plus fort que Picpus ! l'autorité !
« Bien sûr que je vais changer de blase ! je suis Norvins Étienne !.
— Gi !… j'ai compris !… t'auras ta carte !… on est un peu organisé ! t'as des photos ? »
Si on en a… les « méconnaissables ! » douze chacun !
On lui en donne trois…
« Et vos blases alors, vous autres deux !… c'est mieux différent !
— Labarraque Jean !… et Émilie ! »
J'y avais pensé… tac au tac…
« Parfait !… O.K. !… Magdebourg ! mieux pas écrire, vous vous souvenez ?… Firma Yasma ! tuiles ! vous trouverez !
— Je comprends qu'on trouvera ! »
Mais voilà des mômes qui rappliquent.. une autre meute d'Hitlerjugend ! cette horde très méchante… excitée ! ils sont au moins une centaine…
« Vous êtes cons de vous occuper d'eux ! baffes dans la gueule ! »
D'autor Picpus rentre dans le tas… pflag, il y va ! hardi ! et encore ! beng ! dans la danse ! qu'ils brament Hitlerjugend !… comme il dompte tout ça Picpus !… tout le quai !… comme il y va !… et à la beigne !… coups de pied aux miches !… « petits enculés » qu'il les traite… harangue, en plus !… il les défie !
« Vous avez pas vu que c'est La Vigue ?… l'artiste résistant ? vous le connaissez pas ? fiotes foireux ! »
Qu'ils sachent un peu qui ils s'en prennent ! morves-au-nez ! on peut dire qu'il risque que ça tourne mal… que les deux plates-formes en aient assez d'être injuriées… va foutre ! encore plus fort qu'il gueule !
« Le Vigan, regardez-le bien ! l'héros et artiste !… lui aussi !… elle aussi !… »
Nous deux !… moi, Lili !… y a plus qu'à saluer les deux quais.
« Écoutez bien !… écoutez bien, tous !… ils viennent dérailler les trains ?… cons finis !… ils viennent pour votre libération !… brutes aveugles !
— Bravo ! bravo ! »
Ça répond bien… les deux quais..
Picpus a retourné l'opinion… de cette foule des deux quais qu'était prête à nous foutre en miettes… maintenant là, de Picpus, ils nous voyaient trois héros de l'air !… on lui devait la chandelle Picpus !… il avait dompté le soulèvement !… tout de même un petit hic, les mômes Hitlerjugend pourtant bien secoués patafiolés, cocards, beurre noir, en voulaient encore… surtout les filles, bornées petites vacheries !… on les avait après quand même !… fallschirm ! fallschirm ! il en dégoulinait de la rue… d'autres ! des escaliers !… ils n'étaient plus cent… bien deux cents !… avec les autres voûtes ils seraient mille ! Picpus avait dompté ceux-ci !… mais ceux-là ! il pouvait pas !… ils nous laisseraient jamais sortir !… ils nous voulaient absolument ! oh mais attention ! l'adresse !… l'adresse d'Harras ? Picpus à force de taper dans le tas en pouvait plus !… il en arrivait toujours d'autres… les bras lui pendaient !… je voyais le moment qu'ils allaient le balancer sous le dur !… notre Picpus !… seul contre mille !… mais notre « adresse » ?… je ne l'avais pas dans la poche, mais je l'avais fait coudre dans le fond de ma culotte… je l'avais montrée à personne, je m'étais dit : pour le cas extrême… maintenant, un petit peu le cas extrême !… vous dire ma nature, me ressaisir à un poil de rien… là je me déculotte, brutalement… ils me regardent tous ce que je fais ?… j'arrache le fond… le bout de papier y est ! et l'adresse !… je déplie, je leur montre… Reichsgesundheitskammer ! Prof essor Harras, Grünwald, Flieger Allee 16… les mômes me lâchent pas… ils restent agrippés… mais un sait lire… il lit haut…