« Une piscine pour les Finlandais !… »
Ce sont des Finlandais tout ça ?… une grosse isba à côté, leur bain de vapeur… ils entrent là-dedans, ils s'échaudent, ils ressortent et vite, et piquent une tête… ils arrêtent pas… un autre !… un autre !… pendant que l'S.S. nous explique combien ces bains sont toniques, qu'il en prend lui-même, etc. etc. j'extirpe ma foutue grenade du fond de ma vague et je la pose sur le rebord du trou, qu'elle glisse à pic… je la pousse… tout doucement… vlof ! elle plonge ! si elle éclate ça sera dans l'eau !… j'espère qu'elle est fausse et postiche !… arrive ce qu'il arrivera !… de quoi on m'a pas dénoncé ? même à présent, en 60 ?… dans tous les clubs, terrasses, partis, latrines !… futilités !… prenez exemple : la Convention ! pourtant saignante, têtes à un fil, tonnerres de menaces, représente maintenant rien du tout… moins qu'un déjeuner sur le pouce !… nous là dans le parc, nous existions encore un peu… enfin on croyait… Reichsgesundheitskammer Grünwald… personne je crois avait pu me voir me débarrasser de la babiole… peut-être que juste une « simili » ?… l'essentiel, je l'avais plus !… mais l'S.S. ?… je le cherche, plus là !… je regarde encore… plus fort que de jouer au bouchon ! disparu !… oh, mais un gros homme vient vers nous… très très gros bonhomme en peignoir… je le reconnaissais pas !… c'est lui !… si, c'est lui ! il sort de l'isba !…
« Ah, ce cher Céline !… »
Très chaleureux…
« Mes hommages, Madame, je vous prie ! »
Je l'avais pas reconnu !… Harras lui-même !… à mon tour, je présente…
« M. Le Vigan, le célèbre acteur ! »
Le Vigan s'incline… que nous voilà heureux de nous retrouver !… oh, maintenant, compromis à fond, ennazifiés jusqu'à la glotte… et alors ?… au moins lui est pas un douteux ! Président de Reichsgesund… il doit faire au moins colonel !… je l'ai vu en uniforme, seulement colonel !… il est pas trop chauve pour un « profe ssor » de son âge… c'est le sympathique dynamique, et de subtil bon sens, un genre d'esprit que nous n'avons guère : la profondeur drôle… la sagesse bien irréfutable avec des échappées de clown… là, qu'est-ce qu'il commandait Harras ?… une cave sous les ronces ? un tunnel ?… je crois führer de tous les praticiens du Reich, Gross Reich, et protectorats… tout !… miraculistes, homéopathes et même les felchers, agents de la Santé, détecteurs des épidémies… vous dire le pouvoir qu'il avait, le souriant opulent Harras ! sûr, il pouvait faire quelque chose… nous trouver un petit emploi, loin, je pensais aux « felchers »… détecteurs de rats crevés, au fond des vallées moraves… je nous voyais très bien « felchers »… ou chercheurs de « poux suspects » en Hertzégovine… bien des blots pour nous ! ça durerait ce que ça durerait !… je me gênais pas avec Harras… juste d'un trou, du tunnel je crois, il nous arrive un bruit de fanfare…
« Mon cher Harras, encore vingt-cinq villes reprises ! Rostov enfin à quelqu'un !… plus Sébastopol !
— Et vous-même mon cher Céline ?
— Nous n'existons plus mon cher professeur !… votre police ne nous trouve pas nous-mêmes ! méconnaissables !… nos photos fausses !… vous vous nous reconnaissez vous ? n'est-ce pas ?
— Oh, des sottises !… j'arrangerai ça ! »
Je le félicite pour sa bonne mine… qu'il paraît, lui, en très belle forme !
« Vous manquez ! vous manquez Céline parce que vous voulez ! »
Et il rigole fort !…
« Vous êtes à Berlin… vous ne venez pas me voir ! »
Je vois pas ce qu'il y avait à rire, enfin, toujours, jovial comme je le voyais, nos épreuves étaient terminées ! pas qu'on se soit mal défendus, tout compte fait !… sauf son rire qu'était un peu de trop… nous bien difficile de rire depuis notre départ de Montmartre… la rigolade était cuite !… lui Harras, rigolo comme tout !… enfin au moins avec ce joyeux on aurait à briffer, dormir, et il s'occuperait de la Police… je pensais pas qu'à moi, Lili, La Vigue, Bébert…
« T'entends qu'on aura la dîne et qu'il s'occupera des photos !… »
Je secoue Le Vigan, il rêvasse, qu'il se rende compte !
« Oui pote ! t'as raison !
— Regarde son peignoir ! »
Je le lui fais tâter… en super-éponge ! sûrement de Londres ou d'Amérique ! d'où il l'a eu ?… il fait pas mystère…
« A Lisbonne !… tout ce que vous voulez ! j'en ai en bas, dans les casemates, tout ce que vous voulez ! »
Le cœur sur la main, Harras ! je comprends qu'on allait se servir ! c'était pas du luxe !… il était nazi, entendu ! mais quand je considère, après des années, combien y en a qui se sont servis, qui se sont mis à gauche des milliards avec les Juifs et les nazis, qui s'en portent foutre pas plus mal, je vois qu'on était que des sales puceaux… attendez Juanovici, quand il sera sorti de quarantaine, il vous en racontera des drôles !… déjà la Duchesse, pour avoir renversé un trône avec son derrière, vous touche près de trois cents millions pour raconter sa bonne histoire… alors pensez, M. Joseph, lui, le féal et preux !
Eh là ! eh là ! je m'emporte ! je vais vous perdre !… aussi incohérent connard que tel… ou tel !… ivrogne de mots !… où étais-je, voyons ? vous me dites… avec le Profe ssor Harras dans ce grand parc Reichskammer… j'aurais pas cru !… je le vois ! encore un espèce de palais, demi-croulé, éventré… tout recouvert de vigne vierge… et torsades de fil de fer !… Le Parc Monceau est déjà désordre mais là alors un fatras ! plein de têtes de statues par petits tas comme si on venait de les jouer aux boules… dans le plâtre et le sable… tout cela devait être voulu, camouflage de ruines… je demande à Harras…
« Vous voulez nous faire sauter ?
— Pour le 14 Juillet, Céline ! 14 Juillet ! pas avant !
— Le 14 Juillet est passé !
— Pour la fête d'Adolf, alors ! »
Pas être discret avec lui !… au contraire !… il nous voyait comme on était, bien défaitistes… pourvu que nous lui parlions français, on pouvait y aller !… on était faits pour être absurdes, on pouvait y aller !… on était faits pour être absolument sans force, gagas, éperdus, amoureux de tout ce qui était de France.. nos comportements dérailleurs, nos vanes incendiaires, aucune importance ! vétilles ! gamineries !… nos vaches roublardises ? tradition espiègle !… notre prodigieux « historisme » rachetait tout !… ach, was nun ?… nous derniers tenants du « plaisir de vivre » !… nous pouvions tout étaler… le Teuton est le dernier client de la planète qui nous passait n'importe quoi… son armée, sans doute la seule, la dernière, qu'était prête à mourir pour nous… on y a montré nos natures ! vous me direz : l'avenir ne nous regarde pas ! l'avenir est aux jeunes !… je leur en souhaite !… Harras, boche, nazi cent pour cent, nous voyait pas hitlériens ! pas du tout !… tout ce qu'il demandait, qu'on lui parle français !… qu'on ait été un petit peu juifs, un petit peu nègres, un tantinet espagnols, oh, oh là ! là ! bien sûr ! tous les États-Unis aussi ! et alors ?… pas du tout le fada à œillères, Harras, la preuve, il me faisait chutt ! dans le parc que j'écoute les avions passer…