« Demain, Céline, nous irons voir un village pas loin d'ici… »
J'allais pas lui demander pourquoi… nous redescendons dans notre loge… je raconte à Lili et La Vigue que demain on va en excursion… on s'attend à tout… entre nous on examine qu'est-ce qu'il peut bien nous vouloir ?… se débarrasser ?…
Le lendemain sept heures, nous sommes prêts… il a dit sept heures… il devait nous emmener… on aurait bien encore dormi… pas très ravissante cette promenade…
Sept heures, juste, voilà Harras, en grand uniforme, dague, décorations, aiguillettes, bottes…
« Je suis ridicule, n'est-ce pas, Confrère ?… il le faut où nous allons ! ooah ! »
Que c'est à rire !
« Vous allez nous faire fusiller ?
— Non ! non !… pas encore ! »
Soit ! la vie continue !… une très grosse voiture… pas une gazogène… à essence !… il prend le volant… nous sommes en septembre… il fait beau… leur campagne en septembre tourne au rouge, les feuilles… il fait déjà plus que frais… il va pas vite… nous traversons tout Grünwald, des allées de villas en décombres… et puis encore un autre parc… et puis des prairies… et puis des étendues de terres grises… où sûrement rien ne pousse… genre de cendre… pas du paysage aimable !… deux… trois arbres… une ferme au loin… plus près un paysan qui bine, je crois… Harras ralentit, il s'arrête, il va nous parler…
« Mes amis vous allez voir un ancien village huguenot… Felixruhe ! la route là, à gauche… vous n'êtes pas trop fatigués ?… cinq kilomètres ! pas plus !…
— Non !… non !… non ! »
Nous sommes pleins d'entrain !… en avant pour ce Felixruhe !… une route très étroite !… que sa Mercédès passe, mais juste !… tout de suite c'est là, nous y sommes… mettez un hameau normand, Marcouville quelconque, mais alors tout à fait fini, les murs et les toits plus qu'en trous… tout ronces et mousses à travers les fenêtres et portes… loques de chaume…
« Voici le hameau huguenot ! »
On peut pas aller de l'autre côté, une toute petite rivière sépare… le pont est pas pour voitures, trop vermoulu… on s'arrête… tout de suite plein de gens viennent… il en sort de tous les trous, des toits et des huttes, des champs… des vieux et des vieilles surtout, et plein de mômes… les autres doivent être à la culture ou mobilisés… tout ce monde est nu-pieds… et si ça jacasse !… ils s'approchent… ils touchent la voiture… les vitres… Harras aime pas… pfoui ! pfoui ! qu'ils foutent le camp !… il lâche son volant… nous voici sur le pavé… qu'est-ce qu'on est venus faire ?… du tourisme ?…
« Vous savez plus huguenots du tout !… tous polonais !… vous les avez entendus !… l'invasion slave ! comme vous les Berbères à Marseille !… naturel !… tout Berlin aux Polonais ! naturel !… voyage des peuples !… par là ! par là ! »
Il nous montre l'est, l'ouest !
« Vous comme ça !… sud !… nord !… »
Des paroles qu'il aurait pas dites à Grünwald… même en rigolant… là on le voyait de très bonne humeur… comme délivré d'un souci… lequel ?…
« Maintenant, cher Monsieur, et vous Madame, si vous voulez bien, vous allez un peu nous attendre… je vais dire deux mots à votre mari… tous ces Polonais sont voleurs, mais peureux aussi, heureusement !… vous restez ici, voulez-vous, dans la voiture, ils n'approcheront pas… deux mots à dire à votre mari, cinq minutes !… »