« Wollen sie uns nicht führen ? » je demande « ne voulez-vous pas nous conduire ? » si !… si !… ja !… ja !… ils veulent bien !… ça doit leur paraître amusant… ja ! ja ! ja ! ils savent par où c'est, eux, les mômes !… le couloir, le guichet, quel quai… y a qu'à les suivre ! Picpus nous dit qu'on a raison… lui il peut plus remuer son bras… il peut plus parler non plus, il a trop crié, il chuchote…
« Alors c'est pour l'étendre, le mec ?… comment vous l'appelez ?
— Harras !…
— Connais pas !… mais c'est un S.S. ?
— Oh, terrible ! médecin des S.S. !
— Vous avez un feu ?
— Ils nous l'ont piqué à la douane…
— Tiens, une grenade !… une anglaise ! »
Du fond lui de sa poche… il me la passe… il me la glisse dans ma canadienne… pas le temps de voir, ni dire, je l'ai… je la sens, elle est lourde…
« Tu sais comment t'en servir ?
— Non !…
— C'est simple… tu tires la goupille et t'envoies !… t'as cinq secondes !… tu te sauves… c'est des extras !… ton mec éclate ! la tôle ! tout ! au moment que tu lances… trois ! quatre ! cinq !… calte ! t'as pas plus ! couche-toi ! t'es debout, c'est ta gueule ! t'as compris ?…
— Oh, oui ! »
Si je comprends !… il reste pas, il vient avec nous et les mômes… mais cette fois-ci, pardon, la vraie voûte ! on repasse par les stations, les mêmes… et puis on change, une fois… deux fois, comprimés, pressurés, mais pas tant… ah, voici Grünwald ! tout le monde dehors !… Picpus, nous, les mômes… on monte au jour… c'est bien ça… Fliegerallee un écriteau… beaucoup de pavillons, des deux côtés, dans les arbres… mais ça a pris !… tous ces pavillons ont des fenêtres qui pendent, des demi-fenêtres, des gouttières… des toits retournés… nous c'est le 16, notre adresse… le trottoir à droite… nous faisons plutôt foule avec nos jeunesses d'Hitler…
« Tu l'as pas perdue ? »
Picpus a pas très confiance ! il me voit la laissant dans le métro !…
« Mais tâte ! excité ! »
Il tâte, il la sent…
« T'as bien compris ? la goupille ?… t'envoies ! tu te couches ! en même temps ! »
Moi je pense qu'une chose, qu'elle nous éclate avant qu'on y soit !… nos blases !… 27 ? ça doit être en face ?… la porte aux deux factionnaires… l'autre trottoir… l'écriteau rouge : « Reichsgesundt »… oui !
« Dis Picpus, taille !… tu vois la pancarte !… »
Il voit… les mômes eux aussi voient… et la croix gammée jaune et or, un autre panonceau, on y est bien !…
« Sehen sie ?… voyez-vous ? »
Je leur fais… ils voient surtout les factionnaires qui nous font signe de foutre le camp… oh, mais minute !… mon papier, moi !… je l'agite !… ils me laissent approcher, mais seul !…
« Professeur Harras ? »
Je veux le voir !… un officier sort d'un taillis… je me présente…
« Ich bin ein Artz von Paris ! je suis un médecin de Paris !…
— Gut !… gut !… wer sind die da ? »
Il veut dire les mômes qui nous suivent… et Lili, La Vigue…
« Ma femme Lili… et mon ami Le Vigan !… »
Je ne veux pas qu'il nous sépare…
« Gut ! gut ! »
Les mômes ? il demande…
Des curieux !
Alors ça suffit ! weg ! weg !… il leur fait !… ils se sauvent tous… le Picpus avec !… plus personne !… magique son weg ! weg !… maintenant plus que nous trois… qu'est-ce qu'il va nous dire ?…
« Je vous prie ! je suis au courant ! vous étiez au Zenith Hotel ! »
Je vois qu'il parle français quand il veut, et en somme, qu'il nous attendait… les pays à dictature, même en ruine, avant que vous alliez quelque part, on sait qui vous êtes… donc pas à parler… tant mieux !… nous suivons… c'est d'abord un très grand jardin, même plutôt un parc… plein de décombres, ici, là… d'autres villas, sans doute ?… ce qu'il en reste ! et des morceaux de stèles et statues… et couvertes de ronces et de barbelés… ah, une très haute serre, mais plus une vitre… on passe dedans… l'officier avance tout doucement… peut-être est-ce miné ?… je lui demanderais bien… mais qu'est-ce qu'il est lui comme grade S.S. ?… Sturmführer quelque chose ? il est pas bavard… je voudrais balancer un objet… mais où ? que ça n'éclate pas !… je pourrais en parler à l'S.S. ?… il doit savoir que je l'ai en poche… de décombres en tas de briques nous voici devant un tunnel… ils doivent demeurer au fond… je vois cet S.S. comme il est propre, astiqué, impeccable… ça doit être une grotte confortable… j'en ai vu beaucoup en Allemagne, très habitables… je dis rien, mais je suis sûr, on verra… il me fait : vorsicht ! attention ! minen ! ils ont mis des mines dans le cas d'une attaque… ils doivent pouvoir faire sauter tout, le tunnel et le reste !… heureusement, que ce Sturmführer avait pas regardé dans nos poches !… moi du coup je veux qu'il voie Bébert ! mais il fallait qu'il émerge, qu'il montre sa tête… il a bien voulu… je réfléchis, j'ai pas que la grenade… bien d'autres trucs !… un petit Mauser, un rasoir, deux savons à barbe, trois boîtes d'allumettes, une tranche de lard… et sûr d'autres choses !… c'est extraordinaire ce qu'on emporte quand on est foutu hors chez soi… c'est extraordinaire aussi tout ce qu'on a besoin pour vivre, même très très chichement… Mattey, Ministre de l'Agriculture, nous faisait la leçon, plus tard, à Sigmaringen… je lui parlais de passer en Suisse… « faites bien attention Docteur, vous échappez pas par les bois sans avoir sur vous l'essentiel !… un couteau et des allumettes ! de quoi vous couper des petits bois et vous allumer un petit feu ! manger peut toujours attendre !… mais la première nuit froide sans feu vous attrapez sûrement la mort… » Mattey avait rudement raison !… le feu est le boute-en-train de la vie, même un feu de rien, trois brindilles… comme pour les courses à vélo, pas de roue devant vous, sous votre nez, pas de Tour de France !… je veux, le couteau !… les allumettes, mais la grenade et sa goupille sont de trop !… je voyais bel et bien ma poche, grenade et goupille nous envoyer plus haut que les arbres ! Il se doutait, l'S.S. ?… lui qui faisait si attention à ce qu'on s'écarte pas du petit chemin… sûr, il avait peur des mines… mais ma poche moi, un petit peu ?… ce parc était immense, rocailles, futaies… presque tous les arbres ébranchés… je cherchais voir, droite, gauche, un endroit d'eau… je pourrais envoyer mon afur !… j'avais vu plusieurs petites mares, bien bourbeuses, herbues, vaseuses… mais bien trop loin de ce sentier ! pas envie de déchiqueter personne !… si elle éclatait au nez de cet S.S. ?… ça serait moi !… qu'il nous mène enfin à Harras, ce qu'on lui demandait !… Harras même super-nazi était un homme à tout comprendre, bien philosophe et arrangeant, pas le borné qui s'étonne de tout, la brute de Parti… le gorille à brassard… il comprendrait notre état… j'espérais… sinon notre compte était bon… les flics au cul, et en voiture !… on s'était fait assez remarquer ! le Pretorius et d'un !… sur la pointe des pieds, et heil ! et l'Ivan voleur… on avait fait tout le nécessaire !… et les photos ! et le Picpus !… je veux qu'un moment donné, après deux trois relances d'hallali, tout tourne flic… Harras était notre suprême chance… encore un autre petit sentier !… ce parc n'en finissait pas !… où il nous emmenait ?… ah, je vois un cratère !… et de l'eau au fond… vraiment bien de l'eau, on s'y baigne… et plein d'hommes nus…