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« Lili !… Lili !…

— Voilà !… voilà !… »

Ah, elle est vivante !

« T'es blessée ?

— Mais non !… mais Bébert sort plus ! »

Je rehurle :

« Sort plus d'où ?

— Là ! là ! du trou là ! »

Je branquille vers l'endroit… oh, mais Lili a sa « torch » !… grand allumée !… presque un projecteur ! elle illuminait tout le sous-bois… elle a attiré du monde, ils sont au moins dix autour… qui regardent aussi le trou, entre les briques, sous les ronces… dix « landsturm » barbus… Lili s'occupe pas… elle appelle Bébert… il doit être dans le creux, sous les ronces… Harras !… le voici !… heureusement !… et de très bonne humeur !… et avec un autre peignoir, orange et violet… il les collectionne !… qu'est-ce qu'il s'est rapporté de Lisbonne !… il peut se monter un magasin ! en tout cas nous le faisons bien rire !… il me montre aux nuages les badigeons ! comme tout ça s'agite ! biffe le ciel ! la grande alerte ! et que c'est Lili et la Volksturm qu'ont tout déclenché ! ah, comme c'est drôle !… et bien français !

« Ah chère Madame ! ah cher Céline !… Madame a donné l'alerte à toute la flach de Berlin avec sa petite lampe !… ooch !… ooch !… ils vont tirer du canon ! vous allez voir !… ooch !… ooch !… »

J'ai plus qu'à rire avec lui…

« Les Volksturm du parc ont cru aussi que Madame était parachutiste ! vous les avez entendus ?… ils ont tiré dans les fourrés ! deux se sont blessés !… oooh !… ach !… tout à fait idiots nos milices !… s'ils ont eu peur de Madame !… et du chat !… eux qui ont alerté la flach !…  »

En fait, aux nuages, au moins cent pinceaux, à présent… nord… sud… est… cherchaient l'escadrille…

« Tout idiote aussi notre flach ! Confrère !… aussi stupide que les Volksturm !… ils devraient illuminer les trous ! par ici !… par ici !… il n'est pas au ciel Bébert !… n'est-ce pas ? il est sous les briques !… je vais leur téléphoner, la flach… ils ne sont pas loin !… Potsdam ! ils peuvent !… eux ont une tour !… et un phare… pour les patrouilles !… vous connaissez ?… Sans-Souci ?

— Telefon, Otto !… telefon ! »

L'officier de tout à l'heure, Otto… je vois qu'il porte sur son épaule une très grosse bobine… il vient… il déroule… Harras prend le cornet…

« Hier !… Hier Harras ! »

Harras parle… ça doit être cocasse… de nous il parle… à quelqu'un là-bas à la flach… c'est trop rigolo !… ach !… ach ! ooah !… l'officier S.S. reprend le cornet et le fil… tout de suite les pinceaux se rabattent… des nuages vers nous… sur nous !… en oblique… un d'abord… puis trois !… puis tous !… on peut dire qu'on y voit clair !… plus clair qu'en plein jour ! même à travers les taillis… clair blafard… même les militaires sont blafards, et les buttes de briques, et Harras… avec son peignoir il fait énorme bonhomme de neige, blanc éblouissant… seulement ses lèvres, noires… je lui demande :

« Maintenant, ils vont nous tirer dessus ?

— Pas encore Confrère ! pas encore ! »

Nous sommes en pleine plaisanterie…

Bébert l'intéresse… où peut-il être ? damné greffe ! mais là tout de suite ! derrière un arbre !… il s'en faisait pas… Lili le tenait à la laisse, un bond, il était parti… un autre bond à travers les ronces… il nous regarde… il avait quelque chose… un rat !… le rat était encore chaud… il l'avait eu à la nuque… Harras regarde, retourne le rat…

« Celui-là est pas mort de la peste !… »

Il propose :

« On décore Bébert ? »

Bébert, toilette avant tout !… il nous laisse le rat !… il commence par le bout de sa queue… lèche !… lèche !… et puis une patte !… et puis l'autre…

Abrutis Volksturm qui ont alerté toute la flach !… je veux, Lili est aussi bien responsable avec sa « torch » grand allumée ! Bébert maintenant qui les bluffe avec sa toilette si soigneuse… sur le nez, sur l'oreille… sous les badigeons du ciel, phares et flach, rabaissés sur lui et sur son rat…

« Il va la passer sur l'oreille ! »

Un qui annonce…

« Si il se la passe, il va pleuvoir !… »

Voilà la question !… ce qu'est important ! tous les Volksturm sont d'avis… en fait, il se la passe !… et la repasse !… et même il se la retourne ! une fois !… deux fois !… plus de doute ! ça y est !

« Leutnant Otto ! telefon ! »

Otto revient avec la bobine… Harras est en pleine plaisanterie… il leur annonce là-bas au flach qu'il va pleuvoir, que Bébert a retourné son oreille, que c'est assez de leurs projecteurs, qu'ils éteignent tout ! ils exécutent !… plus que la petite « torch »… on redescend à nos cavernes… et à nos sandwichs et fauteuils… chacun un gros peignoir tout prêt… mêmes très gros « éponges » qu'Harras… aussi comme lui, rouge et jaune, à fleurs… nous enlevons nos canadiennes… ouf ! et juste eu le temps d'un sandwich, deux… on aurait pu un peu dormir… même Bébert…

Nos papiers étaient là, j'oubliais, sur chaque fauteuil signés, tamponnés…

* * *

Dormir… dormir… mais certainement !… vous êtes somnolent déjà… ça va… et puis un petit souci… l'autre… une réflexion…

« La Vigue… La Vigue… »

Je chuchote…

« Il t'a dit quelque chose ?

— Non… mais il dira…

— Pourquoi… tu penses ?

— Mon petit doigt !… »

En attendant on était vraiment pas mal dans ce Reichsgesund en sous-sol… en somme en cavernes et cavernes, salles de douches, air conditionné, éclairage néon… question la dîne, tout ce qu'il fallait, sandwichs, sandwichs, salade de betteraves et porridge… à boire que de l'eau et jus de fruits… pas de bière… oh ça pouvait très bien aller !… vu ce que nous étions, ce qui nous menaçait, j'en aurais bien pris pour vingt ans… la vie souterraine est comme la vie sous-marine, il faut passer sous le pôle, c'est tout !… et pas sortir mal !… je nous voyais pas bien sortir… pas confiant… je posais pas de question à Harras… il nous avait mis, je voyais, dans des bureaux « en réserve », plus profonds que les autres… pas de lits, mais d'énormes sofas, qui devaient venir aussi de Lisbonne… il ne nous demandait rien, que lui parler français, et lui rectifier ses fautes… il parlait vraiment pas mal, mais il voulait la perfection, comme Frédéric…

« Je suis trop vieux, mes chers amis, et cette guerre dure trop longtemps… j'aime tant Versailles ! là, que j'aurais voulu finir… »

On montait prendre l'air vers midi, on remontait au jour, pas longtemps, avec le lieutenant Otto… Bébert avec nous… une petite promenade, zigzag, entre les rouleaux de barbelés… un regard aux bains finlandais, aux confrères à poil, qui nous faisaient des signes d'amitié… ils m'en voulaient pas de la grenade… est-ce qu'ils se doutaient ?… on reprenait le sentier du retour dans les pas du lieutenant Otto… il nous prévenait bien : mines partout !… l'aimable parc !… ça serait pas la flach ce coup-ci ! ça serait nous le badaboum, les flammes !… et pour le compte ! cette promenade zigzag finie, rentrés au sous-sol, y avait échanges d'aimables propos, avec des demoiselles-secrétaires… mais jamais un mot sur les fronts, ni sur les avions, ni la politique !… mais sur Bébert, ses petites façons, s'il avait attrapé d'autres rats ?… ces demoiselles nous parlaient aussi de ces gens qui habitaient là, au-dessus, autrefois, avant la guerre… disparus… des grandes familles de Grünwald… les bombardements, les décombres… pour avoir l'air un peu quand même occupé, je m'intéressais aux télégrammes… Harras voulait bien… une autre cave.. le télescripteur n'arrêtait pas… deux typhus vers Tzara-Plovo… une seule « biliaire » à Salamine !… rien, ainsi dire… comparé aux poussées 17 !… la même chose, me disait Harras, du côté ennemi, en face !… et pourtant eux avaient les Indes et tout le Proche-Orient !… ils s'arrachaient les cheveux, pareil !… eux qu'avaient les vallées d'Euphrate !… où pourtant même avant Moïse sitôt qu'il se montait une armée toutes les pires pestes fondaient dessus ! à présent là, j'avais qu'à voir « telescript : zéro » !… avant 18, les pires cohortes mystiques féroces, trois quatre salves vous aviez la paix ! un peu aussi par la soif… trois bidons d'eau !… vous les retrouviez tous purulents !… maintenant nib !… les chacals se battaient entre eux !… armées, millions d'hommes dans le désert, frais comme l'œil ! même dans les oasis infectes, mares putrides, pas un cas ! vous dire leur triste philosophie aux « Hautes Autorités » de Lisbonne… russo-ricains-anglo-boches… « nous avons trop vacciné, cette guerre ne finira jamais »… tous hélas d'accord ! vous dire si Harras avait eu le temps chaque voyage de s'acheter de tout, de ces sofas, coussins, couvertures, et de ces peignoirs si épais ! et de ces victuailles, jambons, rillettes, poulets en gelée, que vous pouviez tenir cent ans dans les caves de la Gesundt… il voulait bien parler « technique »… de notre point de vue épidémique… plus rien virulait !… la vérité ! la guerre par massacres, c'est une chose, elle fait du bruit, mais résout rien !… les microbes se désintéressent ? pitié de vos pauvres bataillons ! infinis conflits, eaux de boudins… même « l'atomique » je vous garantis, finira jamais sans microbes… le virus, du fond du silence, vous attaque la terrible armée, que vous avez plus un bonze debout, deux trois semaines, tous à dégueuler, fauchés ! âmes, boyaux, bramer à la Paix ! voilà du décisif, sérieux ! ça, qu'ils attendaient à Lisbonne… comment cette affaire finirait ?… napalm, gaz, soufre, méchantes foutaises ! la vraie de vraie peste prenait plus ! comment la nôtre allait finir, saleté, guerre de guerre, 44 ?… tous les virus millénaires faisaient faux bond ! les maréchaux peuvent bien des choses, déchaîner foudres et cataclysmes, mais pas réveiller un microbe… les grands empereurs peuvent s'entendre, s'entr'offrir tellement de tonnes de viandes, troufions, tellement de villes, provinces, berceaux, hôpitaux, personnes déplacées, charniers, que c'est la nouveauté totale, nouvelles frimousses, nouvelles boucheries, mais la guerre arrête pas pour ça ! microbes fainéants, guerre continue ! millions et millions sous les armes, prêts à tout… milliards de puces inutiles ! deux typhoïdes à Zagreb !… une varicelle à Chicago !… de quoi abattre bien des courages ! même dans la vallée du Vardar, où pourtant depuis douze siècles aucun conquérant n'avait tenu, maintenant impeccable, pas un rat mort !… ni un comitadji fiévreux… l'humanité dans de beaux draps… pas les maréchaux, ni les diplomates, qui dictent la paix, les puces, et les rats… maintenant, zéro !… nous là toujours, Lili, moi, Bébert, La Vigue, nous avions un petit truc de plus, sûrement des « mandats » au der ! pas que de Paris, de Berlin aussi !… notre Harras avait beau dire, il voulait me parler, je voyais… quelque chose le retenait… au bout de trois jours dans ces sous-sols on se sentait tout de même un peu revivre, foutre du telescript ! sandwichs à gogo, eau minérale et tout le confort, profonds sofas, et trois peignoirs éponge chacun, et il faut dire, le parfait calme… mais ça pouvait pas durer… pendant la minute d'haut-parleur, fanfare et « nouvelles » Harras profite, il me chuchote…